Par

Margot Nicodème

Publié le

5 nov. 2025 à 6h32

Ils resteront 3 heures assis les uns à côté des autres, sur le banc des parties civiles de la salle des comparutions immédiates du tribunal de Lille (Nord). Ce lundi 3 novembre 2025, ils sont 5 policiers à assister à l’audience du couple qui les a violemment agressés, la nuit du 11 septembre dans un appartement de Villeneuve-d’Ascq. Des assauts au couteau, de la part d’un homme de 28 ans et d’une femme de 31 ans. Les témoignages de deux des policiers, dont l’un fut blessé pendant l’intervention, c’est l’autre face, inattendue, poignante, de ce procès. Ils racontent la difficulté d’ouvrir le feu, même sur quelqu’un qui attente à leur vie, la peur de tout perdre, et l’après, quand le traumatisme s’installe et va jusqu’à gagner leur famille. Récit.

« Il me charge. Il court. Je vois la lame de 20 cm » 

Ce sont 5 hommes aux carrures imposantes, qui viennent s’installer sur le banc de la salle d’audience lundi, vers 17h30. Des chevelures poivre et sel chez certains, qui trahissent une carrière déjà longue dans la police nationale. Dans l’affaire qui est jugée en cette fin d’après-midi, tous comparaissent en tant que victimes. Le 11 septembre dernier, en pleine nuit, ils enfoncent la porte d’un appartement de Villeneuve-d’Ascq, dans lequel ils pensent secourir une femme retenue contre sa volonté. La vérité est tout autre : celle-ci a volontairement disparu, pour rejoindre son amant.

Ils la découvrent sur les lieux, s’assurent qu’elle va bien et rebroussent chemin. L’histoire aurait dû se dérouler ainsi. À la place, la femme et son amant se sont armés de couteaux et se sont rués vers les policiers. Elle est neutralisée la première, à l’aide d’un taser. Lui, et sa « détermination » à poignarder le policier qui lui fait face, oblige l’équipage à ouvrir le feu à trois reprises. L’assaillant n’est que légèrement blessé, une des balles ayant frôlé son thorax.

Le policier ciblé a échappé à une blessure grave, potentiellement fatale, s’il n’avait pas reçu le coup de couteau au niveau de la bretelle de son gilet pare-balle. Il livre, à la barre du tribunal, sa version de l’affrontement, et les stigmates qu’il traine encore, un mois et demi après l’incident. 

Il raconte d’abord la vision de cette femme, qui marche vers lui une dague à la main. « Elle a ramassé le couteau, j’ai avancé vers elle en criant, puis elle a été ‘tasée’. Et là, lui arrive avec un couteau, il me charge. Il court. Je vois la lame de 20 cm. » Silence de plomb dans la salle d’audience, l’auditoire semble vivre la scène minute par minute.

« En 30 ans de service, j’ai tiré une cartouche. C’était sur Monsieur »

« Je fais feu pour faire reculer Monsieur, je vois que je l’ai touché [superficiellement, ndlr], je vois le sang. Il revient vers moi en courant. » Cette fois, le policier reçoit un coup de couteau au niveau de l’épaule, heureusement planté dans son gilet de protection. « Un centimètre plus haut, j’étais touché à la carotide », analyse-t-il avec émotion. Et pour cause, « en 30 ans de service, j’ai tiré une cartouche. C’était sur Monsieur« , ajoute-t-il, en se tournant vers le prévenu de 31 ans, qui regarde dans le vide depuis le box. Un geste extrême, auquel les policiers sont préparés, mais qui n’est pas sans laisser de trace. 

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La victime raconte que, par la suite, elle a dû se mettre « dans une bulle ». Pour protéger sa famille, qui a eu la frayeur de sa vie.

Même émotion, également vive, chez le deuxième policier qui a tiré les 2e et 3e coups de feu cette nuit-là, pour venir en aide à son collègue, qu’il croyait sévèrement blessé. « J’ai cru que mon collègue était ‘tombé’. J’ai pensé à mes enfants, à ma femme, à tout ce qu’on peut perdre. » Le stress est à son paroxysme, et il les suivront des jours durant encore.

« Mon grand fils m’a demandé de démissionner »

« Suit le travail psychologique, explique en toute transparence le second policier. Je me suis demandé si j’aurais le courage de refaire ce que j’ai fait ce soir-là, pour protéger mon collègue. Mon grand fils m’a demandé de démissionner. » C’est sans doute le sens du devoir, doublé de la camaraderie entre les 5 hommes, habitués à travailler en équipe, qui le tient à l’écart de cette éventualité de renoncer. 

Comme le dit l’avocat des 5 policiers ce jour-là, « tous les matins, ils endossent la tenue et la responsabilité. Ce sont des gens matures. » Lui met l’accent sur les comptes à rendre a posteriori, quand on est policier et qu’on a fait usage de son arme. 

Il suffit que l’un d’eux utilise son arme, et on leur demande ensuite ‘Est-ce que vous aviez bu ? Consommé des stupéfiants ?’ Leur seul objectif, c’est de justifier la légitime défense. À aucun moment, on ne leur pose la question ‘Est-ce que vous allez bien ?’

Avocat des policiers victimes d’une violente agression, près de Lille.

Le contexte joue en leur défaveur, ajoute l’avocat. « On a peur d’utiliser son arme maintenant, parce qu’on risque d’aller en prison, de perdre son métier. » Il a demandé à ce que soient indemnisés à hauteur de 4 000 € les 4 policiers, et à hauteur de 10 000 € le 5e, pour la blessure qui lui a été infligée. Il fait valoir, pour lui, le « risque de mort imminente ».

La procureure de la République, de son côté, salue « un sang-froid et un professionnalisme à toute épreuve », dans une affaire qui dépasse quelque peu l’entendement, il faut bien l’admettre. Elle insiste sur « le comportement irréprochable » des 5 coéquipiers, et requiert 4 et 6 ans de prison ferme à l’encontre de la prévenue et de son compagnon.

Le mardi 4 novembre au soir, la décision de justice n’était toujours pas connue.

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