Le président américain l’a dit et répété : un « échange de territoires » est la seule solution pour obtenir une paix entre l’Ukraine et la Russie. Une telle issue, qui permettrait à Kiev de récupérer certains territoires clés occupés par Moscou, forcerait également les soldats ukrainiens à se retirer de certaines lignes de défenses : si ce plan permettrait à Volodymyr Zelensky de mettre fin à onze ans de guerre brutale, il est pour l’instant inacceptable pour le régime ukrainien, qui pourrait également y perdre l’adhésion de la population.
Une option irrecevable pour Kiev
Les modalités d’un échange de territoire sont pour l’instant inconnues, bien qu’elles aient été discutées plusieurs fois lors des négociations tenues entre Vladimir Poutine et Donald Trump en Alaska. Une possibilité convenant aux exigences du Kremlin prévoit que la Russie conserve les pans des régions de Zaporijjia et Kherson qu’elle occupe dans le sud de l’Ukraine, ainsi que la Crimée, et se voit remettre l’intégralité des régions de Donetsk et Lougansk, dont une petite partie est encore contrôlée par Kiev. En échange, les troupes russes pourraient quitter les régions de Soumy et Kharkiv, où Moscou contrôle quelques têtes de pont qui forcent l’Ukraine à diviser ses forces pour empêcher une invasion sur plusieurs fronts.
Le président Volodymyr Zelensky a déjà rejeté une solution de ce type le 12 août, affirmant que le « Donbass est un tremplin pour une nouvelle offensive future » russe. « Si nous quittons le Donbass de plein gré ou sous pression, nous commencerons une troisième guerre », a notamment affirmé le chef d’État ukrainien, faisant référence à l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie ainsi qu’au long conflit entre Kiev et les séparatistes de l’est du pays, dont les territoires ont été utilisés par Moscou pour lancer son invasion en 2022.
Imprévisibilité américaine
Le président ukrainien doit cependant composer avec le locataire de la Maison Blanche, Donald Trump, déterminé à mettre fin au conflit. Ce dernier oscille entre hostilité à l’égard de l’Ukraine et soutien accordé à Kiev face au manque d’enthousiasme de Moscou, qui n’a pas encore accompli ses objectifs militaires. Le chef d’État américain refuse, en accord avec Vladimir Poutine toute entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ; il n’a en revanche pas présenté de modalités concernant l’échange de territoire qu’il met en avant comme solution au conflit.
En cas de désaccord avec Volodymyr Zelensky sur la forme de cet échange de territoire, Donald Trump pourrait tenter de forcer la main à son homologue ukrainien. Au pic des tensions entre Washington et Kiev, ces derniers mois, le président américain n’avait en effet pas hésité à mettre en pause de l’assistance militaire vitale pour l’Ukraine, une menace qui pourrait être mise à nouveau à exécution dans le cas d’un nouveau revirement d’opinion de Donald Trump.
Une majorité de la population opposée à toute concession
La population ukrainienne est pour autant loin d’être ouverte à l’idée de concessions territoriales de cette ampleur. L’article 73 de la Constitution du pays souligne que « la modification du territoire de l’Ukraine ne peut être décidée que par un référendum national », ce dernier ne pouvant être mis en place qu’en réunissant trois millions de signatures d’Ukrainiens en âge de voter, recueillies dans au moins deux tiers des régions ukrainiennes.
Tout référendum serait vraisemblablement un échec : en juin 2025, une enquête du Kyiv International Institute of Sociology soulignait que 52 % des sondés restaient opposés à des concessions territoriales « en toutes circonstances », contre 38 % des interrogés acceptant la perte de certains territoires.
78 % des interrogés rejettent par ailleurs tout transfert de territoire actuellement contrôlé par l’Ukraine à la Russie en échange d’une paix : la cession des territoires du Donbass à Moscou serait donc un suicide politique pour le président ukrainien, qui reste populaire malgré la récente controverse sur l’indépendance des agences anticorruption. D’autant que la population s’oppose également, à 68 %, à une reconnaissance officielle des territoires cédés à Moscou comme étant russes, préférant une perte de facto mais non de jure.
Incertitude dans l’ouest du pays
Les négociations en cours ont un goût particulièrement amer à Sloviansk, une ville brièvement capturée par les séparatistes en avril 2014, avant d’être libérée au cours de l’été de cette même année. La cité de 100 000 habitants avant la guerre à grande échelle vit depuis à proximité de la ligne de front, et serait, de par sa position au nord-ouest de la région de Donetsk, une des toutes dernières cibles dont la Russie devrait s’emparer pour revendiquer le contrôle de l’oblast.
Selon le Wall Street Journal, la plupart des élèves de la ville de Sloviansk ont été évacués et la population est descendue à 50 000 personnes, bien que la ville ait été relativement épargnée en comparaison d’autres zones de la région de Donetsk. Certains des résidents actuels, comme Iryna Bondarenko, interrogés par WSJ, ont déjà fui le front : cette dernière vivait à l’origine à Bakhmout, une ville dont la conquête a coûté la vie à des dizaines de milliers de Russes, en majorité des prisonniers intégrés au groupe Wagner. « Je me sentirais désolée pour ceux qui sont morts pour rien » en défendant cette zone », affirme la jeune femme de 24 ans ; « mais d’un autre côté, ce serait une bonne chose. Trop de gens meurent ».
Des défenses précieuses pour Kiev
Tout comme dans le reste du pays, les habitants de Sloviansk sont loin de partager cet avis unanimement. « Personne ne va abandonner le Donbass », affirme ainsi Mykhailo Lovha, 28 ans, un soldat qui combat depuis le début de l’invasion à grande échelle, en 2022. « Si nous le faisons, ils vont simplement se réarmer et recommencer », juge le combattant. La perte des villes forteresses du Donbass sans un seul combat serait une catastrophe pour l’Ukraine : ces dernières, dont certaines comme Sloviansk sont situées en hauteur, sont facilement défendables, dans une région avec peu de relief et d’obstacles naturels.
Les zones à l’ouest de la région de Donetsk possèdent moins de larges centres urbains fortifiables, et n’ont pas été transformées en ligne de défense. Sans garanties de sécurité exceptionnellement robustes, telles qu’une entrée dans l’OTAN, rien ne dissuaderait donc Vladimir Poutine de repasser à l’offensive. D’autant que les garanties déjà données à l’Ukraine en 1994 en échange de ses armes nucléaires n’ont pas empêché la Russie de repasser à l’offensive. Malgré l’augmentation de la pression américaine, l’abandon par Volodymyr Zelensky de territoires non occupés par Moscou paraît pour l’instant hors du champ des possibilités.
Article initialement publié le 12 septembre.