Alex Ursulet est un habitué des prétoires. Agé de 68 ans, l’avocat a notamment défendu, au cours de sa longue carrière, l’ancien maire de Grenoble, Alain Carignon, ou l’ex-Premier ministre du Sénégal, Idrissa Seck. Il s’est surtout fait connaître en obtenant du tueur en série Guy Georges des aveux lors de son procès devant la cour d’assises en 2001. Le pénaliste, qui connaît bien le palais de justice de Paris, ne portera pas sa robe noire lorsqu’il prendra place, lundi, dans la salle Diderot. Car c’est lui qui est jugé, durant cinq jours, par la cour criminelle départementale de la capitale, pour le viol d’une jeune avocate, désormais âgée de 32 ans. Il encourt dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende.
Les faits dénoncés par la plaignante, révélés par Mediapart, remontent à 2018. A l’époque, la jeune femme est étudiante à l’école des avocats Aliénor de Bordeaux. Dans le cadre de sa formation, elle effectue un stage au sein du cabinet parisien d’Alex Ursulet, un avocat réputé, donc. « Très vite, il a eu un comportement parfaitement inadapté pour un maître de stage, en lui envoyant beaucoup de SMS totalement inappropriés. Au début, ma cliente s’efforce de croire qu’il ne s’agit que de second degré », raconte à 20 Minutes Me Thibault Laforcade, l’avocate de la jeune femme, qui souhaite rester anonyme.
« Magnifique »
Le 30 janvier 2018, Alex Ursulet l’invite à déjeuner dans un restaurant du 16e arrondissement. A quel âge a-t-elle perdu sa virginité ? Combien de partenaires a-t-elle eus ? Au cours du repas, le pénaliste se montre particulièrement intrusif en assaillant sa jeune stagiaire de questions intimes.
De retour au cabinet, Alex Ursulet se serait approché d’elle, l’aurait embrassé avant de lui imposer une pénétration digitale. Sur le moment, la jeune, tétanisée par la peur, semble se laisser faire par son maître de stage. « Quand on est en état de sidération, le cerveau essaye de se protéger. On ne sait plus exactement où on est, on se dit qu’on hallucine, que tout ça ne peut pas être vrai », rappelle Me Thibault Laforcade. « Comme bien souvent dans ce type de cas, ma cliente a, durant de longues minutes, réfléchi à ce qui la mettrait le moins en danger, de s’en sortir avec le moins de dégâts possibles. »
Après les faits, l’ancien associé de Jacques Vergès lui envoie deux textos, notamment pour lui demander de porter des bas au travail plutôt que des collants. « Magnifique », « Des bas ! » lui écrit-il. « Ce dernier message est extrêmement révélateur puisque c’est un ordre, une injonction pour qu’elle puisse en porter dès le lendemain, et que cela soit plus facile pour lui de recommencer », estime l’avocat de la jeune femme.
Radié du barreau de Paris
Au début, sa cliente décide de ne pas déposer plainte et « d’enfouir le plus profondément possible » ce souvenir pénible, pour « avancer » et « tourner la page ». Mais aussi par « peur des représailles, de menaces ». Elle se confie toutefois à une amie, qui lui conseille de partir et l’aide à trouver un nouveau stage.
Mais l’affaire finit par remonter aux oreilles du conseil de l’Ordre qui ouvre, courant 2019, une enquête disciplinaire visant Alex Ursulet. « Coupable de manquements graves aux principes de la profession d’avocat », il est radié en décembre de cette même année du barreau de Paris. Il fait appel de la décision, ce qui lui permet de continuer d’exercer. En avril 2022, la cour d’appel décide d’attendre l’issue de son procès pour viol avant de se prononcer sur une éventuelle radiation.
Me Alex Ursulet, le 12 mars 2018, lors du procès en appel d’ex-salariés d’Air France dans l’affaire de la « chemise arrachée » du DRH de l’entreprise. - Sevgi
Son ancienne stagiaire se décide à déposer plainte en septembre 2019. « Des auditions sont alors menées par les membres de la commission de discipline du conseil de l’Ordre alors qu’elle n’a pas encore déposé plainte. Elle le fait pour se réapproprier son histoire que tout le monde est en train de commenter », explique son avocat.
Alex Ursulet est placé en garde à vue en juin 2020. D’abord placé sous le statut de témoin assisté, plus favorable, il est finalement mis en examen, en décembre 2021, par la juge d’instruction.
« Détermination » et « combativité »
Trois ans plus tard, la magistrate ordonne son renvoi devant la cour criminelle départementale. Dans son ordonnance, elle explique que cet avocat « reconnu par ses pairs » a profité de « sa réputation » pour instaurer un rapport de « domination » avec sa stagiaire, « alternant proximité, réprimandes et compliments ». Pour l’accusation, il a mis en place « un stratagème » visant à « la surprendre » et à « la contraindre à un acte sexuel non consenti ».
Contactés par 20 Minutes, les avocats d’Alex Ursulet, Mes Marie Burguburu et Fanny Colin, n’ont pas souhaité s’exprimer publiquement avant l’audience.
La cliente de Me Thibault Laforcade « est passée par des hauts et des bas », « beaucoup de moments de détresse ». Après une pause de deux ans, elle a décidé « que cette histoire ne l’empêcherait pas de faire ce qu’elle veut sur le plan professionnel ». Celle qui exerce aujourd’hui comme avocate « a gagné en détermination, en combativité », décrit son défenseur. « Elle a décidé qu’elle n’avait plus honte et compris que la honte ne devait pas se situer de son côté à elle », ajoute-t-il. Lors de ces cinq jours d’audience, elle souhaite « que la vérité judiciaire soit enfin posée sur les faits afin de pouvoir avancer sereinement dans la vie ».