Grégory Baugé est revenu du Championnat de France sur piste de l’Avenir avec un grand sourire et des étoiles plein les yeux. Le multiple Champion du Monde de vitesse est devenu chargé de mission pour la détection pour la filière sprint, « une volonté de ma part ». C’est donc avec son bâton de pèlerin qu’il veut parcourir les régions pour aider les clubs et les entraîneurs locaux à renouer le fil avec le sprint en reprenant « les fondamentaux ». L’ancien entraîneur national explique sa démarche à DirectVelo.

DirectVelo : Pourquoi avoir accepté cette mission ?
Grégory Baugé : C’était une volonté de ma part après les JO. Je n’aurais pas été épanoui si j’avais continué à entraîner en voyant que notre système devait évoluer et ça n’aurait rien donné de bon. Je suis persuadé depuis longtemps qu’il faut retravailler à la base. L’élite doit dépendre de la base. Si au départ, des fondamentaux sont négligés, il ne faut pas s’attendre à de bons résultats quand ils arrivent plus haut. La DTN et le Président de la FFC ont validé mon projet.

Quel public vises-tu ?
Les clubs et les structures qui accueillent des sprinters. Il y a quelques clubs qui ont le label sprint. Je ne suis pas là pour leur imposer des choses. On manque de techniciens, certains partent à l’étranger ou arrêtent. Il faut les aider pour qu’ils montent en compétence. L’éducateur, c’est le premier qui voit le champion de demain. Il faut un réel échange avec lui.

Ça passe par des formations ?
Il y a des formations mais elles ont un coût, les gens sont bénévoles, je raisonne à mon niveau. La FFC doit être capable de les accompagner pour monter en compétence. La théorie, c’est bien mais il faut aussi la pratique. J’aurais bien aimé dans mes trois années d’entraîneur que des éducateurs et entraîneurs de ces structures viennent passer une semaine ou deux à Saint-Quentin. Au lieu d’attendre de la base, je veux leur faire profiter de mon expérience. 

« ICI, JE ME PRENDS UNE CLAQUE »

Est-ce qu’on arrive encore à détecter des sprinters ?
Pendant ce Championnat, j’étais ravi de voir qu’il y a des éducateurs en région qui arrivent à former des Cadets et des Juniors qui sortent des performances et qui ne sont pas dans le cursus fédéral.

Est-ce que c’est normal de les découvrir au Championnat de France et pas avant ?
Ce qui n’est pas normal ou ce qui me peine un peu, c’est que j’ai entendu pendant mes trois ans d’entraîneur national qu’on n’arrive pas à former, qu’il n’y a pas de jeunes qui veulent faire du sprint et ici, je prends une claque. Je me rends compte qu’il y a des gamins. Moins qu’avant pour le sprint mais il y en a. Même chez ceux qui ne sont pas sur les podiums, je vois des choses intéressantes en terme technico-tactique. Au plus haut niveau, il faut aller vite, c’est vrai, mais si vous roulez mal techniquement… la préparation mentale c’est un des éléments de la performance. En discutant avec certains dans ce Championnat de France de jeunes, je me rends compte qu’ils le mettent déjà en place. Le sprint n’est pas mort, je suis surpris dans le bon sens.

Tu as des exemples ?
Quand je vois Flavie Michaud sur la piste, je me régale. Je vois une gamine qui n’est pas à Bourges, ni à Saint-Quentin, mais elle a déjà des bagages que certains Elites n’ont pas. Ça me marque parce que je me dis qu’il y a des personnes dans les clubs, dans les régions, qui savent faire. Ils s’informent, ils regardent les Championnats, je suis surpris dans le bon sens. Même en chambre d’appel, je vois des attitudes… Si cette gamine passe sur la piste, elle a des bagages qui lui permettront de naviguer dans ce monde où il faut gérer le stress. Elle m’a expliqué son travail et pourtant cette gamine n’est pas en structure fédérale.

« ÊTRE PRÊT À CE QUE LES COUREURS NE VEULENT PLUS VENIR EN STRUCTURE »

Qu’est-ce que la FFC peut leur proposer ?
Comment fait-on pour que ces gamins continuent de monter vers des titres mondiaux ? Je n’ai pas la réponse. On veut les meilleurs à Saint-Quentin et à Bourges mais il faut être prêt aussi à ce que les coureurs ne veulent plus venir en structure. Ici, à Loudéac, ils ont une piste, ça se passe bien, il y a des gamins qui habitent à 5 minutes du vélodrome. Il faut aussi rassurer les familles. C’est le bon moment pour se poser des questions.

