Née en 1976 dans une région d’Angleterre où l’horizon se perd dans les collines plutôt que sur la mer, Ellen MacArthur découvre la navigation par hasard, en ouvrant un vieux manuel trouvé dans la bibliothèque de son école. Le coup de foudre est immédiat. À huit ans, elle rêve déjà de traversées et de liberté. Elle met chaque pièce de côté, cachant son argent de poche dans une boîte à biscuits pour s’offrir un minuscule dériveur.
Adolescente, elle apprend la patience et la rigueur auprès des bateaux qu’elle répare elle-même. Sur l’île de Wight, elle étudie la charpenterie navale le jour et s’entraîne la nuit, refusant de céder aux obstacles financiers ou physiques. Loin des circuits privilégiés, elle construit son parcours à la force du vent et de la volonté. À vingt-quatre ans, elle termine deuxième de la Route du Rhum. Deux ans plus tard, elle s’impose sur le Vendée Globe, prouvant qu’une jeune femme partie de rien pouvait rivaliser avec les plus grands marins du monde.
Le triomphe et la révélation
En 2005, Ellen MacArthur s’élance pour battre le record du tour du monde en solitaire. Pendant plus de soixante-dix jours, elle affronte les vagues, les réparations d’urgence et la solitude absolue. Lorsqu’elle franchit la ligne d’arrivée, elle devient la femme la plus rapide de l’histoire à avoir accompli cette traversée. L’Angleterre la célèbre, la reine l’anoblit, la France la décore.

Le trimaran B&Q/Castorama, avec lequel Ellen MacArthur a bouclé en 2005 son tour du monde en solitaire record. C’est à bord de ce bateau qu’elle a pris conscience de la fragilité de la planète et de la nécessité de repenser nos modes de vie. © Franck from Bordeaux, Wikipedia
Mais derrière cette gloire se dessine une autre vision. Dans l’immensité du globe, la navigatrice a vu les traces du dérèglement : des glaces qui s’effritent, des océans chargés de plastique, des espèces disparues. À bord, tout est compté : la nourriture, l’eau, l’énergie. Elle comprend que la Terre obéit aux mêmes règles que son bateau. Ce qu’elle a vécu en mer devient la métaphore d’un monde fini où chaque ressource compte.
Prendre un autre cap
Cinq ans plus tard, à l’apogée de sa carrière, Ellen MacArthur décide de quitter la compétition. Beaucoup s’étonnent, mais pour elle, ce n’est pas une rupture : c’est une suite logique. « En mer, on vit avec des ressources limitées. Ce que j’ai appris là-bas s’applique à la planète entière », explique-t-elle.
En 2010, elle crée la Ellen MacArthur Foundation, avec un objectif clair : transformer l’économie pour qu’elle fonctionne à l’image de la nature. Plutôt que de produire, consommer et jeter, elle propose un modèle circulaire, fondé sur la régénération et la réutilisation des ressources. En quelques années, sa fondation devient un moteur d’idées et de solutions concrètes, collaborant avec des entreprises, des scientifiques et des institutions à travers le monde.
Naviguer autrement
Ellen MacArthur ne sillonne plus les mers, mais elle continue de tracer des routes. Elle avance avec la même endurance qu’à la barre de son trimaran, mais désormais sur un océan d’idées. Loin des discours creux, elle privilégie le travail patient, la pédagogie et l’exemple. Pour elle, la transformation ne se décrète pas, elle se construit, méthodiquement, comme une traversée longue et exigeante.
Cette discipline acquise au large est devenue son éthique. Elle parle souvent de ces nuits où chaque watt d’énergie et chaque litre d’eau douce comptaient. Ce sens de la mesure, elle l’a simplement transposé à l’échelle du monde. Dans une époque saturée d’urgences, son message tient en une phrase : « Rien n’est infini, mais tout peut être repensé. »
Une boussole pour la planète
Devenue une référence mondiale de l’économie circulaire, Ellen MacArthur incarne une écologie pragmatique et inspirante. Décorée de la Légion d’honneur et lauréate du Prix Princesse des Asturies pour la coopération internationale, elle relie aujourd’hui le courage individuel et l’intelligence collective.
À l’approche de la COP30, qui se tiendra au Brésil, sa trajectoire résonne comme un écho à l’enjeu de l’époque : réinventer nos modes de production et de consommation avant d’épuiser la planète. Comme en mer, la route est longue et semée d’incertitudes, mais Ellen MacArthur rappelle qu’un autre cap est possible, à condition de tenir bon la barre.