missile Bourevestnik 9M730,Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Olivier Dujardin

Le 21 octobre 2025, la Russie aurait mené — avec succès, semble-t-il — un essai de son missile de croisière à propulsion nucléaire 9M730 Bourevestnik. L’engin aurait parcouru près de 14 000 kilomètres en quinze heures.

Dévoilé par Vladimir Poutine en 2018, ce programme est en développement depuis une quinzaine d’années, mais s’appuierait sur des recherches entamées dès les années 1980 dans le cadre de projets similaires restés sans aboutissement. Sa mise au point a été jalonnée de nombreux revers, dont certains essais ratés se sont soldés par des accidents graves.

À lire aussi : ANALYSE – Nouveau super missile russe : À qui Poutine veut-il faire peur ?

Si l’arme est encore loin d’être opérationnelle, cet essai réussi marque néanmoins une étape majeure : l’émergence d’une nouvelle catégorie de vecteurs stratégiques, inédite dans le domaine de la dissuasion nucléaire mondiale.

Le 27 octobre 2025, c’était au tour de la torpille nucléaire « dronisée » Status-6 Poseidon d’être testée. Comme le Bourevestnik, ce programme avait été révélé en 2018, mais la durée réelle de son développement demeure inconnue.

Ces armes sont-elles pour autant invincibles ? Relèvent-elles surtout de la propagande, voire du fantasme technologique ? Le missile Bourevestnik a déjà été qualifié de « Tchernobyl volant » par ses détracteurs, tandis que d’autres y voient un tournant dans la stratégie nucléaire russe. La réalité, comme souvent, est plus nuancée

9M730 Bourevestnikmissile Bourevestnik 9M730,

Le Bourevestnik se présente comme un gros missile de croisière : environ 12 mètres au moment du lancement, puis proche de 9 mètres une fois le booster à poudre — nécessaire pour quitter la rampe — séparé. À l’instar de nombreux missiles de croisière, sa vitesse est majoritairement subsonique (ordres de grandeur cités : 850 à 1 300 km/h) et sa trajectoire de croisière se situe très près du sol, entre 25 et 100 mètres de hauteur.

Propulsion :

La particularité technique revendiquée du Bourevestnik tient à sa propulsion : un turboréacteur à réacteur nucléaire embarqué. Les informations publiques sont peu nombreuses ; en se limitant aux déclarations russes évoquant une autonomie « illimitée » ou la capacité à voler plusieurs jours, on peut raisonnablement estimer qu’il s’agit d’un réacteur à cycle ouvert. Dans ce principe, l’air ambiant est aspiré, chauffé très fortement par le réacteur, dilaté puis éjecté par une tuyère — l’air joue alors le rôle de « carburant », ce qui permettrait une très grande portée théorique puisqu’aucun carburant classique n’est nécessaire pour la phase de croisière.

Certains analystes évoquent toutefois un cycle hybride avec l’injection occasionnelle d’un propergol (ou d’hydrogène) dans le réacteur, à la manière d’une post-combustion, pour augmenter la poussée lors de phases particulières du vol (remontée brutale d’altitude, accélération en phase finale). Dans ce cas un réservoir embarqué serait prévu, mais n’interviendrait que ponctuellement.

À lire aussi : DÉFENSE – Le missile de croisière russe Banderol : Une nouvelle menace stratégique dans le contexte géopolitique

Guidage :

Le guidage combinerait une navigation inertielle, des corrections par satellite GNSS (GLONASS) et une cartographie numérique du terrain. Pour voler si bas en sécurité et rester précis, le missile nécessite des modèles numériques de terrain détaillés et donc un niveau de préparation particulièrement important. Ce profil de vol contribue à sa discrétion : en volant très bas il peut rester sous la plupart des faisceaux radar, d’autant plus que sa forme aérodynamique ne paraît pas particulièrement optimisée pour une diminution de la signature radar. Son modèle de profil de vol n’est pas fondamentalement différent de certains missiles de croisière conventionnels (par exemple SCALP/Storm Shadow).

Charge militaire :

Le Bourevestnik est présenté comme un vecteur de dissuasion équipé d’une charge nucléaire. L’existence d’une propulsion nucléaire embarquée soulève la question d’une utilisation conventionnelle : en l’état, une version non nucléaire semble peu compatible techniquement avec ce mode de propulsion, qui laisse des résidus radioactifs et pourrait générer une contamination au point d’impact. Cela dit, dans l’hypothèse d’une frappe nucléaire, la problématique de la pollution locale liée à la propulsion n’est plus vraiment une question.

Status-6 Poseidon

Le Poseidon prend la forme d’une torpille aux lignes classiques mais aux dimensions hors norme : 20 mètres de long pour un diamètre donné d’environ 1,8 mètres. Avec une masse de l’ordre de 110 tonnes, il s’agit d’un engin imposant conçu pour emporter une charge nucléaire dont la puissance évoquée dans les sources ouvertes varie largement — de l’ordre de quelques mégatonnes jusqu’à plusieurs dizaines (de 2 à 100 Mt selon les sources).

