« Si on m’avait demandé de partir cette nuit-là, je n’aurais pas hésité une seule seconde », se souvient Anita*, une habitante du 11e arrondissement de Paris. Cette sexagénaire d’origine portugaise, installée avec son mari en France depuis près de 32 ans, habite le seul immeuble faisant directement face à la salle de spectacle du Bataclan. Une localisation offrant une vue immédiate sur ce lieu où s’est déroulée l’une des attaques du 13 novembre 2015.

« Mes deux plus jeunes filles, qui étaient à la maison ce soir-là, avaient 12 et 17 ans. Comme nous étions absents mon mari et moi, c’est la voisine du 1er étage qui s’est occupée d’elles toute la nuit. La plus grande a été traumatisée par ce qu’elle a vu et entendu », confie Anita. « C’était très dur de savoir que c’était notre quartier, notre quotidien qui était visé. »

Comme pour beaucoup de Parisiens, les attentats de 2015 ont marqué la vie d’Anita et de sa famille. Si 10 ans après le calme est revenu dans les rues du 11e arrondissement, les stigmates, quant à eux, demeurent. Et plus encore, ce qui choque aujourd’hui cette gardienne d’immeuble, c’est la « métamorphose » silencieuse de son quartier au fil des années.

« Certains diront que rien n’a changé, que c’est ‘même pas mal’. Ils savent pourtant bien que ce n’est pas vrai, que les hommages ayant lieu tous les ans ont un sens, que les images restent figées même si on repeint les murs, que quelque chose a été détruit ici », soupire Anita.

« Ce n’est plus pareil ici »

Ils ont essayé de renaître de leurs cendres en changeant le nom de leurs enseignes. Plusieurs commerces du boulevard Voltaire, situés entre la station de métro Oberkampf et le boulevard Richard-Lenoir, ont en effet changé d’apparence après les attentats. Des changements de propriétaire parfois très « classiques » et comme il en existe ailleurs dans Paris. Et d’autres, davantage liés aux événements de 2015.

Un temps fermé, le « Ba-ta-clan Café », partageant son histoire et sa façade avec la salle de spectacle, a connu depuis 2015 plusieurs transformations. Devenu « Grand Ba-ta-clan Café » lors de sa réouverture en 2018 et renouant ainsi avec ses origines datant de 1864, il porte désormais le nom de « Diletto ». Une rupture totale avec le passé qui n’aurait « pas de lien avec les attaques », selon l’un de ses garçons de café. « On dit malgré tout que ce n’est plus pareil ici depuis. Que les gens n’ont plus trop envie », ajoute-t-il.

« Je me souviens des grands soirs de concerts, sur la terrasse, c’était quelque chose! Jusque très tard dans la nuit, tous les fêtards se donnaient rendez-vous là et prenaient un verre ou deux. Il y avait du monde dans la rue », se remémore Anita. Et puis tout semble avoir changé avec les attentats qui ont visé, comme dans l’arrondissement voisin, la terrasse de cet emblématique lieu de fête.

À deux pas de là, au 38 bis boulevard Voltaire, se trouve le bar-restaurant « Julo ». En 2015, il s’appelait alors « Le Baromètre » et était devenu tristement célèbre pour avoir abrité à la fois des blessés et des policiers le soir du 13 novembre. La Brigade de recherche et d’intervention (BRI) s’y était, en effet, retranchée près d’une heure avant de donner l’assaut final du Bataclan. « Je connaissais bien ses propriétaires, ils sont partis parce qu’ils avaient vécu trop de choses. C’était devenu difficile pour tout le monde », poursuit la gardienne d’immeuble.

« Jamais de la vie nous ne partirons du 11e »

François* et Michèle* habitent à moins de 50 mètres du Bataclan depuis 1981. Le 13 novembre 2015, la cour intérieure de leur immeuble, partagée avec celle de l’établissement, est alors devenue un hôpital de fortune pour les victimes blessées ayant fui précipitamment la salle de concert. « Quand on y pense, ça fait mal », confie Michèle pour qui la mort n’a pourtant jamais eu raison de la vie.

« C’est chez nous ici. On a connu le boulevard Voltaire avant, on le connaîtra après. C’est comme ça et ça n’enlève rien à ce qu’il s’est passé, mais jamais de la vie nous ne partirons du 11e », martèle la septuagénaire au pied de son immeuble. « On fait de notre mieux pour aménager la cour, pour la décorer », change-t-elle de sujet, pointant du doigt une jardinière de capucines. Pour elle comme pour son mari, il faut maintenant « aller de l’avant. »

« Ça nous a embêtés au quotidien, au début. On en a discuté, entre nous, dans la famille. Ça nous a aidé à décompresser et on a refusé d’en faire un poids. Ça ne nous empêche pas de dormir, assure quant à lui François. Je vais toujours chercher ma baguette le matin, la vie continue. Je resterai chez moi, attentat ou pas. »

Un avis que François et Michèle partagent avec la gardienne Anita. Malgré tout, 10 ans après, en face du Bataclan, certaines blessures invisibles à l’œil nu n’ont pas encore cicatrisé. « Deux de mes filles ont eu besoin d’aller assister à un concert au moment de sa réouverture. Elles ne l’ont pas bien vécu du tout, l’une d’entre elles refuse de revenir dans le quartier depuis. »

La jeune femme, victime d’un choc post-traumatique, a décidé de quitter Paris pour fonder sa famille et n’a plus jamais remis les pieds boulevard Voltaire.

« Je comprends totalement, souffle Anita. Parfois, j’ai encore l’impression de sentir l’odeur des bougies qui étaient amassées sous nos fenêtres pendant des semaines. Pour moi, c’est l’odeur du cimetière. L’odeur de notre quartier. »

*Le prénom a été modifié.

Article original publié sur BFMTV.com