Madame, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Madame la présidente de la région d’Occitanie,
Monsieur le maire de Toulouse,
Monsieur le préfet de région,
Monsieur le chef d’état-major des armées,
Monsieur le secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale,
Monsieur le délégué général pour l’armement,
Monsieur le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le président directeur général du CNES,
Mesdames et Messieurs les acteurs du spatial en vos grades et qualités,
Mesdames et Messieurs les industriels, chers amis.

Merci d’être là à toutes et à tous présents aujourd’hui. Et avant d’entrer dans le vif du sujet et ce qui nous réunit, je voulais simplement avoir un mot pour vous dire que je viens à l’instant de m’entretenir avec le président Steinmeier au téléphone, pour lui exprimer ma profonde gratitude pour les bons offices de l’Allemagne et notre coopération fructueuse depuis plusieurs mois sur le dossier de la libération de notre compatriote Boualem Sansal. Nous avons travaillé en transparence avec nos amis allemands comme tiers de confiance et je remercie sincèrement le président Steinmeier de s’être rendu disponible. Notre souci a toujours été d’être efficace pour permettre la libération de Monsieur Sansal un peu plus d’un an après son emprisonnement en Algérie. Et la médiation allemande y a contribué de manière décisive. C’est le fruit d’efforts constants de la France et d’une méthode faite de respect, de calme et d’exigence. Je prends acte de ce geste d’humanité du président Tebboune et l’en remercie. Je reste évidemment disponible pour échanger avec lui sur l’ensemble des sujets d’intérêt pour nos deux pays. Et nous pensons aussi à notre compatriote Christophe Gleizes.

Vous retrouvant ici, c’est de spatial dont je suis venu parler. Et je veux commencer par saluer les acteurs du spatial français, nos industriels, nos entreprises, nos sous-traitants, nos startups, nos ingénieurs, l’ensemble, celles et ceux qui constituent cet écosystème dual essentiel à l’indépendance de la nation. Et c’est pour moi aussi une grande émotion d’être à vos côtés, Mon général, pour l’inauguration officielle de ce commandement de l’espace, décidé il y a maintenant quelques années, bâti dans un temps record et en étant rigoureux et même au-delà en termes de budget. C’est une étape décisive que nous franchissons ensemble aujourd’hui, qui vient parachever les décisions stratégiques prises il y a 6 ans, qui vient faire de ce commandement intégré de l’espace une réalité pour nous tous.

Depuis en effet 8 ans, nous portons une stratégie française et européenne pour notre espace. J’avais évoqué au Bourget au mois de juin dernier l’effort de mobilisation nécessaire, pris des engagements devant la nation le 13 juillet dernier à Brienne. Et nous avons conjointement, à tous ces travaux français, mené aussi un partenariat renforcé avec l’Allemagne. Et je salue nos amis allemands pour avoir un dialogue stratégique commun, une étape importante ayant été franchie à Toulon à la fin de l’été. Mais en même temps que l’inauguration de ce Commandement de l’espace et de cette nouvelle étape, je veux ici devant vous aussi dévoiler les grandes lignes de notre stratégie et les prochaines étapes de notre action. Ces derniers mois, nous avons élaboré notre Stratégie nationale spatiale. Je veux remercier le SGDSN pour la rédaction et le travail de coordination avec l’ensemble des services de l’État compétents. Et c’est une première que menait un exercice aussi large, aussi interdisciplinaire, parfaitement dual, et qui prolonge les orientations de la revue nationale stratégique établie cette année et met à jour la politique spatiale de défense publiée en 2019.

Cette stratégie était indispensable pour nous donner un cap clair, un calendrier, une vision, pour garantir notre indépendance, la permanence, le temps long de l’action de l’État. Je suis venu vous dire aussi ici que l’indépendance de la France aujourd’hui dépend de sa capacité d’action et de son indépendance dans le spatial et que si nous voulons garder notre autonomie pour communiquer, pour observer, pour avoir la maîtrise du suivi du climat, pour continuer à pouvoir agir et nous défendre, il est indispensable de prendre des décisions structurantes aujourd’hui ou de poursuivre celles que nous avions commencées à prendre hier.