Propulsion et autonomie

La propulsion est assurée grâce à un mini-réacteur nucléaire embarqué, qui, d’après les descriptions publiques, offrirait une autonomie quasi « illimitée » — d’autres sources mentionnent une portée théorique de l’ordre de 10 000 km. Ces estimations reposent sur l’idée qu’un réacteur embarqué libérerait l’engin des contraintes de stockage énergétique conventionnel.

Vitesse et performances hydrodynamiques

Les chiffres de vitesse disponibles sont contradictoires : certaines annonces évoquent une fourchette allant de l’ordre de 70 nœuds à plus de 200 nœuds. Ce point soulève des réserves techniques : la géométrie et la masse de l’engin rendent improbable la mise en œuvre d’une supercavitation à très haute vitesse similaire à celle observée sur les torpilles VA-111 Chkval. Il paraît donc plausible que la vitesse opérationnelle réelle soit significativement plus basse que ce qui peut être annoncé et que des valeurs proches ou inférieures à 70 nœuds correspondent davantage à des ordres de grandeur crédibles en conditions réelles.

Profondeur et capacité opérationnelle

La profondeur maximale évoquée (environ 1 000 m) n’est pas, en elle-même, invraisemblable pour un véhicule inhabité et renforcé ; elle reste une donnée plausible compte tenu de l’absence d’équipage et des impératifs de robustesse structurelle dans les conceptions militaires de ce type.

Guidage, télécommande et incertitudes

Les informations publiques font défaut sur les systèmes de navigation embarqués et, surtout, sur la possibilité de communication une fois l’engin mis à la mer. Il n’est pas établi si le Poseidon dispose de moyens fiables de liaisons sous-marines permettant de modifier une cible ou d’interrompre une mission après le lancement. Une telle capacité impliquerait des systèmes de communication acoustique (peu probable) ou la possibilité de remonter périodiquement à faible profondeur ou en surface pour établir un lien — des solutions techniquement envisageables, mais qui introduisent des contraintes opérationnelles.

En résumé, le Poseidon combine des caractéristiques hors normes et plusieurs inconnues techniques majeures : son format et son réacteur embarqué le distinguent clairement des torpilles conventionnelles, mais des questions substantielles demeurent sur ses performances réelles en vitesse, son comportement hydrodynamique et ses capacités de commandement après lancement.

À lire aussi : Le Grand Entretien du Diplomate avec David Rigoulet-Roze : « La “guerre des 12 jours” constitue un épilogue temporaire et non-définitif du fait du maintien du régime

Ces nouvelles armes pourquoi faire ?

Les Bourevestnik et Poseidon, sans équivalent dans les arsenaux actuels, peuvent être qualifiés d’armes de contournement. En s’affranchissant du schéma classique de la dissuasion fondé sur les missiles balistiques intercontinentaux, la Russie cherche à échapper aux systèmes de défense anti-missiles, même si l’efficacité réelle de ces derniers contre des missiles balistiques modernes — dotés de têtes multiples et de leurres — demeure très incertaine.

Ces deux vecteurs nucléaires, au concept unique, sont conçus pour déjouer toutes les défenses existantes. Mais leur intérêt principal pourrait se situer ailleurs. Car si l’on se focalise souvent sur leur capacité théorique à percer les boucliers antimissiles et sur leur potentiel d’armes de seconde ou de troisième frappe, cet argument a une portée limitée : la Russie dispose déjà de moyens suffisants pour riposter à une attaque nucléaire d’envergure.

Le véritable atout de ces systèmes pourrait résider dans leur capacité à être déployés et lancés de manière quasi indétectable. Le lancement d’un missile balistique est repéré quasi instantanément par les constellations de satellites d’alerte et les radars d’alerte avancée (ABM). En revanche, le départ d’un missile de croisière — même de grande taille — ou celui d’une torpille sous-marine peut passer totalement inaperçu, surtout si les zones de lancement se situent en dehors des régions traditionnellement surveillées.

Ainsi, par exemple, un missile Bourevestnik embarqué sur un bâtiment en mer pourrait, s’il était tiré depuis le Pacifique Sud, échapper à toute détection. Le pays visé n’aurait aucune connaissance immédiate de l’attaque, d’autant que le missile, disposant d’une très longue autonomie, pourrait « prendre son temps » pour contourner les zones de veille radar ou de défense antiaérienne. Le même principe s’appliquerait à la torpille Poseidon, capable de progresser discrètement en profondeur avant d’atteindre ses cibles côtières.

