«On est rassuré, mais on attend de voir comment la suite va se passer », souffle timidement Sabhia, 61 ans après une rencontre avec Vincent Jeanbrun, ministre de la Ville et du Logement, accompagné par le maire Alexandre Vincendet (Horizons) de Rillieux-la-Pape. La sexagénaire habitait depuis quinze ans dans l’immeuble qui a pris feu samedi dans cette commune de 32.000 habitants près de Lyon.
Sa voisine d’en face raconte : « On lui criait de sortir, on voyait la fumée et les flammes. On avait si peur que des bouteilles de gaz explosent… J’ai hébergé Sabhia la nuit qui a suivi : elle n’a pas dormi, elle n’a pas mangé… Elle était complètement traumatisée. »
Un tournage de clip qui dégénère
Samedi vers 15 heures, un groupe de 20 à 30 jeunes, certains masqués, d’autres avec une combinaison blanche, tournait un clip sans autorisation avec le rappeur local BFK.16, âgé de 18 ans. Selon la préfecture, l’arrivée d’une patrouille de police a déclenché des jets de projectiles. Un tir de mortier aurait alors atterri sur un balcon, provoquant l’incendie qui a ravagé cinq appartements.
Cet après-midi des individus vêtus de combinaisons blanches et noires ont fait usage de mortiers au cours d’un tournage d’un clip de rap illégal sur la voie publique à Rillieux-la-Pape. Ils ont ensuite visé des policiers nationaux qui étaient présents en stationnement.
Ces tirs… pic.twitter.com/s3J21GhVCS
— Préfète de région Auvergne-Rhône-Alpes et du Rhône (@prefetrhone) November 8, 2025
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« Les choses sont allées très vite », retrace Marc*, un habitant de cet immeuble. « Des jeunes ont frappé à toutes les portes pour évacuer les gens en attendant les secours », dit-il, rapportant les propos de ses filles présentes dans l’appartement au moment des faits. « Elles ne réalisent pas complètement ce qu’il s’est passé mais ça a été violent. Ma petite s’est évanouie devant l’immeuble en voyant les flammes… », lance-t-il, très affecté par les faits.
Une cellule psychologique mise en place
Lila, qui vivait au 3e étage, est elle aussi traumatisée. « J’ai perdu toute ma vie », lâche-t-elle, anéantie. « Plus de maison, plus de souvenirs, plus rien. Je suis à la rue avec ma famille. Pour ma fille de 16 ans, c’est terrible. Elle n’a plus d’affaires de cours, plus d’ordinateur, plus de chambre… Je vivais là depuis vingt-deux ans. »
Après le passage du ministre dans cette commune, les services de l’Etat ont annoncé qu’une cellule psychologique allait être mise en place « dans la soirée ». « On a besoin d’un vrai accompagnement, pas juste de promesses, lâche-t-elle. Pourquoi il a fallu trois jours pour que les autorités réalisent ? Moi j’ai été choquée, j’ai eu peur, je cours partout depuis entre les rendez-vous médicaux et les assurances. Je n’imagine même pas l’état psychologique des enfants et des conséquences que ça va avoir ! »
L’incendie a complètement ravagé cinq appartements. Aucun blessé n’est à déplorer. - E. Martin / 20 Minutes
Au total, 39 personnes n’ont pas pu regagner leur logement et ont été prises en charge. Cinq appartements ont été ravagés par les flammes, « inutilisables ». « Trois ont complètement été détruits, deux ont eu beaucoup de fumée, qui ne sont plus habitables », a précisé la préfecture du Rhône. Les résidents ont rapidement pu être évacués, aucun blessé n’est à déplorer.
Des versions qui s’opposent
Ce lundi après-midi, le ministre de la Ville a justement tenu a remercié et apporté son soutien aux forces de l’ordre et de secours qui ont œuvré. « Elles ont été exemplaires et héroïques qui ont sauvé la vie des familles qui étaient menacées dans l’incendie », a-t-il affirmé. Depuis samedi, certaines rumeurs circulent affirmant que les pompiers avaient mis une trentaine de minutes pour intervenir. « Un premier équipage est arrivé au bout de sept minutes, puis des renforts au bout de onze minutes », assure un pompier qui était sur place. « C’est un délai rapide », assure-t-il.
