La Chine fait un pas en arrière dans l’escalade des tensions commerciales avec les États-Unis. Le pays s’est engagé ce mercredi à ne pas appliquer pendant un an la hausse de 24 % de droits de douane sur les produits américains, un temps envisagée, se contentant de les maintenir à 10 %, selon un communiqué publié sur le site du ministère chinois des Finances.
En parallèle, les droits de douane supplémentaires sur les produits agricoles américains (soja, porc, bœuf, poulet, blé, maïs, coton…), de 10 % à 15 %, seront supprimés. Ces changements entreront en application à compter du 10 novembre prochain, est-il précisé.
Ces annonces étaient attendues depuis le 30 octobre dernier et la rencontre en Corée du Sud entre le président chinois, Xi Jinping, et son homologue américain, Donald Trump. Lors de la réunion qui devait permettre de trouver des solutions au conflit commercial, le dirigeant chinois avait aussi reculé sur le sujet des terres rares, suspendant pendant un an les restrictions à l’exportation de ces métaux stratégiques mises en place le mois précédent. Entre autres mesures.
Il n’en fallait pas plus pour que Donald Trump, instigateur de cette entrevue de 1 h 40, s’affiche triomphant, la qualifiant même de « grand succès ». Sauf qu’à y regarder de plus près, c’est « plutôt la Chine » qui ressort gagnante de cette rencontre et des annonces qui en découlent, selon Simon Menet, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et responsable du Programme Taïwan, interrogé dans l’émission « Au cœur de l’info » sur France 24. Car le pays est simplement revenu sur des mesures récemment instaurées, et encore : pas toutes.
Pékin la joue à la Trump
Il se pourrait même que la Chine ait entretenu une certaine surenchère ces dernières semaines pour mieux négocier. Les restrictions sur les exportations de terres rares annoncées en octobre, alors qu’il était déjà prévu que Xi Jinping et Donald Trump se rencontrent, avaient peut-être aussi pour but de servir de « levier diplomatique » en vue de cet échange, selon l’expert.
Un avis partagé par Jean-Philippe Béja, spécialiste de la Chine et directeur de recherche au CNRS. La Chine « avait lancé des mesures extrêmement dures en octobre » et est « simplement revenue dessus », ce qui « n’a pas changé grand-chose », souligne-t-il dans le même programme.
Une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle de… Donald Trump. Avant même le début de son second mandat, celui qui n’était alors que candidat dans la course à la présidentielle américaine avait brandi la menace de droits de douane « terribles » s’il était élu. Aussitôt mise à exécution dans les premiers jours qui ont suivi sa prise de fonction, à l’encontre des trois principaux partenaires commerciaux (Chine, Canada, Mexique). Avant de suspendre ceux sur les produits mexicains, après une discussion jugée fructueuse avec la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum et des engagements de la part de cette dernière.
Menacer durement ses partenaires est par la suite devenu une habitude pour le président américain. Il a d’ailleurs lui-même reconnu utiliser cette stratégie pour obtenir des « deals » avec les pays visés.
Riposte inattendue
Ce que n’avait visiblement pas anticipé Donald Trump, toujours très sûr de lui, c’est la réponse de la Chine. « Seuls les Chinois ont fait le choix de l’escalade, alors que les autres pays ont directement entrepris de négocier sans représailles, ou avec des mesures de rétorsions ciblées, comme l’Union européenne », rembobine Sophie Wieviorka, économiste spécialiste de l’Asie au Crédit agricole, dans une analyse en ligne.
Ainsi, à chaque fois que les droits de douane ont été relevés côté américain, ils l’ont aussi été côté chinois. Des droits de douane de 10 % sur les importations chinoises entrent en vigueur le 4 février ? Six jours plus tard, la Chine riposte avec une hausse de 15 % sur les exportations américaines de charbon et de gaz naturel liquéfié (GNL) et de 10 % sur le pétrole, les machines agricoles, les voitures à grosse cylindrée et les pick-up. Le même schéma s’est répété à quatre reprises entre mars et avril, comme rappelé dans un article de la revue Le Grand Continent. Jusqu’à atteindre des niveaux astronomiques : 145 % sur les produits chinois contre 125 % sur les produits américains. « Si les États-Unis persistent dans cette voie, la Chine les combattra jusqu’au bout », avait alors prévenu un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
Ciblage efficace
Surtout, Pékin a visé là où l’Amérique aurait le plus mal. Cibler les produits agricoles américains n’était en effet pas anodin puisque « la Chine est de très loin le premier marché des exportateurs de soja américains », rappelle Hubert Testard, spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux et enseignant à Sciences Po Paris, dans un article publié sur le site d’analyse et d’actualité Asialyst. Le pays a absorbé l’année dernière plus de la moitié des exportations américaines de soja, soit 27 millions de tonnes, pour un total de 12,6 milliards de dollars (11 milliards d’euros), selon le ministère américain de l’Agriculture. « Ce qui est vrai pour le soja l’est aussi pour le coton. Le marché chinois est également le premier client du coton américain, avec 35 % des exportations américaines », ajoute l’expert.
La Chine n’a pas non plus hésité à serrer la vis au sujet des terres rares, consciente de sa domination dans ce domaine. Le pays dispose en effet de plus d’un tiers des réserves mondiales – 44 millions de tonnes sur 110 millions, d’après le service géologique des États-Unis – et s’affiche comme le premier producteur à l’échelle de la planète de ces matériaux essentiels pour le numérique, l’automobile, l’énergie ou encore l’armement, au grand dam des États-Unis. Pékin a profité de ce presque monopole pour appliquer, dès avril, un nouveau système de licences pour certaines exportations avant d’imposer de nouvelles restrictions en octobre. Une mesure qui avait poussé Donald Trump à menacer une fois de plus de surtaxer tous les produits chinois, de 100 %, sans néanmoins passer à l’acte.
Fragile trêve
Les économistes mettent en garde contre la fragilité de la trêve commerciale scellée le 30 octobre. Car ce n’est pas la première actée entre les deux pays ces derniers mois. Au printemps, ils s’étaient mis d’accord sur une pause courant jusqu’au 10 novembre, que la Chine a été la première à rompre avec ses restrictions sur l’exportation de terres rares.
Trêve ne veut d’ailleurs pas dire bonne entente. « Si les deux parties affichent une volonté de compromis, (…) une alternance de tensions et d’accalmies au cours de la période de pause est envisageable, considère Thuy van Pham, économiste spécialiste des marchés émergents chez Groupama Asset Management, dans un article en ligne. Une rupture totale des échanges paraît en revanche peu probable, tant les deux économies sont étroitement interdépendantes ». Les derniers mois ont néanmoins montré que l’on peut s’attendre à tout, surtout avec Donald Trump.