Dans un tel scénario, un État pourrait être frappé sans savoir d’où vient l’attaque — une situation qui rendrait toute riposte immédiate extrêmement complexe faute de certitude sur l’origine du tir. La coïncidence veut que le film récemment diffusé sur Netflix, A House of Dynamite, aborde justement cette problématique : comment réagir lorsqu’une frappe nucléaire survient sans preuve certaine de l’identité de son auteur ?

À lire aussi : ANALYSE – Russie-Chine : Une alliance pétrolière face aux pressions occidentales

*

*          *

Au-delà des prouesses techniques que nécessite la miniaturisation d’une propulsion nucléaire embarquée, ces systèmes ne bouleversent pas le principe même de la dissuasion : ils n’apportent pas de capacité de destruction fondamentalement supérieure à celle des missiles balistiques déjà en service. Ils ne sont pas véritablement « furtifs » au sens où on l’entend pour les aéronefs ; leur atout principal tient plutôt à leur cinématique — capacité à évoluer hors des réseaux de détection classiques et à effectuer de larges détours —, ce qui augmente leur probabilité de survie jusqu’à la cible.

En pratique, ces armes ouvrent toutefois la porte à de nouvelles stratégies de frappe. Un lancement de missile balistique intercontinental est, aujourd’hui, rapidement détecté et localisé par des constellations satellitaires et des radars d’alerte : l’identité de l’émetteur est alors souvent établie en peu de temps car les pays détenteurs de telles capacités sont limités. Les vecteurs comme Bourevestnik ou Poseidon peuvent, en revanche, être mis en œuvre depuis des zones peu surveillées et très éloignées de leur cible, progresser discrètement et frapper par surprise depuis des axes peu protégés. On peut imaginer, par exemple, un Bourevestnik lancé depuis des eaux éloignées qui « prendrait son temps » pour contourner les zones de veille avant d’atteindre des objectifs stratégiques profondément à l’intérieur du territoire adverse.

Un scénario possible est celui d’une frappe « décapitante » : frapper d’un coup les centres de commandement et les relais de décision de l’État visé pour créer une vacance de la chaîne de commandement, rendant plus aisée une attaque nucléaire secondaire mais plus importante visant à neutraliser une large part des capacités de riposte. Dans cette optique, ces vecteurs pourraient être pensés comme des armes « de premier emploi » particulièrement pernicieuse.

Pourtant, la communication russe autour de ces programmes suggère aussi une dimension essentiellement doctrinale et politique : en proclamant leur existence, Moscou renforce un message de dissuasion — ces systèmes demeurent des armes de non-emploi. De nombreuses incertitudes persistent par ailleurs sur leurs performances réelles : certaines caractéristiques techniques publiquement avancées peuvent être sujettes à caution, et l’absence de mise sur le marché à l’export confère au pouvoir politique une marge de manœuvre pour, potentiellement, exagérer certaines caractéristiques.

Il ne faut cependant pas tomber dans l’écueil d’une sous-estimation systématique : l’histoire récente a montré que certaines capacités russes, longtemps relativisées en Occident, se sont avérées opérationnelles — on pense notamment aux systèmes hypersoniques (Kinzhal, Zircon) ou à des programmes comme le Su-57 longtemps jugées avant tout comme des programmes de propagande et de communication.

Au final, ces nouvelles armes constituent d’abord un message stratégique adressé à l’Occident : la Russie entend rappeler qu’elle conserve la capacité de faire peser une menace crédible sur tout adversaire éventuel, y compris en visant à neutraliser des capacités ennemies avant même qu’une riposte ne soit déclenchée. Cela amène également à s’interroger sur la pertinence et le coût des dispositifs défensifs centrés exclusivement sur la protection contre les missiles balistiques, et alimente le débat sur la viabilité et l’efficacité de projets de boucliers antimissiles tel le « Golden Dome » si chère à Donald Trump.

À lire aussi : La prolifération nucléaire et la course aux armements … les dommages collatéraux stratégiques de la guerre russo-ukrainienne [ 2 – 2 ]

#Bourevestnik, #Poseidon, #Russie, #MissileNucléaire, #ArmeDeDissuasion, #GuerreFroide, #VladimirPoutine, #TechnologieMilitaire, #Géopolitique, #OTAN, #ÉtatsUnis, #TorpilleNucléaire, #ArmeStratégique, #GuerreNucléaire, #MissileDeCroisière, #DissuasionNucléaire, #ArmesRussie, #CourseAuxArmements, #ArmesDeDestructionMassive, #InnovationMilitaire, #PropulsionNucléaire, #PoseidonStatus6, #Bourevestnik9M730, #Poutine2025, #DissuasionMondiale, #Géostratégie, #ConflitMondial, #SécuritéInternationale, #StratégieRusse, #NucléaireRusse, #DéfenseAntimissile, #GoldenDome, #ArmesDeFutur, #MilitaireRusse, #ArmementNucléaire, #GuerreTechnologique, #PropagandeRusse, #AnalyseGéopolitique, #MissilesRussie, #PuissanceMilitaire,