Le premier élément de cette stratégie, c’est le spatial de défense et un élément de lucidité. Il faut se battre pour préserver ce bien précieux. En effet, l’espace n’est plus un sanctuaire, c’est devenu un champ de bataille. La présentation qui vient de m’être faite d’ailleurs était éloquente à cet égard. L’époque de la conquête, pendant des décennies, avait aussi été celle des normes, en particulier celle du traité sur l’espace de 1967, qui demeure et doit demeurer le cadre de référence. La France y est profondément attachée. La France continuera de promouvoir le respect des règles, l’usage responsable de l’espace, l’adoption de nouveaux principes de conduite, comme récemment le moratoire sur les tirs antisatellites que nous avons rejoints en 2022.

Il le faut, car notre époque, ne nous le cachons pas, est bien plutôt celle de la brutalisation de ce nouveau domaine. Des puissances d’agression ont multiplié en haut des actions irresponsables, illégales, voire hostiles, comme elles l’ont fait ici-bas, si je puis dire. Nous vivons l’espionnage, par exemple par la Russie, de nos satellites par des vaisseaux patrouilleurs, les brouillages massifs des signaux GPS, les attaques cyber contre nos infrastructures spatiales, les essais de missiles antisatellites, le développement d’armes antisatellites à effet de zone contre les constellations, et même la menace russe particulièrement choquante d’armes nucléaires dans l’espace, dont les effets seraient désastreux pour le monde entier. Je ne suis pas là exhaustif, mais ceci suffit à montrer combien il y a aujourd’hui, pas simplement un discours, mais des actions désinhibées et un cadre fragilisé.

Nos compétiteurs ne nous attendent pas et disposent aujourd’hui de capacités d’action dans l’espace et vers l’espace, en particulier grâce à des armes à énergie dirigées, lasers entre autres, déployées à la surface terrestre. Ces actes ne sont pas des hypothèses, ce sont des réalités. Ils visent à nous priver de notre liberté d’action, à fragiliser notre souveraineté, à remettre en cause notre supériorité opérationnelle.

Face à cette menace, la France agit avec une stratégie claire, résilience, réactivité et capacité à agir dans et vers l’espace. Nous nous devons d’être souverains sur l’ensemble du continuum aérospatial, c’est-à-dire depuis les couches basses de l’atmosphère jusqu’à l’espace, en passant par la très haute altitude. Ce continuum, la maîtrise de notre capacité d’action, de réactivité dans ce continuum est indispensable.

C’est pour cela qu’après avoir transformé l’armée de l’air en armée de l’air et de l’espace, nous y avons créé le commandement de l’espace. Voilà pourquoi nous sommes ici. Je tenais à célébrer notre première capacité opérationnelle de ce commandement de l’espace qui incarne la mise en œuvre de la stratégie spatiale de défense de 2019. Voilà aussi pourquoi nous avons décidé, dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire, des marges supplémentaires réservées au spatial, 4,2 milliards d’euros sur la période 2026-2030, en plus de ce qui avait été programmé.

À ce titre, en matière de défense active, nous déploierons dès 2027 nos premiers satellites patrouilleur-quêteurs, Orbit guard et Toutatis, pour surveiller, inspecter et, si nécessaire, contrer les menaces en orbite. Ils seront complétés par nos premières capacités d’action vers l’espace à base de lasers et de brouilleurs. Nous accélérons aussi le développement de nos capacités d’alerte avancée en coopération avec l’Allemagne, le programme Jewel et nous renforçons notre surveillance spatiale avec le radar Aurore afin de réduire nos dépendances.

Nous investissons dans des moyens d’action depuis le sol et l’espace en respectant le droit international, mais sans naïveté aucune. La guerre d’aujourd’hui se joue déjà dans l’espace et la guerre de demain commencera dans l’espace. Soyons prêts. Ce sera une condition du succès des opérations militaires à terre, dans les airs et dans les mers.

Aujourd’hui, nous fixons un cap. La France et l’Europe ne se contenteront pas de subir les règles imposées par d’autres. Nous les écrirons avec nos alliés européens pour préserver notre liberté d’accès et d’action dans, vers et depuis l’espace. Cette coopération dans tous les domaines du jeu est indispensable. De la même manière que nous tenons à la bonne coopération dans ce domaine avec les États-Unis d’Amérique, exercice conjoint, partage d’informations, et là aussi dans tous les domaines du jeu.

