Le ministre du Travail et des Solidarités, Jean-Pierre Farandou, a annoncé que le gouvernement avait l’intention de réserver cette prime uniquement aux familles avec enfant à partir de 2026.

« Décembre, c’est le seul mois où l’on peut redresser le budget. » Au bout du fil, Valérie s’inquiète de la possibilité ne plus toucher, à terme, la prime de Noël, d’un montant de 152 euros pour une personne seule. Elle l’utilise pour régler sa facture d’électricité et son assurance habitation en janvier, pour faire plaisir à des proches (« les enfants de mes amis sont mes enfants de cœur »), et pour cuisiner un meilleur repas qu’à l’ordinaire. « Ce n’est pas pour manger du caviar à la louche non plus ! Ça permet simplement de mettre du beurre dans les épinards. »

Alors que le gouvernement envisage, dans son projet de budget pour la Sécurité sociale, réserver cette prime de fin d’année aux allocataires ayant des enfants, Valérie trouve la mesure « injuste et discriminatoire ». « On taxe toujours les pauvres, les gens qui sont déjà bien dans la misère », soupire-t-elle. Cette bénéficiaire du RSA, qui habite en Centre-Val de Loire, peine à trouver du travail depuis plusieurs années. « A 55 ans, vous savez… Aujourd’hui, ils veulent des gens archi-diplômés et archi-jeunes. »

Mardi 4 novembre, l’annonce de Jean-Pierre Farandou a surpris autant que ses justifications. Invité de la matinale de France Inter, le ministre du Travail et des Solidarités a déclaré : « Je ne suis pas sûr que notre pays ait les moyens de poursuivre ces politiques de générosité maximale ». Dans son viseur, les bénéficiaires du RSA, de l’allocation de solidarité spécifique et de l’allocation équivalent retraite qui vivent seuls. Le ministre de l’Economie s’est rapidement rallié à sa cause. Sur LCI, mercredi, il a jugé qu’il n’était pas « choquant » de réserver la prime de Noël à celles et ceux qui ont des enfants. « On propose de recentrer le dispositif sur ceux qui croient encore au Père Noël, cela semble assez raisonnable », a déclaré Roland Lescure, selon qui cela devrait permettre d’économiser « quelques millions d’euros ».

Mise en place par le gouvernement de Lionel Jospin en 1998, la prime de Noël est pour l’heure versée par la Caisse d’allocations familiales ou France Travail à plus de 2,2 millions de ménages. Si le coup de rabot envisagé par Jean-Pierre Farandou était validé dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026, « les personnes seules, les personnes isolées, les personnes qui n’ont plus d’enfant à charge, ne pourront pas aller voir leurs proches, ne pourront pas faire des cadeaux, ne pourront pas inviter à la maison », a dénoncé le député Hadrien Clouet le 4 novembre, lors de la conférence de presse hebdomadaire du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale.

« C’est ignoble », a réagi sur franceinfo Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône et coordinateur du parti de gauche radicale. Jean-Pierre, 42 ans, illustre une des situations évoquées par Hadrien Clouet : il ne pourra plus prendre le train pour passer le réveillon avec ses parents si la prime de Noël lui est retirée. « Ma famille habite à plus de 400 km de chez moi, je n’y vais que deux fois par an vu les tarifs de la SNCF. Cette aide est nécessaire, sinon, je passerai les fêtes seul », s’inquiète celui qui touche le RSA. Comme Valérie, il dénonce une mesure « injuste », « inadmissible ».

Cette prime de Noël est aussi utilisée par ses bénéficiaires isolés pour des achats ordinaires. « L’année dernière, cela m’a permis de régler des dettes et d’améliorer un peu mon quotidien en mangeant tous les jours », rapporte Catherine, 64 ans. Chaque mois, cette habitante de Fougères (Ille-et-Vilaine) perçoit 568,94 euros de RSA, mais doit sortir de sa poche 160 euros pour payer son loyer. « Heureusement, j’ai les APL », les aides personnalisées au logement, glisse-t-elle. Isolée depuis la mort de son mari et le départ de ses enfants, Catherine dit compter tout ce qu’elle dépense, jusqu’à devoir parfois se restreindre. « A la fin du mois d’octobre, je n’ai quasiment pas mangé et je n’ai plus fumé de cigarettes. » 

