Écœurés par un certain laxisme judiciaire (1). En colère contre des remises de peine incompréhensibles. Dégoûtés par les discours sur le « sentiment d’insécurité » qui nie une souffrance bien réelle. Depuis quelque temps, les familles de victimes ne veulent plus baisser les yeux.
Les mots d’Harmonie Comyn, la veuve du gendarme Éric Comyn – « La France a tué mon mari » – fauché par un chauffard multirécidiviste le 26 août 2024 à Mougins, ont déclenché une onde de choc.
De la combativité de Gisèle Pelicot lors du procès des viols de Mazan, à la demande de la mère de Lola, sauvagement assassinée, de lever le huis clos. Ou dernièrement, le témoignage « pour la mémoire » de son fils de la mère du jeune Mathis, tué par un chauffard à Lille.
Les victimes veulent se faire entendre et ne se cachent plus. Un changement qui fait réagir certains magistrats (2). Jusqu’au ministre de la Justice.
Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a annoncé dans sa circulaire du 13 octobre (3) vouloir « recentrer la politique sur les victimes », c’est un signal fort selon vous ?
Oui, il y a une volonté de recentrer la victime au sein de la procédure judiciaire. Dans le département du Var, il y a déjà une politique très offensive pour l’aide aux victimes. Donc je ne vois pas de changement de cap du ministère de la Justice, plutôt l’affirmation de ce qui se fait déjà ici et une harmonisation des pratiques au niveau national.
Le tribunal de Toulon est en avance sur ces questions-là ?
Dans le Var, bien avant la circulaire Darmanin, on a pris en compte la parole de la victime. Je le vois, au niveau des parquets, on communique beaucoup. Par exemple, on informe les victimes des classements sans suite. Il y a cinq ou six ans, les gens se voyaient notifier un classement sans suite avec une lettre, et puis ça s’arrêtait là. Maintenant, le parquet notifie. Et on nous demande de recevoir les victimes pour leur expliquer la signification de cette notification, leur proposer une aide psychologique, un accompagnement dans la procédure, si nécessaire. Cela signifie que les magistrats se sont saisis de la place de la victime, et ont bien conscience qu’on ne peut pas juste envoyer un courrier en disant que votre procédure est classée et que ça s’arrête là.
Les victimes ont été trop longtemps délaissées ?
Je ne suis pas sûre qu’on puisse parler de délaissement. La procédure pénale telle qu’elle est pensée en France, c’est effectivement la mise à l’écart de l’auteur pour le bien de la société, et pour qu’il n’y ait pas de réitération des faits ou de nouvelles infractions. Mais effectivement, on mettait en avant le fait que l’auteur était écarté, sans pour autant mettre en parallèle la souffrance des victimes, la difficulté à reprendre pied après des faits graves, suite à des procès compliqués.
Comment expliquez-vous cette évolution ?
On se rend compte que les victimes ont besoin d’être accompagnées, informées, et considérées. Il y a aussi le fait que maintenant les victimes parlent beaucoup plus. Ce qui ne se faisait pas avant. Les victimes étaient assez muettes. Peut-être qu’on ne leur donnait pas beaucoup la parole, peut-être qu’on ne les écoutait pas assez non plus, mais maintenant, on est dans une période et dans une société où les gens parlent. Les victimes (70 % de femmes) ont de plus en plus la reconnaissance de ce statut, avec un accès aux médias où elles peuvent s’exprimer.
La honte a changé de camp ?
On le voit avec MeToo, on l’a vu avec les infractions à caractère sexuel et sexiste, dans beaucoup de milieux… Les gens ne se taisent plus. La parole s’est libérée du côté des victimes. On a moins un sentiment de honte, de culpabilité, quand on a fait l’objet d’une infraction grave. Si on reprend le procès du meurtre de Lola par exemple, la maman n’a pas demandé le huis clos. Il y a encore quelques années, je pense qu’il aurait été demandé.
Est-ce que derrière cette affirmation des victimes, il n’y a pas aussi la demande d’une justice pénale plus forte, de condamnations plus sévères envers les auteurs de crimes ?
Les personnes qu’on accueille veulent une justice, qu’elle soit rapide et sévère, mais à hauteur de ce qui est possible. On a rarement accueilli des gens qui nous parlaient de peine de mort. Ou des personnes qui avaient un esprit de vengeance. En revanche, les victimes veulent que la loi soit appliquée dans son entièreté. Ça, pour elles, c’est très important.
Quels sont les points d’amélioration dans la prise en charge des victimes ?
Ce qui est compliqué pour une victime, c’est le temps judiciaire. Aux assises par exemple, vous pouvez attendre trois, quatre ans… Les victimes ont du mal à comprendre que ce soit si long. Le temps judiciaire est mal compris.
Les victimes d’infraction pénale sont désormais notifiées de la libération de leur agresseur ?
Oui. Ça, c’est une véritable évolution. C’était une demande forte. Et elle me semble légitime. On veut savoir où est son agresseur. Justement parce qu’on ne veut pas le croiser dans la rue, ou se retrouver nez à nez avec lui au supermarché. Je n’ai pas d’avis à donner sur la libération, qu’elle soit anticipée ou pas anticipée. Ce sont des mesures pénales. En revanche, que les victimes soient au courant que l’auteur est libéré, ça me semble quand même fondamental.
1. Pour 80 % des Français, la Justice est trop laxiste, selon un sondage CSA du 15 mai 2025.
2. Notamment Béatrice Brugère, magistrate, secrétaire générale Unité magistrat et auteure de « Justice : la colère qui monte. Plaidoyer pour une refondation complète » aux éditions de l’Observatoire.
3. Le Syndicat de la magistrature a introduit un recours contre la circulaire du garde de sceaux. Pour rappel, l’ex-présidente de ce syndicat (classé à gauche) Françoise Martre a été condamnée pour injure publique dans l’affaire du « mur des cons ». La photo de Philippe Schmitt, ce père meurtri par la mort de sa fille tuée de trente-quatre coups de couteau par un récidiviste dans le RER D en 2007, avait été punaisée sur le panneau.