De nombreux jeux vidéos — comme la franchise Assassin’s Creed — ont été adaptés en livres. Et de nombreux livres — comme la saga du Sorceleur, d’Andrzej Sapkowski — ont été adaptés en jeux. Ressources inhumaines, lancé la semaine dernière par Moteurs Finnegan, un partenariat entre le studio de jeux montréalais Affordance et la maison d’édition Alto de Québec, est une tout autre bibitte.

Le jeu (appelons-le ainsi puisqu’il le faut) rappelle les « livres dont vous êtes le héros » des années 1980, mais avec des thèmes modernes : technologies, monde du travail, manipulation de l’information et conglomérats secrets, un peu à la manière de la série Dissociation (Severance), sur Apple TV+. On peut y jouer sur un ordinateur, mais le format permet aussi de s’y adonner sur une tablette ou un téléphone intelligent, assis dans son salon ou dans l’autobus.

La première chose qui nous étonne lorsqu’on commence à découvrir Ressources inhumaines, c’est à quel point on a l’impression de lire un livre. Les premiers chapitres nous demandent bien de faire quelques choix en cliquant sur une option ou une autre, mais ils sont sans grandes conséquences, du moins au début (accepter un appel ou le refuser, par exemple).

Photo : Finnegan Motors

On se sent certainement plus dans un roman que dans la franchise Super Mario Bros. « On a plus emprunté aux codes de la littérature que du jeu vidéo », reconnaît Pascal Nataf, cofondateur du studio Affordance.

« Au départ, j’avais imaginé une expérience beaucoup plus complexe », explique Antoine Tanguay, fondateur des éditions Alto et idéateur du projet, avec l’auteur Nicolas Dickner. L’équipe a toutefois décidé qu’il était essentiel que le lecteur soit en terrain connu, surtout au début. « Si tu ne comprends rien après 15 minutes, tu vas abandonner », résume l’éditeur.

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L’aspect jeu gagne cependant en importance au fil des chapitres. Les choix du lecteur permettent par exemple d’améliorer les caractéristiques de son personnage : si ce dernier se rend au boulot à la course le matin, il sera en meilleure forme physique, ce qui débloquera certains choix pendant la lecture. Comme dans de nombreux jeux vidéos, on accumule aussi un stock d’objets (un certificat de spécialisation au travail, par exemple).

Photo : Finnegan Motors

Dans Ressources inhumaines, il n’y a toutefois ni manette ni graphiques 3D, et presque pas d’images. Il n’y a que de la lecture et des mots.

« Comme créateurs, ça nous a offert beaucoup de liberté », remarque Pascal Nataf. Normalement, même dans les jeux vidéos plus narratifs, où l’histoire est plus importante que l’action, les concepteurs sont limités dans les choix qu’ils peuvent proposer au joueur. « Ici, on n’a pas besoin d’illustrer de nouvelles scènes et de créer de nouveaux modèles 3D à chaque embranchement », souligne-t-il.

Photo : Finnegan Motors

En tout, près de 200 000 mots ont été écrits pour le jeu, principalement par son scénariste, John Henry Rumsby. Une dizaine d’auteurs d’Alto ont aussi contribué à des éléments secondaires de Ressources inhumaines. Christiane Vadnais a ainsi rédigé une notice nécrologique et Sean Michaels a écrit le Guide des employés-es que le joueur peut obtenir.

Un joueur moyen qui termine le jeu devrait lire de 100 000 à 120 000 mots, selon Pascal Nataf, soit l’équivalent d’un roman de 400 pages.

D’autres œuvres à prévoir

Ressources inhumaines vient tout juste d’être lancé, mais déjà, ses créateurs ont plusieurs idées pour la suite, à commencer par un livre classique. « Nous voulons créer quelque chose de complémentaire, qui sera situé dans le même univers que Ressources inhumaines », note Antoine Tanguay.

D’autres livres/jeux du même format que Ressources inhumaines devraient aussi voir le jour. « On a conçu une technologie qui pourra être réutilisée », explique Pascal Nataf. Tout comme les pages d’un livre peuvent raconter n’importe quelle aventure, le logiciel de Ressources inhumaines — les interfaces, les minijeux et plus — pourra servir à raconter de nouvelles histoires.

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« Notre premier jeu s’adresse à un lectorat plutôt mature, mais j’aimerais qu’on puisse s’adresser à un public plus jeune la prochaine fois. J’ai commencé à lire avec les “livres dont vous êtes le héros”, et ça m’a donné le goût de la lecture pour le restant de ma vie. J’aimerais qu’on puisse faire la même chose », ajoute-t-il.

Pour Antoine Tanguay, cette forme de littérature n’est pas forcément inférieure au « bon vieux livre » ni une simple porte d’entrée dans cet univers. « On est tout le temps en train de segmenter les arts, mais ce n’est pas nécessaire. C’est bon de présenter le plus d’art possible, et que le public puisse choisir ce qui lui convient. Il est assez intelligent pour ça », lance l’éditeur.

Pour reprendre la question initiale, Ressources inhumaines est-il un livre ou un jeu vidéo ? Peut-être que la réponse n’est pas si importante que ça, au fond.

Ressources inhumaines est offert en anglais et en français sur Android, iOS et Steam (macOS et Windows). Les premiers chapitres sont gratuits, et il faut payer de 10 à 15 dollars selon la plateforme pour déverrouiller le reste de l’histoire.