Celle qui a longtemps travaillé dans la comptabilité vit très mal les clichés qui collent à la peau des bénéficiaires de minimas sociaux. « Je me sens honteuse d’être au RSA, car on se fait régulièrement traiter d’assistés. Pourtant, la seule chose que je fais, c’est survivre. A Noël, l’année dernière, j’ai fait des poissons panés. » 

« Certains ne se rendent pas compte de notre situation. On nous pointe du doigt alors qu’on essaye de s’en sortir. »

Catherine, 64 ans

à franceinfo

Outre une partie de la gauche, des syndicats et associations ont pris la défense des Français les plus précaires. La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, s’est érigée contre ce choix politique « honteux », « mesquin » et « indécent », sur TF1. La prime de Noël n’est ni « de la générosité » ni « un luxe », a estimé sur RMC la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon. « Il ne faut pas qu’on limite la vision de la précarité aux foyers où il y a des enfants », a par ailleurs souligné, sur France Inter, Nicolas Champion, secrétaire national chargé des solidarités au Secours populaire. « Dans les personnes qu’on accueille, on a 44 % de personnes qui sont seules, des personnes âgées isolées, des étudiants par exemple. »

Que des enfants se trouvent ou non dans le foyer, « moins il y a de ressources, plus les personnes qui sont au RSA fréquentent les Restos du cœur », rappelle Ivan Bertin, responsable de l’antenne dans l’Aube. « Déjà là, en novembre, par rapport à l’année dernière, nous avons 8% d’inscrits en plus et 50% de repas supplémentaires. »

Pour le sociologue Denis Colombi, 152 euros en moins sur une année pour une personne seule disposant de faibles moyens financiers, « c’est énorme ». « Régulièrement, lorsque les minimas sociaux sont réduits, il y a une minimisation des conséquences sur les personnes concernées. On l’a vu lorsque les APL ont baissé de 5 euros par mois« , illustre Denis Colombi. « On sait par des enquêtes sociologiques que ce qui fait le seuil entre une pauvreté et une très grande pauvreté est minime. Quelques dizaines d’euros suffisent à bousculer le quotidien », explique l’auteur de l’ouvrage Où va l’argent des pauvres, citant les travaux de la chercheuse Ana Perrin-Heredia.

Allocataire du RSA, Baptiste, 31 ans, rappelle que « le montant maximum du RSA est très loin du seuil de pauvreté ». Selon le site gouvernemental vie-publique.fr, ce seuil en 2023 était de 1 288 euros mensuels pour une personne. Le montant maximum du RSA pour une personne seule, lui, avoisine les 646 euros. Le jeune homme ajoute que « les personnes sans enfants sont très isolées socialement, ont souvent des parcours de vie tourmentés. Cette aide-là, c’est une bulle d’oxygène. »

Le trentenaire a rompu les liens avec ses parents. Il a plusieurs fois déménagé, choisissant ses villes en fonction du prix de l’immobilier : de Paris, Baptiste est passé par Nantes (Loire-Atlantique) puis Bourges (Cher). Après un cancer, il vient de reprendre des études de français langue étrangère. La prime de Noël lui permettra, cette année, d’acheter des chaussures, des livres académiques ou de « renouveler son matériel informatique ». « Je ne parle même pas d’un ordinateur, mais plutôt d’une souris ou d’un casque audio » pour travailler, se justifie Baptiste.

Le jeune homme rapporte avoir « beaucoup suivi les discussions autour du budget« . « Cette mesure sur la prime de Noël est celle qui m’a le plus mis en colère, elle est très démagogique », juge Baptiste. « On entend beaucoup de voix s’élever lorsqu’on touche à certains groupes de personnes. L’exemple le plus évident, ce sont les fortunés pour qui la taxe Zucman a été rejetée. Ces gens-là ne sont pas beaucoup, mais pèsent des milliards, contrairement aux plus précaires. » Un constat partagé par Jean-Pierre.

« En France, il est plus facile de retirer de l’argent aux plus pauvres qu’aux plus riches. »

Jean-Pierre, 42 ans

à franceinfo

Reconnaissant lui-même sur France Inter que la suppression de la prime de Noël pour les personnes seules pouvait sembler « un peu agressive », Jean-Pierre Farandou s’est dit « ouvert » à son maintien. A une condition : que l' »équilibre » des comptes de la Sécurité sociale reste préservé.