BRENDAN SMIALOWSKI / AFP
Donald Trump « inonde de merde » la presse depuis son élection pour instaurer un « contrôle par le chaos ». (image d’illustration lors d’une séance de questions face à la presse dans l’Air Force One le 29 juillet 2025)
ÉTATS-UNIS – Même ses adversaires en conviendront : Donald Trump est un redoutable communicant. Le président américain, qui vient de fêter le premier anniversaire de sa réélection, impose à ses opposants et aux médias une cadence infernale. Suivre l’actualité états-unienne est devenu un sport de combat, alors que les outrances, les mensonges et les annonces polémiques de la Maison-Blanche s’enchaînent à un rythme effréné.
L’interview de Donald Trump sur CBS dimanche dernier est un parfait exemple. Entre un tacle envers la chaîne qui l’accueillait et une provocation sur la police anti-immigration qui n’irait pas « assez loin », le président américain a menacé de priver New York de la plupart de ses fonds fédéraux si Zohran Mamdani était élu maire. « Je suis beaucoup plus beau que lui, non ? », a même digressé le républicain.
Ces déclarations peuvent sembler erratiques, mais elles s’insèrent dans une stratégie pensée par le conseiller populiste Steve Bannon : « Inonder la zone de merde. » « L’objectif est de saturer l’attention des médias – et à travers eux des citoyens – en les noyant dans une débauche de sujets tous azimuts », expose au HuffPost Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
Des propos viraux parce qu’ils suscitent « colère » et « indignation »
« C’est le contrôle par le chaos. Vous n’avez pas le temps d’analyser, de réfléchir, de prendre de la distance », abonde Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine et auteur du livre Les Mots de Trump (Dalloz). « Il le fait aussi lors de ses interviews où il peut lancer une énormité pour changer de sujet et éviter les questions qui le dérangent, notamment sur l’économie », décrypte-t-il auprès du HuffPost.
Difficile pour les journalistes ou les opposants démocrates de savoir où donner de la tête. Le 20 octobre dernier, la presse internationale a dû couvrir en 24 heures les menaces de Donald Trump contre l’Ukraine et la Colombie, son envoi de l’armée à Portland, mais aussi une vidéo 100 % IA partagée par le président américain et où il bombardait ses opposants… d’excréments.
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Les exemples d’énormités ne manquent pas depuis un an et ils sont souvent massivement relayés dans la presse. Non seulement car il est difficile d’ignorer les déclarations du président de la première puissance mondiale, mais aussi pour des raisons financières. « L’économie des médias numériques dépend beaucoup du clic, de la viralité et donc de la psychologie des lecteurs », analyse Lauric Henneton. Or les contenus générant « de l’indignation ou de la colère » sont les plus viraux, et le locataire de la Maison-Blanche l’a bien compris.
Les élucubrations de Donald Trump trouvent en effet leur public sur les réseaux sociaux. La vidéo du bombardement d’excréments citée plus haut compte pas moins de 20 millions de vues sur le réseau social X, contrôlé par le milliardaire conservateur Elon Musk.
« Les effets ne sont pas à la hauteur du bruit initial »
La stratégie d’« inondation » a cependant quelques limites, insistent les experts interrogés par Le HuffPost. « Les effets concrets ne sont pas à la hauteur du bruit initial », relève Lauric Henneton, qui évoque « les nombreux rétropédalages » de Donald Trump, notamment sur les droits de douane. « Il avait fixé un “jour de la libération” début avril, mais il n’en reste pas grand-chose », observe le maître de conférences.
Même son de cloche du côté de Jérôme Viala-Gaudefroy, pour qui la stratégie d’« inonder la zone » est une « fuite en avant perpétuelle ». « Au niveau de la diplomatie internationale, Donald Trump obtient beaucoup moins que ce qu’il dit, développe le spécialiste. Ses discours peuvent fonctionner chez ceux qui ne suivent pas beaucoup l’actualité, mais est-ce que ça va tenir sur le long terme ? »
L’autre limite de la communication trumpiste est d’ordre légal, souligne Lauric Henneton, qui rappelle l’importance des « groupes d’intérêts et des associations », notamment en matière d’environnement et d’immigration. Passé la « sidération » face aux annonces chocs, la société civile se tourne vers la justice qui peut retoquer les décisions qui « franchissent les limites du droit ».
Mais les rétropédalages – volontaires ou contraints – de la Maison Blanche sont toujours « moins médiatisés, moins viraux » que le coup d’éclat initial, concède Lauric Henneton. Là aussi, les biais cognitifs sont en cause puisqu’un recadrage juridique « rationnel » et « beaucoup plus froid » retient moins l’attention des foules qu’une annonce outrancière.
Un danger pour la démocratie américaine ?
Fréquemment sollicitée, la justice a multiplié les recadrages depuis janvier. Ce jeu de Donald Trump avec la légalité interpelle les spécialistes, qui pointent le fait que la stratégie de l’« inondation » s’attaque aussi à l’état de droit américain. « Les mots ont un impact, ils repoussent les limites de la Constitution », résume Jérôme Viala-Gaudefroy. Celui-ci voit dans les annonces polémiques de Donald Trump des « ballons d’essai » pour tester la ligne rouge.
« Ça lui est égal d’être retoqué par les juges : au pire, il se placera en victime et les mettra en cause », raisonne l’expert des États-Unis, pour qui le président américain a un sentiment de « toute puissance » et fait fi des « principes démocratiques ». Son administration « fonctionne à la marge de l’état de droit », s’inquiète pour sa part Lauric Henneton, qui le compare à « un élastique ». « À force de tirer dessus, il finit complètement distendu et on ne peut pas revenir en arrière », explique-t-il.
Difficile de savoir dans quel état l’« inondation de la zone » laissera la démocratie américaine ou si elle finira par se retourner contre Donald Trump. Le président peut compter sur sa base MAGA (« Make America Great Again »), « 30 % de la population qui le suivront jusqu’au bout » souligne Jérôme Viala-Gaudefroy. Cet électorat est séduit par ses outrances qui « leur donnent une impression d’action permanente », note le spécialiste, d’autant plus que « les trumpistes aiment ce qui choque et énerve les “libéraux” ».
Pour garder la main lors des prochains scrutins, les républicains devront cependant aller au-delà de cette base de convaincus, « nécessaire mais pas suffisante », selon Lauric Henneton. Et les provocations de Donald Trump font risquer à son camp une « usure » de l’électorat modéré. Ce dernier pourrait « se lasser de voir les lignes rouges dépassées » et se centrer sur les résultats économiques… mitigés à bien des égards.