Par
Inès Cussac
Publié le
5 nov. 2025 à 20h32
« Bonjour voilà, on arrive au BHV pour Shein. Donc voilà… Il y a énormément de monde, comme vous pouvez le constater. » Cendrine fait pivoter la caméra de son téléphone portable et montre aux abonnés de sa chaîne Youtube la file d’attente qui s’étire devant le grand magasin du 4e arrondissement de Paris. Il n’est pas 12h30 ce mercredi 5 novembre 2025 et déjà, une centaine de personnes est rassemblée pour assister à l’ouverture du premier magasin physique pérenne du géant de l’e-commerce asiatique, Shein, prévue à 13h pétantes.
Les uns derrière les autres, les clients attendent le fameux ticket qui leur permettra d’accéder au 6e étage du BHV Marais. Là, l’espace Shein s’étend sur plus de 1 000 m² et une ribambelle de vêtements « haut de gamme » pour femmes et hommes a été sélectionnée spécialement pour les adorateurs de la marque d’ultrafast-fashion ayant fait le déplacement. Nina est du lot. Sac à main Louis Vuitton sur le poignet, elle est venue faire la curieuse. « Je n’ai pas particulièrement prévu d’acheter quelque chose. Je suis là pour voir, un peu par hasard », prévient-elle sous sa crinière blonde venue tout de droit de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Quelques mètres derrière elle, Manal, la vingtaine, a déjà enregistré un panier de vêtements en ligne et espère les retrouver en boutique. « Je ne dépenserai pas plus de 100 euros », veut-elle se limiter.
« Non, ça ne me dérange pas »
Sous la vigilance d’un conséquent dispositif policier, les clients enchaînent les interviews face aux journalistes de chaînes de télévision, de radio et des médias internationaux. Les personnalités politiques écologistes et les militants anti fast-fashion ont aussi fait le déplacement. « C’est de la provoc’ ! Personne n’est obligé de venir », tance Lola, la soixantaine. « Ça peut être un danger pour nous tous ces gens. C’est bien qu’il y ait la police, on se sent en sécurité », abonde sa nouvelle amie Josiane. Avec Ewa et Cendrine, le quatuor s’est bien trouvé pour discuter en attendant de pouvoir entrer dans le nouveau temple de la mondialisation. « Tout ça, ça fait de la pub pour Shein et le BHV. Ils avaient besoin de ça », sourit Lola qui perçoit un bon moyen pour rajeunir la clientèle. Si la plateforme est connue pour avoir séduit les jeunes filles en premier lieu en France, les 35-49 ans sont désormais les plus gros acheteurs à hauteur de 45 % du volume des ventes.
L’aiguille pointe 13h. Les journalistes attendent les clients derrière un cordon de sécurité, un DJ veut mettre l’ambiance et voilà Frédéric Merlin, le patron de la Société des grands magasins (SGM), propriétaire du BHV depuis 2023, coupe son ruban. Malgré les scandales de la vente de poupées sexuelles et d’armes de catégories A, le PDG assure que les produits vendus répondent aux normes européennes. Pour rappel en France, Shein est visé par une proposition de loi visant à contrer l’essor de l’ultrafast-fashion. Rien qu’en 2025, l’entreprise a été condamnée à trois amendes pour un total de 191 millions d’euros, non-respect de la législation sur les cookies en ligne, fausses promotions, informations trompeuses, et pour ne pas avoir déclaré la présence de microfibres plastiques dans ses produits.
« Qu’on achète ici ou ailleurs, c’est la même chose : les autres coupent les étiquettes ‘Made in China’», explique David en même temps qu’il essaie un tee-shirt à 12,49 euros parce qu’il a trop chaud sous son pull à col roulé. « L’exploitation des enfants, c’est horrible ! Mais c’est pareil pour tout le monde », ajoute-t-il avant de conclure : « De toute façon, on ne s’en sortira jamais avec ce monde-là. Il y a trop de surconsommation. Nous, on ne sera pas là pour voir tout ça donc non, ça ne me dérange pas. »
Le géant du e-commerce Shein ouvre sa première boutique au sein du BHV à Paris ce mercredi 5 novembre 2025. #fyp #Paris #shein #bhv
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Des prix trop élevés
De son côté, Cendrine arrive en haut de l’escalator le téléphone en main pour tout filmer en format paysage. Elle déambule entre les tables et les porte vêtements et analyse tout ce qui est présenté. « Je suis un peu surprise par les prix », indique-t-elle. « 50 euros la parka… Bon », souffle-t-elle. « Après, il faut voir il faut voir. Là au moins, on peut toucher », reconnaît-elle avant de reprendre son défilé.
Les miniprix, le large éventail de choix et de tailles et les collections régulièrement renouvelées constituent la Trinité de la fast-fashion. Au cœur du BHV, les pulls à 40 euros et les vestes à 30 euros n’étaient donc pas les tarifs escomptés. « Il n’y a pas de rayon enfant ! » s’agace Syara du haut de ses 11 ans. Avec sa maman et sa sœur, elles ont toutes les trois affronté six heures de route pour venir découvrir le nouveau magasin. « Franchement, on est déçues : il n’y a rien pour les enfants et les prix sont trop chers. Ils nous avaient pourtant vendu ça comme étant LE truc », poursuit Julie la sœur aînée aussitôt apeurée par deux militantes rapidement évacuées par les vigiles de sécurité. L’instant d’avant, c’est une boule puante qui avait été dégainée en signe de protestation contre cette ouverture.
« Ils ont relevé les prix », constate aussi Shereen, 21 ans, en poussant les pulls les uns derrière les autres. « Je n’ai pas vraiment l’habitude d’acheter sur Shein mais là, je ne reviendrai pas. Même les petites boutiques chinoises juste en bas, elles sont moins chères et de meilleure qualité », croit savoir la jeune femme également venue accompagnée de sa mère. Nebila aussi est un peu déçue par son shopping. « Je n’ai acheté qu’une chemise mais franchement je ne suis pas très contente », fait-elle savoir sous sa tresse blonde nouée en haut du crâne.
Fatima vient aussi de faire ses emplettes chez Shein. Coût total des dépenses : 28 euros. « Je ne suis pas enchantée, honnêtement », admet cette Yvelinoise. « Je ne suis pas sûre de revenir parce que ça n’a pas trop d’intérêt. Il n’y a que des vêtements, pas d’accessoires… », déplore-t-elle avant de présenter son calcul : « Je me demande même si je vais le garder. Là, je réfléchis à ce que je vais m’acheter avec mon bon d’achat de 28 euros au BHV. Mais, je me dis, si j’achète quelque chose direct et que, plus tard, je vais rendre mon pull Shein, du coup j’aurais gagné un truc du BHV gratuitement non ? »
De retour chez elle, Cendrine déballe tous ses achats. « C’est un chouilla plus cher mais c’est pas dramatique non plus », analyse-t-elle d’abord devant sa caméra. « Après, j’ai quand même vu des vestes à presque 80 euros… Il y a des trucs, c’est un petit peu abusé les prix. Mais ça reste raisonnable, comparé à d’autres enseignes », juge-t-elle avant de regarder la journée qui vient de s’achever : « Aujourd’hui c’était vraiment spécial et ils en parlent partout à la télé. D’ailleurs, j’ai été interviewé plusieurs fois sur la 1, la 2, la 3, la 4… Tout le monde a été interviewé ! »
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