Pourquoi avoir réalisé ce film, deux ans après Sacerdoce ?
Dans Baroudeurs du Christ, ce qui m’intéressait avant tout, c’était de parler du statut très particulier des prêtres missionnaires. Le grand public ignore souvent qu’il en existe encore aujourd’hui. On les imagine comme appartenant à un autre temps — celui d’il y a deux ou trois siècles, associé parfois à une vision du monde un peu colonialiste, avec des connotations souvent négatives positives. C’était une façon de redorer leur blason.
Au-delà de ça, ce qui m’a profondément touché, c’est leur approche. Il y a trois siècles, le pape avait lancé un appel à la mission en disant : « N’apportez pas l’Italie, la France ou l’Espagne ; inculturez-vous. Découvrez leur culture et ne changez rien, sauf si cela est absolument contraire à la morale. » Cette vision est d’une modernité incroyable. On découvre chez ces missionnaires une relation à l’autre d’une grande beauté, empreinte de nuance et de respect. Ils savent distinguer ce qui relève de la culture et ce qui appartient à la foi — une foi qui, en réalité, transcende la culture. C’est cette histoire, et surtout cette approche, que j’ai voulu raconter dans Baroudeurs du Christ.
Dans quels pays êtes-vous allé pour rencontrer ces missionnaires ?
Nous sommes allés dans cinq pays afin de montrer la diversité des missionnaires des Missions étrangères de Paris. Cette société de prêtres a une approche assez radicale de la mission : sar ses prêtres ne choisissent pas le pays dans lequel ils sont envoyés, et ils y restent toute leur vie. Cette radicalité m’a beaucoup interpellé. Je connais bien le milieu missionnaire protestant, où les envoyés partent en couple, puis en famille. Ici, on est face à une vocation totalement donnée.
J’ai d’abord rencontré le père Will Conquer, au Cambodge. C’est un jeune prêtre passionné par la culture et l’histoire du pays. Il apprend la langue khmère et s’intéresse aux blessures profondes de ce peuple, marqué par la guerre et un lourd héritage historique.
Notre avis : un film inspirant et fortifiant
❤❤❤ Adultes et adolescents
Depuis le XVIIesiècle, les prêtres des Missions étrangères de Paris sont envoyés annoncer l’Évangile à l’autre bout du monde, seuls au milieu des peuples, parfois au risque de leur vie. Comment ces hommes vivent-ils aujourd’hui cette aventure hors du commun ?
Pour ce documentaire, le réalisateur de Sacerdoce est parti à la rencontre de cinq de ces « baroudeurs du Christ », du Cambodge à Madagascar, de l’Inde à la Corée du Sud et Taïwan. Tout du long, on est touché par l’effort de ces missionnaires pour s’immerger en profondeur dans les cultures locales, et se faire proches des plus fragiles afin de leur signifier l’amour de Dieu. Sans idéaliser ces vocations, montrant aussi les difficultés traversées, ce film témoigne d’une bouleversante radicalité au nom de Jésus. Inspirant et fortifiant.
Ensuite, il y a le père Laurent Bissara, en Inde. On lui a confié la direction de la fameuse « Cité de la joie » — celle du livre et du film bien connus. Il s’occupe de plus de trois mille enfants dans les bidonvilles, dont beaucoup sont handicapés. Il œuvre au cœur même de la pauvreté, aux côtés des sœurs de Calcutta. Nous avons aussi rencontré le père Philippe Blot, en Corée du Sud. Il accueille des réfugiés nord-coréens, exfiltrés de leur pays, qui découvrent la liberté — une liberté nouvelle, y compris dans la foi.
Puis, il y a le père Yves Moald, qui a créé sa mission autour d’une déchetterie à Taïwan. Il voulait agir concrètement pour l’écologie. Cette déchetterie est un lieu unique : elle emploie des personnes handicapées mentales et des sortants de prison — ils sont environ soixante-dix à y travailler. Ce qu’il a bâti là est tout simplement incroyable. Il a aujourd’hui plus de quatre-vingts ans !
Enfin, nous sommes allés à Madagascar, à Port-Bergé, dans le nord du pays, où vit le dernier prêtre que nous suivons, le père Gabriel de Lépinau. Sa mission se déroule au cœur des tribus locales, dans un contexte marqué par les croyances ancestrales et le vaudou. Il s’attache à comprendre comment l’Évangile peut rencontrer et dialoguer avec ces traditions.
Qu’est-ce qui vous a marqué chez ces prêtres ?
