• Kiev a annoncé avoir démantelé un système de corruption dans le secteur énergétique du pays.
  • Celui-ci, qui porte sur 100 millions de dollars de fonds détournés, aurait été orchestré par un proche de Volodymyr Zelensky.
  • Le ministre de la Justice et ex-ministre de l’Énergie Guerman Galouchtchenko a été suspendu de ses fonctions.

C’est l’un des plus importants scandales de corruption au sein du pouvoir ukrainien depuis le début de l’invasion russe de ce pays en février 2022. Lundi 10 novembre, l’Agence nationale anticorruption (NABU) a annoncé avoir démantelé un système de corruption dans le secteur énergétique du pays portant sur 100 millions de dollars de fonds blanchis. Plusieurs personnes ont été interpellées et inculpées dans le cadre de cette opération « Midas ». « Le travail accompli a permis d’obtenir des milliers d’heures d’enregistrements audio, qui constituent des preuves des activités d’une organisation criminelle de haut niveau opérant dans les secteurs de l’énergie et de la défense », a expliqué l’Agence dans un communiqué.

L’opération « Midas », menée après 15 mois d’enquête en collaboration avec le Parquet spécialisé anticorruption (SAPO), a abouti à « 70 perquisitions » selon le NABU. Elle a mis au jour un système criminel qui extorquait des fonds à des sous-traitants de l’entreprise publique du nucléaire Energoatom. Energoatom a confirmé avoir fait l’objet d’une perquisition et a dit coopérer à l’enquête, sans commenter les accusations de corruption. 

Le ministre de la Justice suspendu de ses fonctions

Cette affaire éclabousse des hauts responsables ukrainiens. Le ministre de la Justice et ex-ministre de l’Énergie – pendant quatre ans – Guerman Galouchtchenko a été suspendu de ses fonctions ce mercredi, a annoncé la Première ministre Ioulia Svyrydenko sur les réseaux sociaux. Une vice-ministre de la Justice, Lioudmyla Sougak, assurera l’intérim, a-t-elle indiqué. La veille, le parquet national anticorruption avait accusé Guerman Galouchtchenko d’avoir perçu des « avantages personnels » de Timour Minditch dans cette affaire en échange du contrôle sur les flux financiers du secteur énergétique. 

Proche de Volodymyr Zelensky, Timour Minditch est accusé par des enquêteurs ukrainiens d’avoir orchestré ce vaste système de corruption, notamment autour de l’opérateur nucléaire national Energoatom. Timour Minditch est copropriétaire de la société de production audiovisuelle Kvartal 95, fondée par le président ukrainien, qui était un humoriste vedette avant de se lancer en politique. « Timour Minditch exerçait un contrôle sur l’accumulation, la distribution et la légalisation de fonds d’origine criminelle dans le secteur énergétique », a déclaré un procureur du SAPO devant la justice. Le suspect a profité de ses « relations privilégiées avec le président ukrainien » pour ses activités criminelles, a-t-il ajouté. Selon des médias, son domicile a été perquisitionné.

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De son côté, Guerman Galouchtchenko a réagi peu après l’annonce de la suspension de son poste en disant être « d’accord » avec cette décision. C’est « un scénario civilisé et correct. Je me défendrai devant le tribunal », a écrit le ministre de la Justice sur les réseaux sociaux. Selon des médias ukrainiens, son domicile a également été perquisitionné.

Le gouvernement a par ailleurs limogé mardi le conseil de surveillance d’Energoatom, considéré comme un élément central du système de corruption selon les enquêteurs. Cette décision, conjuguée à un audit d’urgence mené par l’État, a été qualifiée par Ioulia Svyrydenko de « premières mesures pour la relance d’Energoatom ». 

La réaction de Zelensky

Après les perquisitions de lundi, Volodymyr Zelensky a pour sa part déclaré que toutes les actions contre la corruption étaient « absolument nécessaires », encourageant les responsables à coopérer avec les organismes anticorruption. « La transparence au sein de l’entreprise (Energoatom) est une priorité », a affirmé le dirigeant ukrainien. « Des sanctions doivent être prises. Et les représentants du gouvernement doivent collaborer avec le NABU et les forces de l’ordre, selon les besoins, pour obtenir des résultats. »

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La ministre de l’Énergie, Svitlana Grintchouk, a déclaré de son côté que le secteur énergétique public se soumettrait aux enquêtes, tout en se préparant à un nouvel hiver sous les frappes russes. « Il est très important que les enquêtes soient menées de manière transparente », a-t-elle dit. « Dans le même temps, je veux vous rappeler que notre système énergétique est soumis à des attaques sévères et que, naturellement, tout événement chez Energoatom est scruté par chacun avec attention », a-t-elle ajouté.

Une corruption endémique

Ces révélations interviennent au moment où l’Ukraine est confrontée à une grave crise énergétique. Le pays est pilonné par des bombardements russes sur des structures énergétiques, qui provoquent de vastes coupures de courant dans le pays à l’approche de l’hiver. Le secteur énergétique ukrainien est considéré comme particulièrement stratégique.

L’Ukraine souffre, comme la Russie et d’autres pays de l’ex-URSS, d’une corruption endémique. Fin octobre, l’ex-directeur de la compagnie énergétique publique Ukrenergo, Volodymyr Koudrytsky, a été accusé d’avoir participé au détournement d’environ 283.000 euros en 2018 et brièvement placé en détention. Une affaire motivée selon lui par des raisons politiques.

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L’éradication de la corruption est l’une des principales conditions d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne (UE). Volodymyr Zelensky a essuyé cet été de vives critiques de son opinion publique et de Bruxelles quand il a tenté de placer le NABU et le SAPO, deux organismes anticorruption indépendants du pouvoir, sous le contrôle du gouvernement. Ils avaient tous deux été la cible d’une loi portée par le gouvernement et promulguée en juillet 2025, qui prévoyait donc de les placer sous la tutelle directe du procureur général, lui-même nommé par le Président. Face à la contestation, le gouvernement avait finalement annoncé qu’il allait « corriger » cette loi.

Julien CHABROUT avec AFP