Par
Julie Bossart
Publié le
8 nov. 2025 à 7h32
Pas d’annonce par voie de communiqué de presse ou d’affichage sur les vitrines. Seulement des rideaux baissés. Qui ne seront plus relevés. En l’espace de quatre mois, deux boutiques Lenôtre ont fermé à Paris. La première, celle située rue Saint-Antoine (4e), à deux pas de Bastille, fin juin 2025 ; la seconde, posée à l’angle de l’avenue de Wagram et de la rue Gounod (17e), le 2 novembre. Un troisième établissement a également récemment disparu de la carte du traiteur de luxe : celui qui prenait place au sein de Cap 3000, galerie commerciale de Saint-Laurent-du-Var (Var).
À l’heure actuelle, dans la capitale et sa petite couronne, ne subsistent plus que sept magasins physiques où s’offrir les pâtisseries fines, viennoiseries, mets salés ou vins de la maison fondée par Gaston et Colette Lenôtre il y a près de soixante-dix ans. Le huitième et dernier représentant du traiteur en France se trouve à Cannes (Alpes-Maritimes). L’enseigne présentée comme une icône de la gastronomie française fait moins saliver. « Ça ne m’étonne pas », nous livre Danièle, une habitante de longue date du quartier rencontrée ce soir-là en face du 121, avenue de Wagram.
« Nous-mêmes on allait chez eux pour du dépannage »
Officiellement, « Lenôtre adapte en permanence son réseau commercial pour répondre aux attentes des clients, justifie auprès d’actu le service communication de l’enseigne. C’est dans ce cadre qu’elle a procédé cette année à la fermeture de trois de ses onze boutiques en France, afin de concentrer ses efforts sur les emplacements les plus pertinents et de créer les meilleures conditions pour poursuivre son développement. Les boutiques concernées (..) n’avaient malheureusement pas rencontré leur public. » Danièle a sa propre expertise.
Faisant fi du crachin qui commence à parsemer son élégant couvre-chef sombre, elle revient sur le lancement de la boutique, il y a bien des années de cela : « C’est vrai, elle a eu du succès à son ouverture. En plus, c’était l’un des rares commerces des environs à ouvrir le samedi et le dimanche. Et il y avait beaucoup de choix et de choses nouvelles. »
Spectateurs privilégiés de cette grande époque, les patrons de la Compagnie française, restaurant situé juste en face de feu Lenôtre, se souviennent du défilé de camions frigorifiques dans la rue. « Ils avaient beaucoup, beaucoup de commandes. Nous-mêmes on allait chez eux pour du dépannage. On prenait des baguettes de pain, des croissants… » Au fil du temps, cependant, la noria des livreurs et des clients s’est assagie.
Des prix non justifiés, selon les riverains
Pour Danièle, la raison est toute trouvée : « Tout était beau et bien présenté, c’est vrai, ça donnait envie, sauf que la qualité s’est dégradée d’année en année. Pendant ce temps-là, les prix ont augmenté. C’était trop cher et moins bon, tout simplement. » Nos deux restaurateurs confirment, légèrement gênés, car ayant une pensée pour les employés – qui se « tous vu proposer un reclassement au sein de l’enseigne », nous affirme Lenôtre : « Ils étaient tous tellement adorables, ce n’est pas de leur faute, mais, franchement, c’était moins bon. Les prix étaient bien trop élevés par rapport à la qualité qui était proposée. Et puis, la concurrence est rude. »
Petit à petit, de nouveaux commerçants se sont lancés. « Il y a juste derrière une boulangerie qui ne paie vraiment pas de mine, mais qui fait de meilleurs gâteaux, et tellement moins chers… », assure Danièle. La riveraine raconte même avoir organisé avec des amis une dégustation à l’aveugle de galettes des rois achetées ici chez Lenôtre, là chez les boulangers-pâtissiers des alentours. Verdict : un silence éloquent.
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Un changement des habitudes de consommation
Symboles de l’excellence à la française, les traiteurs n’ont pas tous su se réinventer et aligner leur offre à des habitudes de consommation qui ont rapidement évolué. En témoigne le plaisir retrouvé de cuisiner chez soi au moment des années Covid, l’explosion de la livraison à domicile, la multiplication des enseignes de fast-food, la difficulté de prévoir les demandes des entreprises… Certaines grandes maisons ont tangué, jusqu’à disparaître.
Entreprise d’épicerie de luxe française fondée en 1854, Hediard a définitivement cessé son activité en 2020, les boutiques historiques de Fauchon à Paris ont fermé, Dalloyau a échappé à la faillite l’an passé, repris par le groupe Potel & Chabot, dont Accor est propriétaire.
Multinationale française spécialisée dans la sous-traitance de services, Sodexo a racheté Lenôtre en 2011, qui a pu « profiter de la puissance de la puissance de Sodexo Live ! dans l’événementiel pour imposer sa marque », ont relaté nos confrères du Figaro. Grâce aux JO de Paris 2024 et à la Coupe du monde de rugby, « 2024 [a été] une très bonne année pour Lenôtre, avec un chiffre d’affaires en hausse de 25 %, assurait il y a an Nathalie Bellon-Szabo, DG de Sodexo Live !. D’un côté, Lenôtre apporte son excellence dans les sites gérés par Sodexo Live !. Et de l’autre, Sodexo Live ! ouvre des opportunités commerciales à Lenôtre. » Contacté, Sodexo n’a pas répondu à nos sollicitations, pour savoir si les signaux faibles émis par Lenôtre auguraient de nouvelles fermetures.
« La Maison reste pleinement engagée à proposer à ses clients une expérience d’exception dans ses établissements, en phase avec les standards d’excellence qui font sa renommée », nous a affirmé de son côté le service communication de l’enseigne.
La patronne de la Compagnie française doute pour sa part que Lenôtre redevienne aussi culte que cette réplique non moins culte de La Vérité si je mens 2 (Thomas Gilou, 2001) : « Pour le traiteur j’ai pensé qu’on pourrait prendre Lenôtre.
– Pourquoi pas. Et qui c’est ?
– Comment ?
– Le traiteur ! Qui c’est ?
– C’est Lenôtre. Mais si vous préférez prendre le vôtre !
– On peut prendre le vôtre.
– Parfait !
– Alors, c’est qui ? J’ai compris, vous voulez pas le dire !
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