Il y a d’abord cette radicalité du don total : se donner entièrement aux autres. Mais j’ai aussi voulu, à travers le film, poser la question de leur conscience au moment de leur engagement. Savent-ils vraiment, quand ils sont jeunes, dans quoi ils s’embarquent ? Ont-ils mesuré ce que cela implique de tenir dans la durée ? Les défis sont nombreux : la solitude, les épreuves émotionnelles, l’affectivité… Et comme ce sont des prêtres, on va les « gratter » un peu, les bousculer dans le film.
Dans mon précédent film, Sacerdoce, j’avais filmé des prêtres en France. Cette fois, j’ai voulu les voir plongés dans un contexte culturel complètement différent, pour observer ce qu’il reste de leur foi dans ce choc des cultures, et comment ils transmettent la connaissance de Jésus, cette rencontre qui transforme profondément. Comment s’y prennent-ils concrètement ?
Et puis, au fil du tournage, on découvre aussi leurs maladresses, leurs fragilités. Ce ne sont pas des héros, loin de là. Ce sont des hommes, avec leurs limites, leurs doutes, leurs imperfections. Et c’est précisément ce qui rend leurs parcours si touchants. Malgré leur petitesse, de grandes choses se réalisent à travers eux.
Pourquoi avoir réalisé ce deuxième film ? On dirait que la figure du prêtre continue de vous interpeller, depuis longtemps.
Oui, on peut dire que c’est un peu la suite de Sacerdoce, même si les projets sont en partie distincts. Mais l’origine de ce film remonte à bien avant. Il y a une quinzaine d’années, j’avais eu la chance de visiter une quinzaine de tribus à travers le monde, pendant treize mois. Je voulais retrouver les tribus les plus reculées — en Amazonie, en Afrique du Sud, en Asie… — et c’était très compliqué de les contacter avec ma caméra. Étonnamment, ce n’étaient pas les anthropologues qui m’ont permis de faire le lien, mais les missionnaires. Pourquoi ? Parce qu’ils apprennent la langue locale, parfois pendant des dizaines d’années, et deviennent extrêmement subtils dans la maîtrise des langues ethniques. Ils tissent des amitiés solides avec ces communautés, et cela m’a offert, en tant que réalisateur, une véritable passerelle.
Je m’étais toujours promis de leur rendre hommage, de parler de ce statut très particulier : celui de quitter sa famille, sa patrie, son histoire, et parfois même sa carrière. Qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Je voulais explorer ce don total, cette radicalité de se donner, après un moment spirituel intense, une sorte de conversion profonde. Et puis, confronter ce fantasme à la réalité : la mission se joue sur le long terme, sur le terrain. Parfois, il y a peu de transformations visibles.
On évoque dans le film les « martyrs blancs » et « martyrs rouges ». Les seconds sont ceux qui paient le prix du sang. À Taïwan, par exemple, certains missionnaires savaient qu’ils risquaient leur vie, car les étrangers n’étaient pas acceptés — et pourtant, ils y sont allés. Nous voulions comprendre cette tension entre engagement, danger et persévérance. Les « martyrs blancs », ce sont ceux qui pensent ne servir à rien. Certains passent des années sans que personne ne s’intéresse à leur travail, dans des pays complètement interdits. Mais ce qui ressort, c’est leur humanité.
Pourquoi ce titre, Baroudeurs du Christ ? Est-ce pour faire transparaître le caractère exigeant et aventureux de leur mission ?
Nous avons choisi ce titre parce qu’il capture bien l’esprit de ces prêtres. L’expression existait déjà un peu, et certains se moquaient légèrement d’eux, en disant qu’ils n’avaient aucune limite. Et c’est vrai : ils sont capables de partir en Birmanie dans des zones de guerre, en Corée dans des contextes de tensions importantes, ou en Inde, où les situations peuvent être extrêmement complexes. Aujourd’hui, par exemple, il est très difficile d’accompagner un enfant qui quitte l’hindouisme. Ces missions impliquent de vrais risques.
Mais au-delà de cela, malgré leurs différences, ces hommes partagent un attribut commun : l’aventure et l’exploration. Certains missionnaires ont redécouvert les routes d’Angkor, dessiné les paysages, étudié des langues, traduit la Bible. D’autres ont même construit des villages ou mis en place des systèmes d’eau. Ce côté « baroudeur » nous parle à tous.
Cela me fait penser à saint Paul traversant la Méditerranée, ou aux premiers disciples, qui allaient porter cette bonne nouvelle du Gospel — une parole qui transforme les vies et dépasse largement nos cultures occidentales. Si Jésus est vivant, si c’est vraiment le Fils de Dieu, alors tout change. Et à travers ces missions, on découvre comment cette foi peut rencontrer d’autres cultures et les transformer également.