« Attention, dossier très politique », prévient-on d’emblée au sein de Paris commerces, l’opérateur du commerce de proximité de la Ville de Paris. Plus de 30 ans après sa création en 1994, le viaduc des arts de l’avenue Daumesnil (XIIe), haut lieu de l’artisanat parisien avec une cinquantaine de commerçants, est-il exsangue ?

Le sujet a en tout cas fait l’objet d’un vif débat entre l’opposition et la majorité lors du dernier Conseil de Paris, début octobre. Alors que sept voûtes du viaduc sont actuellement vacantes, l’élue (LR) du XIIe, Valérie Montandon, alerte sur un « viaduc des arts qui se meurt », « des artisans à bout de souffle », et demande un soutien financier de la Ville pour aider les enseignes en difficulté.

Sans nier les problèmes conjoncturels de certains commerçants, la majorité se défend. « Non, le viaduc des arts ne se meurt pas, c’est un lieu vivant et vital », souligne l’adjoint (PCF) en charge du commerce, Nicolas Bonnet Oulaldj.

« Le loyer, l’équivalent de la paie de mes employés »

C’est finalement un vœu de l’exécutif, voté par l’opposition, qui a été adopté par le Conseil, prévoyant notamment la possibilité pour la Ville de revoir le bail emphytéotique (un bail immobilier de très longue durée) qui lie les artisans à Paris commerces, afin d’ajuster les conditions de loyers.

Et les artisans dans tout ça ? « La tendance, c’est qu’il y a un malaise », confirment deux d’entre eux, sous couvert d’anonymat. Principale source d’inquiétude pour ces commerçants du viaduc, la plupart indépendants : le prix du loyer et des charges, qui grèvent pour certains la quasi-totalité de leur chiffre d’affaires mensuel.

« Le loyer, c’est l’équivalent de la paie de mes trois employés. J’ai à peine de quoi me verser un salaire », explique Raphaël Budin, patron du magasin de harpes Harposphère, ouvert depuis début 2023, pour 4 600 euros de loyer mensuel. « L’équilibre financier se fait aux dépens de notre rémunération », abonde Mona Varichon, responsable d’un atelier d’encadrement contemporain installé depuis 30 ans avenue Daumesnil, loué environ 3 400 euros par mois.

Paris (XIIe), le 30 octobre. Parmi la cinquantaine de commerçants installés sous le viaduc, plusieurs artisans indépendants connaissent des difficultés liées à l'augmentation de certaines charges, mais aussi à un volume de vente parfois faible.Paris (XIIe), le 30 octobre. Parmi la cinquantaine de commerçants installés sous le viaduc, plusieurs artisans indépendants connaissent des difficultés liées à l’augmentation de certaines charges, mais aussi à un volume de vente parfois faible.

La jeune femme, qui évoque par ailleurs des difficultés liées aux dépenses d’énergie et de chauffage, s’inquiète aujourd’hui de la pérennité de son activité. « Si la pression financière ne se desserre pas un peu, on risque de devoir arrêter », alerte Mona Varichon.

« La situation économique est viable », assure Paris Commerces

L’actuel bail emphytéotique avait pourtant été renouvelé en 2024 et contenait des exonérations réclamées par Nicolas Bonnet Oulaldj. « Nous avons supprimé les charges liées à l’entretien des toitures sous la coulée verte, mais aussi gelé l’augmentation des loyers », précise l’adjoint en charge du commerce.

Les artisans ont en revanche subi l’augmentation de l’Indice des loyers commerciaux (ILC), un indicateur publié par l’Insee qui encadre les augmentations de loyers en France, afin de les lier à l’évolution de l’économie.

« Il a augmenté de 5 % à plusieurs reprises, avant de baisser cette année, précise Nicolas Bonnet Oulaldj. Nous n’avons pas la main sur ces variations. » Sans compter que les artisans ont également dû s’acquitter de la taxe foncière, après l’augmentation votée par la Ville l’an passé.

Des coûts supplémentaires qui, selon Paris commerces, ne mettent cependant pas en péril l’avenir du viaduc des arts. « La situation économique est viable, seule une minorité d’artisans sont touchés, assure sa directrice générale, Emmanuelle Hoss. Aujourd’hui, le loyer se situe entre 210 et 260 euros du m2, soit bien en dessous des prix du marché, qui peuvent facilement atteindre le double dans le privé. »

30 candidatures reçues par la Ville pour quatre voûtes vacantes

Selon Paris commerces, 80 % des artisans du viaduc y sont présents depuis plus de 5 ans, 60 % depuis plus de 9 ans. « Il y a quand même une pérennité et de très belles enseignes de renommée nationale et internationale », souligne Emmanuelle Hoss.

Quant aux voûtes actuellement vacantes, Paris commerces précise avoir reçu plus de 30 dossiers de candidature. Elles ont été attribuées mi-octobre à de nouveaux artisans qui s’y installeront dans les prochains mois. Les trois autres voûtes fermées doivent faire l’objet de travaux de remise aux normes.

7 voûtes commerciales du viaduc des arts sont actuellement vacantes. Quatre d'entre elles viennent d'être de nouveau attribuées par Paris commerces, les trois autres devront d'abord faire l'objet de travaux de remise aux normes.7 voûtes commerciales du viaduc des arts sont actuellement vacantes. Quatre d’entre elles viennent d’être de nouveau attribuées par Paris commerces, les trois autres devront d’abord faire l’objet de travaux de remise aux normes.

« Il y a du turnover, mais c’est la vie économique, c’est normal, le contexte est contraint. Mais l’attractivité est toujours là », maintient Emmanuelle Hoss, qui précise aussi qu’un suivi personnalisé est mis en place par Paris commerces pour aider les artisans en difficulté, en mettant par exemple en place des échéanciers pour les aider à payer leurs charges, ou en leur permettant de partager une voûte, ce qui n’était pas possible dans le précédent bail.

Reste à savoir quand pourrait survenir cette nouvelle délibération du Conseil pour revoir les conditions de loyer et soulager les artisans. « Je souhaite que cela ait lieu le plus rapidement possible, ça ne dépend pas que de moi », tempère Nicolas Bonnet Oulaldj.