Je veux dans ce cadre et à ce titre, saluer aussi la complémentarité, et le rôle très important autour du commandement de l’espace, évidemment de la DGA, mais également du CNES, participants de cet effort spatial de défense en tant qu’acteur central et historique de l’écosystème spatial. Le CNES a donné à la France sa place à la table des puissances spatiales, avec sa dimension duale assumée depuis l’origine, et je me réjouis de l’installation du centre opérationnel du commandement de l’espace à Toulouse. La colocalisation avec le CNES n’a rien du hasard. L’un et l’autre vont se nourrir mutuellement, innover, rayonner, coopérer. C’est aussi le lieu du Centre d’excellence spatiale de l’OTAN. Là encore, cela ne doit rien au hasard. Notre volonté est vraiment de renforcer cette dualité que j’évoquais, mais d’avoir ce continuum de la recherche amont jusqu’à la recherche aval, des opérations et des coopérations.

Venons-en maintenant à la stratégie spatiale dans le reste du champ. Au-delà de la défense, le spatial joue un rôle beaucoup plus large, profondément intégré au cœur de notre société. Mais tout se tient. Je veux qu’à chaque instant, on garde le caractère dual comme étant au cœur de notre approche.

Être une puissance spatiale, je le disais en commençant, c’est être une puissance indépendante. Nos compatriotes doivent en être convaincus. Être une puissance spatiale, c’est avoir l’ambition d’être dans la compétition. La concurrence dans la course à l’espace ne se fait plus au niveau gouvernemental entre 3 ou 4 pays, ce qui fut pendant des décennies, au fond, la structuration de notre cadre de concurrence, mais elle se fait de manière beaucoup plus large avec des puissances émergentes, mais aussi avec des sociétés privées qui accélèrent et créent des dépendances. Les grands cadres de coopération internationaux sont remis en question. Plusieurs acteurs nouveaux supplantent des acteurs historiques. La dernière décennie nous a fait connaître ce qu’on croyait impensable il y a 15 ou 20 ans, avec l’émergence d’acteurs nouveaux, de catégories nouvelles du jeu que nous avons à coup sûr sous-estimées et qui sont venus bousculer des positions qui étaient historiquement les nôtres et qui, d’ailleurs, étaient souvent des avantages européens. Les investissements publics et privés se démultiplient et l’accélération de ces investissements est encore à l’œuvre.

Être une puissance spatiale, c’est faire face aussi aux ruptures technologiques et opérationnelles majeures portées par certains de nos compétiteurs. Ce ne sont pas les moindres défis, et l’honnêteté me conduit à dire que l’environnement économique, militaire et stratégique de l’espace a parfois évolué plus vite que nous. Nous avons pourtant toutes les cartes en main pour relever ces défis.

En ayant ce message de lucidité pour s’y commencer, cette approche sur la stratégie spatiale, après avoir parlé du militaire, je veux aussi dire que nous avons tout pour réussir. Nous avons les compétences, nous avons la maîtrise de nombreuses technologies, nous avons cette culture duale, beaucoup plus que d’autres. Nous avons la capacité industrielle, avec des très grands acteurs industriels qui sont consolidés, et qui ont su avancer. Nous sommes présents sur tout le marché, du développement des systèmes complexes et ambitieux au lancement, nous avons une agence spatiale performante, présente sur de multiples champs d’action. Notre expertise est reconnue, comme le montre notre participation à de grands programmes en coopération, James Webb, mission scientifique, mission martienne. Nous avons nos territoires ultramarins, qui sont un formidable levier, là aussi, et une capacité de relais inédite, qui est dans nos mains. La France fait ainsi partie des puissances qui comptent dans l’espace, qui a les cartes pour continuer de le faire, et nous entendons le rester.

Pour cela, c’est tout le sens de la stratégie nationale spatiale que nous dévoilons aujourd’hui, qui sera rendue publique. Je ne la défleurerai pas dans son intégralité, mais je vais essayer d’en donner la substantifique moelle. Cette stratégie nationale est fondée sur 5 piliers, principalement.