Pour parler de l’Outre-Mer, Nicolas Laugier a eu de meilleurs résultats en revenant chez lui…
Voilà , c’est factuel, il a été en pôle un moment, il est revenu chez lui. Didier Henriette l’entraîne chez lui. J’ai envie de dire à la fédération, aidez La Réunion. Quel est le bilan du pôle outremer ? Qu’est-ce qu’on propose aux coureurs qui ne sont pas à Bourges ni à Saint-Quentin ? Si la fédé aide son entraîneur, ça doit être faisable. Pour le cas de Nicolas Laugier qu’est-ce qu’on fait pour qu’il continue d’avoir la flamme ? En Nouvelle-Calédonie, Félicia Ballanger fait du boulot, avec son mari et Laurent Gané. Si ces gens-là baissent les bras, qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut pas continuer de se comporter comme si on avait une grosse réserve de techniciens et de jeunes coureurs.

Faut-il repartir d’une page blanche ?
Je ne dis pas qu’il faut fermer nos structures mais il faut comprendre que notre système fédéral doit changer. Il y a des vélodromes couverts en France, il faut les aider avec des moyens humains, avec du matériel. Notre meilleure époque c’est quand il y avait nos deux pôles à Hyères et l’INSEP. Qu’est-ce que ça a apporté quand on a tout réuni à Saint-Quentin ? On a eu de la joie mais aussi beaucoup de peines.

« JE NE SUIS PAS UN MAGICIEN »

Te donnes-tu des objectifs ?
Je ne suis pas dans 2028, 2032. Je ne suis pas un magicien. Si on ne fait pas bien les choses à la base, ça ne peut pas bien marcher. Il faut qu’on descende vers la base, sans imposer des choses. Les peu de personnes qui ont encore envie de donner à notre sport, au sprint, il faut les aider.

Pour accrocher des jeunes, est-ce qu’il faut aussi leur donner des courses ?
Pour les emmener vers le sprint, il faut les intéresser. On a besoin de plus de compétitions, mettre des épreuves liées au sprint dans les programmes. Pour des compétitions, on peut imaginer des dotations en matériel avec les partenaires de la fédération, car ça coûte cher le cyclisme. Notre vitrine n’a plus de résultats pour attirer vers le sprint alors qu’avant c’était l’arbre qui cachait la forêt. On ne s’identifie pas à nos sprinters. Tout le monde veut aller sur la route, c’est normal, il y a des courses sur route, on les voit de plus en plus à la télé, il y a des choses sur les réseaux sociaux. En Grande-Bretagne, il y a des compétitions. Quand j’étais Juniors, il y avait plus de courses régionales sur piste.

« POURQUOI NE PAS REMETTRE LA MÉDAILLE ? »

Le vélodrome national n’organise pas souvent (il y a une Coupe d’Ile-de-France cet hiver en cinq manches)…
J’entends qu’on n’organise pas parce que ça coûte un bras. La fédé doit être capable de l’entendre. L’US Créteil, ça fait bien des années qu’ils n’ont pas organisé sur piste parce que c’est trop cher. Quand j’étais jeune, il y avait aussi des compétitions phare avec la Médaille à l’INSEP. De la même manière, il y a le Kilomètre Paris-Tours qui perdure. Pourquoi ne pas remettre la Médaille ? C’est le rôle de la fédération d’aller chercher des partenaires pour les organiser.

Quelles sont les relations avec Vélopolis (qui gère le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines) ?
La cohabitation était difficile avec eux au sujet des créneaux de l’équipe de France quand j’étais entraîneur. En début d’année, ils m’ont invité. Vélopolis a aussi intérêt à avoir une meilleure cohabitation pour que l’équipe de France ait de meilleurs résultats. Mais j’ai senti qu’ils sont prêts à aider la base et avancer ensemble. Si on veut retrouver une certaine place, il faut qu’on soit tous unis.

Quelle méthode veux-tu appliquer ?
Je suis persuadé qu’on doit se rapprocher des clubs, être à leur côté, sans leur imposer des choses. Parfois j’entends, « nos gamins ne veulent pas faire de sprint », je ne suis pas là pour leur imposer mais je leur dis que le sprint c’est une qualité qui peut servir dans toutes les disciplines même le VTT. Ma première étape, ce n’est pas de prendre le chrono et des tests de mesures, je leur dis, « venez, ça ne vous fera que du bien ». Même les éducateurs qui ne sont pas intéressés par le sprint, venez. Il faut aussi aider les clubs à accueillir des nouveaux coureurs qui peuvent venir du BMX. Si un club a tant de vélos de piste, on fait comment s’il y a plus de coureurs ? Il faut les accompagner. L’élite a besoin de se rapprocher du terrain. Ça me fait chaud au coeur de venir à Loudéac, en plus je découvre le vélodrome, les gens en veulent encore.