Et d’ajouter : « On a travaillé 3/4 de notre temps sereinement. A la fin de notre intervention, il y a quelques échauffourées mais entre les jeunes et les policiers. Mais rien qui ne nous concernait. » Au total, environ 70 sapeurs-pompiers ont été mobilisés pour maîtriser les flammes.
Certains habitants interrogent également la version des faits « officielle ». Elise Sabin, conseillère municipale dans l’opposition, confie auprès de 20 Minutes qu’un « palet lacrymogène » tiré par la police pourrait être à l’origine du feu, rapportant des témoignages de résidents. Une version démentie par la préfecture. « Les images sont claires », appuie-t-elle. « On demande de la transparence et à voir les images de vidéosurveillance », réclame alors l’élue d’opposition.
« Il faut rétablir la vérité »
Au cœur des barres d’immeubles du quartier Michelet, Vincent Jeanbrun a rappelé les faits « d’une gravité exceptionnelle ». Pour lui, il n’y a pas de doute quant aux responsables. « Ceux qui ont mis le feu à ce bâtiment ne sont en rien des porte-paroles de nos quartiers, ils ont été les incendiaires, et ils auraient pu être des meurtriers sans l’action des forces de l’ordre », s’est-il exclamé.
Le ministre de la Ville Vincent Jeanbrun en déplacement après le violent incendie, avec le maire de Rillieux-la-Pape, Alexandre Vincendet. - E. Martin / 20 Minutes
« Il faut rétablir la vérité, a ensuite complété Alexandre Vincendet, le maire de la ville. Et la vérité c’est que ce sont des voyous qui sont venus avec des mortiers, qui ont tiré sur des policiers. Ces derniers ne sont intervenus qu’après avoir été la cible de ces tirs. Ils ont été attaqués parce qu’ils portaient l’uniforme de la République. Il y aurait pu avoir des morts, des habitants ont failli y passer. C’est scandaleux ! »
« Le clip de rap, c’est un détail »
Mais dans le quartier, beaucoup rejettent ces discours. Pour Alexandre*, 33 ans, qui vit au Michelet depuis toujours, « le clip de rap, c’est un détail ». « Les jeunes en ont juste marre de se faire de traiter de voyous depuis des années par un maire qui les a abandonnés, lâche-t-il, assurant être porte-parole de la jeunesse de ce quartier. Le maire a attisé la haine avec ses propos et son mépris. »
Gustave*, acteur social dans le quartier depuis vingt-cinq ans, renchérit : « Plus rien n’est fait pour accompagner nos jeunes, toutes les associations de quartier sont démontées, les jeunes sont délaissés, livrés à eux-mêmes, et sans cesse stigmatisés par les autorités. » Il sentait que « quelque chose allait se passer ». « C’était ça ou un mort… », lance-t-il.
Des tags dans le quartier Michelet, à Rillieux-la-Pape. - E.Martin / 20 Minutes
Alexandre, reprend : « Rillieux, ce n’est pas Chicago, c’est une ville qui a la dalle, qui est pauvre. Alors, oui, il y a de la délinquance, mais c’est la façon des jeunes d’exprimer leur colère parce que personne ne veut les écouter. » Alors que le maire et le ministre circulaient entre les barres d’immeubles, il a tenté de les interpeller. Sans résultat. « Tout ça pour quoi alors s’ils ne discutent même pas avec les habitants ? ! », s’insurge-t-il.
Avant de repartir, le ministre de la Ville a rappelé la volonté de l’Etat de « ne pas céder à la violence » et de « continuer à rénover les quartiers », promettant une réponse judiciaire ferme. Aucune interpellation n’a eu à ce stade. En attendant, des CRS ont été déployés en renfort dans le quartier. Ils sont désormais 70 à veiller sur la sécurité de la ville. « On a surtout besoin de dialogue et de cohésion sociale, conclut Marc. Pas d’amalgames. »
* Les prénoms ont été modifiés