D’abord, l’accès à l’espace. Avoir un accès autonome à l’espace est une responsabilité collective, pour la France et pour l’Europe. Dépendre d’une grande puissance tierce ou d’un quelconque magnat du spatial et hors de question. Suivez mon regard. Très concrètement, cela signifie que nous devons garantir le maintien et le développement de notre base de lancement, le Centre spatial Guyanais, et la maîtrise de nos lanceurs, avec Ariane aujourd’hui et nos futurs lanceurs demain, qui sont les leviers principaux de notre accès autonome.

Cela veut dire faire monter en cadence l’exploitation d’Ariane 6, dont la compétitivité doit être améliorée. C’est indispensable. Nous avons sauvé à Séville, et on était quelques-uns à œuvrer pour cela, cet accès des Européens à l’espace, en ramenant tout le monde, si je puis dire, dans la maison commune, mais on doit collectivement continuer d’avoir cette discipline, en regardant ce qui se fait ailleurs. Si certains acteurs privés fascinent certains et semblent être très compétitifs, c’est qu’ils ont été massivement aidés par des programmes d’action publique, d’ailleurs militaires ou privés, et qu’ils ont eu l’exclusivité des lancements institutionnels. Si les Européens font différemment, aucune chance que leurs acteurs soient compétitifs sur le marché commercial. Donc, tous derrière Ariane 6, les programmes futurs. Cela veut dire développer les futurs lanceurs autour de la réutilisation, la propulsion à bas coût, la motorisation à forte poussée, qui sont les éléments de rupture et d’avancée technologique que nous avons identifiés, et là aussi, ne nous laissons pas dépasser, faire part d’autres. Nos industriels ont un rôle essentiel, nos organismes de recherche aussi, et le programme France 2030, et derrière l’ensemble de ces actions. Cela veut dire, enfin, moderniser la base de Kourou pour en faire un lieu agile, ouvert aux petits lanceurs et à des partenaires étrangers. Accès à l’espace donc, c’est le premier pilier.

Le deuxième pilier de la stratégie, c’est l’industrie et les compétences. Le spatial français ne peut être crédible et même souverain qu’avec une industrie compétitive. Le modèle industriel et commercial doit être repensé de l’amont à l’aval, de la construction des lanceurs et satellites à la connectivité, jusqu’aux services digitaux du futur. Il doit être repensé pour s’insérer sur le marché mondial, sur le plan commercial, mais aussi technologique. L’écosystème doit former encore davantage une équipe de France en sachant associer ce qu’on a appelé les acteurs du new space et les acteurs historiques, sans les opposer aucunement. France 2030 a fait émerger des acteurs innovants. Nous devons consolider ces forces. On sait que dans certains segments, il y aura des moments de consolidation. Il faut les accompagner. Il faut aussi accompagner l’innovation encore à venir et consolider nos acteurs en présence.

Il faudra se doter d’une politique nationale des compétences spatiales à horizon 2040, qui est maintenant ce que nous devons continuer de décliner pour être au rendez-vous des besoins de tous nos acteurs. La bataille des compétences étant, là aussi, une bataille décisive.

Troisième pilier, les capacités stratégiques et de défense. J’en ai parlé longuement au début de mon propos. Je n’y reviendrai donc pas, mais c’est ce que j’évoquais dans le premier point.

Quatrième pilier, la science et l’exploration. Le spatial est une source infinie de connaissances et de compréhensions. Pour comprendre le réchauffement climatique — cadre de beaucoup de programmes engagés par le CNES, en lien avec d’autres, au moment d’ailleurs où certains se retirent — pour comprendre l’origine de l’univers et tant d’autres éléments clés, les programmes de recherche en matière spatiale sont clés. C’est indispensable. Il s’agit aussi de porter la voix de la vérité pour tous dans un moment où la raison, la science, les règles du débat démocratique sont attaquées. C’est aussi un élément de souveraineté et d’indépendance que de continuer de défendre la science et l’exploration en matière spatiale, là où certains coupent les programmes lorsque les sujets de recherche ne les arrangent pas.

L’exploration spatiale est un symbole d’espérance pour notre humanité commune. J’ai à côté de moi un symbole vivant, si je puis dire, de ces expériences. Je l’en remercie. Il sait l’évocation qu’il a créée chez beaucoup de nos jeunes. D’ailleurs, par ses photographies, le travail d’émerveillement, de partage de notre connaissance de la Terre, avec beaucoup, montrant que le combat contre le réchauffement et le dérèglement climatique est jumeau de celui de l’aventure spatiale. Il a des successeurs, même si, je vous rassure, il entend aussi continuer à faire des missions et nous serons à ses côtés pour ce faire.

