Par
Jeanne MORCELLET
Publié le
9 nov. 2025 à 12h00
Il ne voulait pas réaliser un film sombre et catastrophique. Éric le Roch se méfie des clichés, surtout quand il concerne ses voisins percherons, des amis.
Une longue amitié
Depuis 20 ans qu’il a acheté sa « vieille longère de 1860 » dans le Perche Gouët qu’il retape avec assiduité, « je suis très bricoleur », il a tissé des liens avec les agriculteurs du coin.
Et ces liens se sont transformés, au fur et à mesure du temps et des coups de main échangés, en une amitié qu’il conjugue avec bonheur et en toutes circonstances.
À force de partages amicaux, le réalisateur de Mariage chez les Bodin’s a eu l’idée de suivre une famille pendant un an, comme ça, histoire de « voir et de montrer l’invisible, tout ce qui fait la force d’un documentaire ». Après discussion et réflexion, il s’est rangé à l’idée de suivre non pas une mais trois familles.

Les chèvres de Semer et récolter. ©DRVidéos : en ce moment sur Actu
Parti sans ou plutôt avec rien, sans idée préconçue, sans casting, sans même l’idée d’un scénario, sans argent non plus, sans producteur, il se lance dans l’aventure.
Il sait juste qu’il veut signer un film juste et sincère, sans mélo ni catastrophe, sans suicide ni burn-out, « loin des archétypes connus qui servent à la médiatisation et au buzz ».
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Non, Éric Le Roch veut juste faire son travail, lentement, calmement, avec patience et implication, « aller à des endroits, voir ce que j’y trouve, partir sur le terrain, trouver le point de vue adéquat à ma sensibilité et savoir le retranscrire d’un point de vue esthétique ».
Il œuvre seul, sans contrainte, « sans chef opérateur, sans ingénieur du son, sans régisseur ».
Avec sa caméra hybride et son drone, il se sait disponible, « non contraint », de montrer « la force qui affleure, la concorde, l’humanité » à travers trois exploitations, deux élevages de vaches laitières, normandes pour l’une, Prim’Holstein pour l’autre, et un élevage de chèvres pour la dernière quand de toute façon les trois familles font de la culture céréalière, blé, maïs, orge, colza, pour les animaux et la vente.

Le travail des cultures dans Semer et récolter. ©DR
En août 2023, le réalisateur commence sa tâche, filmer un jour sur quatre pendant un an la vie dans l’une des trois fermes. Il veut voir et donner à voir le quotidien des agriculteurs, inconnu du grand public.
Sous le soleil de l’été, il suit l‘enrubannage, accompagne les moissons, enregistre l’ensilage, poursuit avec l’automne et l’hiver les soins aux animaux, tourne sous la lumière du printemps et renoue avec la chaleur de l’été.
En avril 2024, il trouve un partenaire financier, plus tard un producteur.
Il sait alors qu’il va pouvoir diffuser son film et le partager au plus grand nombre, averti ou pas de la vie paysanne.
Il sait qu’il va pouvoir montrer « des personnes courageuses, passionnées, résilientes sur les problèmes et les contraintes qu’elles affrontent au quotidien ».
Son film, répète-t-il, parle d’humanité, « non plus exactement d’expression de l’humanité, de transmission et de la valeur du travail ».

Débat après le visionnage de Semer et récolter ©DR
Le phrasé d’Éric Le Roch est doux et rapide. Ses mots fusent, ses amitiés le nourrissent.
Je tenais à me mettre à hauteur de leur humanité et de leur quotidien.
Eric Le Roch.
À hauteur de la réalité qu’il a perçue, vécue, filmée, celle d’une famille forte de trois générations, d’une autre issue de six générations, de la dernière qui vient de s’installer et qui doit trouver son équilibre financier. Trois familles qui représentent la réalité de l’agriculture, une agriculture saisie sur le vif.
Je ne pouvais évidemment pas prendre deux fois la même prise ! Cette manière de filmer, de saisir le réel sur-le-champ, ici et maintenant, a rendu la chose intense et nourrissante.
Éric Le Roch.
Un documentaire n’est décidément pas une fiction, il se nourrit du réel même s’il exige un point de vue, sincère et habité.
La deuxième vie de Semer et Récolter a débuté dans les salles de cinéma en tournée dans la France entière avant de faire son entrée à Paris le 23 février, en plein Salon de l’Agriculture.

La relève de l’agriculture dans Semer et récolter. ©DR
Pendant six mois, le film part à la rencontre de son public à l’occasion d’avant-premières toujours plus attendues qui sollicitent la présence du documentariste accompagné d’agriculteurs locaux, « qui ont toute la légitimité de répondre aux questions des spectateurs ».
Le plein attire le plein et je crois que les réseaux sociaux fonctionnent bien, on me parle de 10 000 vues par jour sur TikTok !
Eric Le Roch.
Le film trouve son public. Dans les salles de Senonches, Sablé-sur-Sarthe, Val-au-Perche (Orne), Mamers, La Ferté-Bernard, Nogent-le-Rotrou, L’Aigle, mais encore Valréas, Romorantin, Amboise, Nantes, Libourne, Lisieux, Yvetot, Le Havre, Issoire, Vichy, Nevers, Rodez… Semer et Récolter conquiert le cœur d’un public averti et non averti.
Quand je demande aux spectateurs de lever la main pour savoir s’ils appartiennent ou non au monde agricole, j’obtiens un résultat de 50-50 ou bien un tiers d’agriculteurs et deux tiers de personnes détachées du monde agricole mais dont un membre de la famille est ou a été agriculteur.
Éric Le Roch.
Son film, qu’il voulait absolument solaire, « un film de concorde et de bienveillance » suscite beaucoup d’émotions. Ce qui le touche le plus se résume dans cette petite phrase qu’il entend souvent, « ça nous a fait du bien ».
C’est ce bien là, ce bien commun, qu’Éric Le Roch a cherché a montré à travers un travail, la naissance par césarienne d’un petit veau, une vie de famille, un mariage…
Un socle commun d’humanité
Il raconte « un socle commun, cette vie qui est en nous et partout, dans les plantes, les animaux ». Il est heureux de constater que les agriculteurs qu’ils rencontrent dans les salles obscures s’y retrouvent, « pour une fois on voit ce qu’on est, on nous voit manger, travailler, parler en famille, aimer nos animaux ».
Il a cherché à mettre en lumière d’une façon éclairante et pas brillante des familles et des générations d’agriculteurs.
Cerise sur le gâteau, les trois familles qui ont été filmées dans Semer et Récolter sont associées et intéressées à la production du film, autant dire que « les profits sont mutualisés », ce qui rend l’aventure commune d’autant plus exemplaire et solaire. Éric Le Roch savoure sa vie actuelle, « je suis un accouru qui ne court plus ».
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