Il y a près d’un mois, la France se faisait voler la couronne impériale au Louvre, devenant la risée du monde. Que les meurtris des joyaux relativisent, les Etats-Unis, eux, viennent de perdre plus de 1.000 milliards de dollars, suscitant plus de craintes que de moqueries.
Plus précisément, le Nasdaq, regroupant les principales cotisations de l’intelligence artificielle américaine, a perdu 3 % la semaine dernière, soit plus de 1.000 milliards de dollars de valorisation. A lui seul, Nvidia, qui produit les processeurs nécessaires au fonctionnement de l’IA, a perdu 350 milliards de dollars. Ne manquait plus qu’un oiseau de mauvais augure, trouver en la personne de l’investisseur Michael Burry. Ce Nostradamus de malheur, célèbre pour avoir anticipé la crise des subprimes en 2008, a misé 1,1 milliard de dollars la semaine dernière sur la chute des actions de Nvidia et Palantir. Alors, la fin est-elle proche ?
Des investisseurs nerveux et un marché tendu
Après une euphorie boursière interminable – Nvidia vaut plus que le PIB de l’Allemagne et plus de deux fois le CAC40 à lui tout seul, « il y a une nervosité sur les marchés », reconnaît Alexandre Kateb, économiste fondateur de Multipolarity AI, une entreprise d’intelligence économique. Les investisseurs, si prompts à cracher les dollars les mois précédents sont désormais doublement inquiets.
Première question remplie d’anxiété, les revenus qui seront générés par la technologie seront-ils suffisants pour rentabiliser les fols investissements ? Ensuite, « l’effet de levier ». Pour les construire leurs infrastructures et accroître leur modèle, certains géants, comme OpenAI, papa de ChatGPT, emprunte en masse sans avoir les fonds pour leur ambition démesurée. D’où des soubresauts boursiers. « Ils sont rivés sur les résultats trimestriels pour voir si le momentum va se poursuivre », poursuit Alexandre Kateb. Le moindre signe de ralentissement, notamment par les ventes de Nvidia, véritable baromètre de ce marché, peut affoler l’échelle de Richter des places financières.
« Encore beaucoup de marges à la hausse »
A ce titre, les résultats bons mais moins qu’espéré, du géant des processeurs expliquent le frémissement de la semaine dernière et les 3 % perdus. De là à y voir les premiers signaux de l’apocalypse, Julien Pillot, économiste et enseignant-chercheur à l’Inseec Business School, rassure : « Une correction de 3 %, ce n’est pas l’explosion d’une bulle ». Les marchés technologiques sont durablement en surchauffe, avec une surévaluation de leurs valeurs de 10 à 15 %. Ce qui explique ce genre de réajustement boursier, sans amener à la panique générale.
Antoine Andreani, analyste senior des marchés financiers chez XTB, confirme qu’il « reste beaucoup de marge à la hausse » dans le secteur de l’IA. La semaine dernière était « une de ces petites corrections naturelles », mais voilà déjà que le SP500 – CAC40 sous testostérone des Etats-Unis – repart à la hausse. « Il y a des investissements phénoménaux depuis deux mois, et qui devraient continuer à être conséquents en 2026 », poursuit l’analyste. En instaurant des droits de douane, Donald Trump « a forcé les investissements à se faire aux Etats-Unis, et donc sur l’intelligence artificielle, moteur de la bourse depuis octobre 2023. »
Une comparaison non pertinente avec l’an 2000
Pour Julien Pillot, les comparaisons qui fleurissent partout avec l’explosion de la bulle Internet en l’an 2000 sont bien peu pertinentes. Les géants actuels de l’IA – Microsoft, Amazon, Google, Apple, Nvidia, Tesla – sont des entreprises très déjà largement bénéficiaires et robustes, ayant pour la plupart des activités diversifié et structurellement solides. Loin de la situation il y a 25 ans : « Une bulle sur des promesses extrêmement nébuleuses et un Internet pas du tout démocratisé. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est déjà implantée et fait déjà partie de nos vies et de nos industries. Les entreprises dont on parle ont des fonds propres et des positions concurrentielles inédites. On n’est pas dans le cas d’une start-up qui va lever des fonds obscurs, mais des champions du capitalisme numérique qui alimentent beaucoup sur leurs fonds propres dans l’IA. »
Même réserve sur la comparaison avec la bulle de l’an 2000 chez Alexandre Kateb : « Les infrastructures sont beaucoup plus grandes et nécessitent beaucoup plus d’investissement », créant une économie propre renforçant la solidité de l’édifice.
On a quand même (un peu) le droit de paniquer
Pourtant, des signaux d’inquiétudes sont bien là. La profitabilité – niveau de résultat net par rapport au chiffre d’affaires – peine encore à convaincre, en raison des coûts extrêmement coûteux. « En dehors des six, sept géants, les 200-300 start-up derrière peinent à être rentable », poursuit Gilles Babinet, entrepreneur et président de la Mission caféIA. Même OpenAI espère une profitabilité… en 2029.
Pour l’expert, les folles promesses de l’IA seront tenues, mais pas nécessairement dans le temps vendu. « L’engrenage de valorisation est tel que les dirigeants sont obligés de raconter n’importe quoi, notamment sur les délais », plaide-t-il. De quoi refroidir certains investisseurs, et créer la chute d’un château de processeurs ?
L’intelligence artificielle au bord de la crise ?
« Les montants sont délirants, l’intelligence artificielle est responsable à elle seule de la croissance des Etats-Unis », rappelle Gilles Babinet. « Si elle chute, les conséquences ont de fortes chances de se répliquer sur le reste de l’économie ». Antoine Andreani voit bien « une bonne correction – un réajustement des valeurs – en 2026 ». Mais l’économiste Philippe Crével le rappelle : « Sur de telles sommes, un mouvement panique peut-il facilement tout emporter ». Même sur l’intelligence artificielle, on ne raisonne pas le cœur des hommes.