Nous pensons aussi à notre astronaute française Sophie Adenot, qui incarnera cette ambition dans l’ISS dans quelques mois maintenant. Je souhaite que sa Mission Epsilon permette d’approfondir les connaissances, tout en incitant tous nos jeunes à se tourner vers des carrières scientifiques. En matière d’exploration, nous devons aussi avoir une approche plus offensive, assumer d’être à la recherche de nouvelles ressources critiques pour l’avenir de notre humanité, développer des cargos ou encore de la production en orbite. C’est là aussi un théâtre d’innovation, un théâtre de production avec énormément de débouchés industriels à beaucoup plus court terme qu’on ne le croit.

Cinquième pilier, la coopération. Le spatial est en effet une grande histoire de coopération. Coopérer pour des programmes d’envergure, c’est un vecteur de rayonnement, c’est aussi un levier diplomatique. La stratégie nationale spatiale que nous dévoilons aujourd’hui l’affirme clairement, ça a été un très gros travail de celle-ci. La France conçoit sa puissance spatiale dans un équilibre entre souveraineté sur notre cœur stratégique et coopération pour aller plus loin, jusqu’au mystère de l’univers, ensemble, en européen prioritairement, et nous avons d’ailleurs construit les infrastructures de recherche, d’accompagnement, les grands programmes et les grandes agences en ce sens, mais aussi plus largement avec des partenaires que je ne veux pas oublier : l’Inde, le Japon, les États-Unis ou les Émirats arabes unis qui continueront de jouer à nos côtés un rôle clé.

Voilà les cinq piliers de cette stratégie. Parlant de coopération, je veux dire un mot ici d’Europe spatiale et d’Europe du spatial. C’est l’un des éléments de cette stratégie sur lequel, en effet, je veux insister. D’abord, pour appeler à la vigilance. Notre Europe spatiale est fragile. Elle est attaquée par ceux qui voudraient la fragmenter pour nous empêcher d’être plus forts ensemble.

C’est pour cela qu’au-delà de la stratégie nationale, je crois nécessaire d’insister sur trois aspects de notre avenir européen. C’est ceux qui sont défendus par notre stratégie, c’est ceux que nous poussons dans notre dialogue, tout particulièrement en franco-allemand, mais c’est ceux que nous continuerons de pousser dans les différentes enceintes au niveau européen.

Le premier aspect sur lequel je veux insister, c’est celui de la compétitivité. Nous devons pousser nos champions européens pour qu’ils soient compétitifs sur le marché mondial. Je l’ai déjà évoqué en creux, mais je veux y revenir et j’ai eu l’occasion de le dire dans d’autres enceintes. Il nous faut pour cela sortir du mécanisme du retour géographique sur les marchés concurrentiels. Celui-ci a eu sa justification et son utilité à une époque, mais nous devons désormais tourner la page. Il n’y a aucune chance qu’on construise des acteurs européens compétitifs si, par nos règles, par la structuration de nos programmes, nous les empêchons d’être efficaces. Si on fait traverser à un lanceur cinq ou six fois la frontière pour être produit, là où leurs concurrents américains le font dans un seul endroit.

Nous serons compétitifs aussi si nous sommes capables d’assurer l’émergence de nos start-up, de leur permettre de grossir dans la phase, pardon de ces anglicismes, dit scale-up, et de se développer au niveau européen avec les financements nécessaires. Ce que nous avons su faire en France avec France 2030, avec nos grands programmes, avec nos organismes, il faut maintenant le dupliquer au niveau européen avec une vraie approche commune. Ce n’est pas en multipliant et en ayant 27 fois la même approche que nous arriverons à faire émerger des start-up au niveau critique. Le marché domestique de celle-ci doit être nativement le marché européen.

C’est aussi ce qu’il faut faire en unissant nos forces. À ce titre, les annonces récentes sur la fusion de nos trois satellitiers européens : TAS, ADS et Telespazio, sont encourageantes, et je les encourage. Elles démontrent la capacité d’acteurs européens à s’allier pour créer un nouveau champion dans le domaine spatial et au-delà de la France, nous allons nous battre pour qu’au niveau européen, ce mouvement décisif soit encouragé. Parce qu’il permet de créer de la masse critique, permet de réduire de la concurrence interne et d’aller de l’avant.

Le monde avance vite, les géants du secteur se verticalisent et captent la valeur sur toute la chaîne. Pensons donc aussi cette compétitivité du lanceur aux fréquences en passant par les opérations satellitaires. C’est aussi pour cela que la France soutient Eutelsat, seul opérateur européen détenteur d’une constellation en orbite basse qui doit se mettre au service de l’Europe et est un élément déterminant de cette compétitivité.

Après la compétitivité, le deuxième aspect sur lequel je voulais revenir pour notre Europe du spatial, c’est celui de la préférence européenne. Vous m’avez sans doute entendu défendre cet aspect dans d’autres domaines industriels, en parlant d’automobile, d’industrie, de digital, elle est vitale partout, elle l’est aussi et surtout dans le spatial. Cette préférence européenne, ce n’est pas un gros mot et ce n’est pas du protectionnisme. Serions-nous si naïfs à penser que les Chinois peuvent avoir une exclusivité chinoise, les Américains une nette préférence assumée américaine, et que l’Europe devrait être, au fond, le seul acteur du jeu à avoir la naïveté de parfois préférer les autres.

Si nous souhaitons un écosystème industriel performant et qui se développe, nous devons commencer par lui dédier, je l’évoquais tout à l’heure rapidement, mais je veux y revenir, tout le marché institutionnel, sans exception. Cela peut paraître d’évidence, mais il n’en est rien, et ça a été largement remis en cause ces dernières années. Nous devons cesser de nous poser des questions et faire grossir notre industrie par nos moyens, et donc, préférence dans nos programmes européens, préférence dans les choix des différents acteurs de la filière, utilisation de la commande publique qui doit être fléchée sur nos acteurs européens.

Nous devons aussi approfondir les meilleurs modèles de financement institutionnel de l’industrie, par exemple, via de l’achat de services ou encore de lancement. L’Europe doit jouer un rôle de consolidateur de la demande et assumer cette préférence européenne. Nous nous battrons dans tous les textes et dans tous les programmes pour ce faire. C’est absolument décisif. J’appellerai tous mes collègues à la plus grande vigilance, car je vois se multiplier des chiffres parfois très impressionnants, et c’est une bonne chose, d’investissement pour les années à venir. Mais si ces investissements devaient se traduire par des achats sur étagère de solutions américaines, je ne suis pas sûr que nous progresserions collectivement dans une Europe du spatial plus souveraine.

Enfin, troisième aspect sur cette approche européenne sur lequel je voulais insister, c’est celui de la gouvernance. Pour définir et porter une vision, fédérer les États et les nombreux acteurs, l’Union européenne doit assumer son rôle et piloter la politique spatiale tout en s’appuyant sur les moyens et l’expertise techniques qui existent par ailleurs. Sans un pilotage politique ambitieux, clair et exigeant, le chemin sera impossible. Il en va de notre capacité à réussir des programmes communs nouveaux. C’est l’exemple du programme IRIS². Cette constellation européenne de satellites est un programme nécessaire pour nos concitoyens, pour nos armées, pour nos nations européennes. Nous devons faire de ce projet un succès, et pour cela, nous devons le simplifier, nous devons l’accélérer pour rendre les services de connectivité nécessaires à toute l’Europe avant la fin de la décennie, et pour imaginer des étapes intermédiaires afin d’arriver à celui-ci.

Compétitivité, préférence européenne, accélération et nouvelle gouvernance, je porterai cette ambition en Europe dans les semaines à venir, dans le dialogue franco-allemand et au niveau européen. Nous devons avancer vite en la matière, comme nous le faisons depuis le Bourget et comme nous continuerons à le faire avec l’Allemagne, l’Italie, le Commissaire européen, l’ESA, pour ne citer qu’eux.

Le dernier point avant de conclure que je voudrais faire est sur la trajectoire financière. Cette ambition, qui sera publiée aujourd’hui même dans un détail plus important, cette ambition se traduit très concrètement par une trajectoire financière ambitieuse, la trajectoire militaire que j’évoquais tout à l’heure avec les surmarches et qui seront détaillées très prochainement, mais dont j’ai déjà donné le chiffre pour la partie spatiale, mais avec aussi une trajectoire financière ambitieuse pour le spatial français civil, y incluant les activités duales de plus de 16 milliards d’euros d’ici à 2030, hors activités purement militaires.

Nous nous faisons fort de préserver les financements nécessaires à notre ambition spatiale, en lien avec les enjeux duaux qu’ils recouvrent. C’est un secteur de souveraineté stratégique, industriel et économique que nous priorisons au sein de la stratégie de consolidation de nos finances publiques. Ces investissements se partagent efficacement entre une partie réservée au cœur de souveraineté nationale, des programmes en coopération européenne via l’ESA et les programmes pilotés par l’Union européenne. Ils permettent aussi la participation à des grands programmes d’envergure internationale, notamment via le CNES et ces derniers qui permettent les coopérations ont été sanctuarisés dans la trajectoire. Ils permettront également de décliner l’ensemble de nos ambitions. Des rendez-vous ministériels européens sont à venir prochainement et tous les détails seront donnés à ces occasions.

Voilà en quelques mots les grands axes de notre stratégie sur lesquels je voulais revenir, Mesdames et Messieurs, aujourd’hui devant vous. Ce n’est pas un plan, une doctrine, c’est un programme d’action avec un cap clair, avec des déclinaisons et un financement. J’ai, pour ce faire, chargé un ministre du pilotage de cette stratégie avec une gouvernance resserrée autour du ministre chargé de l’Espace.

Ensuite, la France portera cette ambition au niveau européen. Nous avons devant nous de nombreuses échéances spatiales qui arrivent, très vite avec la ministérielle de l’ESA, je l’évoquais en creux, à la fin du mois, puis à l’Union européenne, la mission Epsilon et tant d’autres jalons avec chacun de nos partenaires. C’est dans cette perspective que nous accueillerons un sommet spatial international à Paris l’année prochaine. Nous l’organiserons avec l’Allemagne, avec qui nous initions un travail de fond sur le spatial, décidé fin août, mais en associant également plusieurs Européens, dont les Italiens.

Je veux que ce sommet rassemble les Européens autour d’une ambition commune : indépendance, progrès, connaissance, coopération. Ce sommet sera nourri par l’excellence scientifique française. J’ai demandé au CNES de se rapprocher de ses homologues allemands et italiens pour construire ensemble une vision partagée de la place de l’Europe sur la carte des puissances spatiales mondiales à l’horizon 2035.

Le sommet aura lieu en avril 2026 et j’ai désigné Thomas Pesquet, un symbole fort de l’Europe spatiale, ainsi que Hélène Huby, une dirigeante phare du secteur, pour être les visages de ce sommet en tant qu’envoyés spéciaux et je les en remercie.

Mesdames et Messieurs, je ne serai pas plus long. Nous vivons dans un monde de bouleversements radicaux et les acteurs que vous êtes en sont profondément conscients. Chargés du renseignement, aviateurs, militaires, chercheurs, académiques, industriels, parlementaires, officiers généraux, chacune et chacun dans vos compétences, vos qualités, et évidemment entrepreneurs ou salariés de ces entreprises, vous mesurez chaque jour la radicalité et la rapidité des changements que nous subissons.

En vérité, nous ne voulons pas les subir. Nous voulons les anticiper, nous voulons les penser, nous voulons en être des acteurs pour défendre, justement, dans le cadre de ces changements, l’indépendance de notre nation, l’autonomie de notre accès à l’espace et de nos capacités d’action, notre liberté, et une certaine idée du progrès humain, une certaine idée de ce que doit être l’espérance universelle.

C’est cela ce que la France a toujours porté aussi dans son approche duale, par son ambition de recherche, par la défense de la liberté académique et de l’indépendance universitaire dans des temps où elle est parfois remise en cause, et dans son ambition industrielle de recherche et militaire. C’est celle que nous continuerons de porter. Vous l’avez compris, avec le commandement de l’espace, avec les investissements de la LPM et avec cette stratégie que nous publions aujourd’hui et qui est une première, c’est bien de cela dont il s’agit. C’est cela que nous porterons tous ensemble.

Je vous remercie pour votre attention. Je vous remercie surtout pour l’engagement de chaque jour. Je compte sur vous à tous égards.

Vive la République et vive la France.