Dans un poignant documentaire, la journaliste Najiba Noori filme le quotidien de sa sœur, de sa nièce, mais surtout de sa mère, Hawa, qui entreprend à 52 ans d’apprendre à lire et à écrire. Une quête d’indépendance stoppée par le retour des talibans en 2021.
Hawa et sa petite-fille Zahra, filmées par Najiba Noori à partir de 2019. « La vie de Hawa » (2024). TAG Film
Publié le 12 novembre 2025 à 13h52
Mis à jour le 12 novembre 2025 à 16h56
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Attablée dans un café du vingtième arrondissement de Paris, la documentariste Najiba Noori se souvient de la naissance d’une vocation : « Quand j’avais 14 ans, avec ma mère, nous écoutions une émission radio animée par des femmes. Les entendre parler aux gens, c’était quelque chose de magique. Je me suis dit : un jour, j’aimerais beaucoup devenir journaliste. » Dans La Vie de Hawa, premier film bouleversant, la réalisatrice afghane, issue de la minorité hazara, donne à son tour la parole à trois générations de femmes : sa sœur, sa nièce, mais surtout sa mère, Hawa, 52 ans. En 2019, à Kaboul, lorsque sa fille commence à la filmer, son mari — un homme de trente ans son aîné, épousé alors qu’elle n’avait que 13 ans— est sénile, ses six enfants sont grands… et Hawa entreprend d’apprendre à lire, à écrire, et lance son petit commerce de broderies artisanales.
« Les Afghanes sont toujours dépeintes comme des victimes. Bien entendu, leur condition est extrêmement difficile. Mais des femmes, comme ma mère, ont résisté toute leur vie. Il faut aussi raconter leur histoire », martèle Najiba Noori. Dans ce film portrait, elle rend hommage à la détermination d’une mère qui voit en l’éducation un moyen de s’émanciper… Et a toujours milité pour que ses deux filles et leurs quatre frères accèdent au savoir, y compris alors que leur famille était réfugiée en Iran jusqu’en 2004, pour fuir les talibans parvenus une première fois au pouvoir en 1996. « Ma mère a voulu nous offrir une vie différente de la sienne. Dès notre retour en Afghanistan, alors que j’avais 9 ans, elle m’a inscrite à l’école. Et lorsque j’ai quitté le foyer, à 17 ans, elle m’a soutenue car c’était pour étudier. »
Réaliser ce film était un moyen de soutenir les Afghanes, malgré mon exil.
Najiba Noori, réalisatrice
Passée brièvement par l’université (en filière agriculture), Najiba Noori participe à des émissions de radio — « pendant trois ans, après les cours, sans être payée » — et découvre finalement le reportage durant un cours de photographie. En 2019, elle devient une voix de l’Afghanistan pour l’Agence France presse. « Dans le même temps, je filmais ma mère », se souvient-elle. Chez le coiffeur, alors qu’Hawa négocie avec des commerçants en ville, sa fille chronique avec délicatesse l’émancipation tardive d’une femme qui « dit toujours ce qu’elle pense ». Une expérience intime, qui resserre leur lien. Devant sa caméra, Hawa se livre sur sa vie amoureuse, ses sacrifices, ses regrets. « Je lui ai posé des questions que je n’osais pas poser au quotidien. J’ai pu l’observer plus en détail, avec plus d’attention. J’ai réalisé l’importance d’écouter », confie la réalisatrice.
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Mais alors qu’elle documente les progrès de sa mère, qui s’entraîne à former des caractères, puis des phrases sur son tableau d’écolière, la situation géopolitique, de plus en plus sombre, s’immisce dans leur vie. Sur l’écran de télévision familial, aux côtés d’Hawa, Najiba Noori assiste, incrédule, à la progression des talibans. « Jusqu’au moment où ils sont entrés dans Kaboul, je n’y croyais pas. En quelques mois, les femmes afghanes ont perdu des années de progrès pour leurs droits… », se remémore-t-elle avec une émotion encore vive. Le 15 août 2021, alors que Kaboul tombe aux mains du groupe terroriste, la journaliste de 26 ans doit quitter son pays en quelques minutes (sa famille n’a pu la rejoindre en France que l’année passée, à l’exception de sa sœur et sa nièce). « La situation était déjà délétère pour les journalistes. Nous avions perdu beaucoup de collègues. Dès que je sortais, j’avais peur de ne pas revenir vivante. J’ai assisté à des scènes d’horreur traumatisantes. Travailler pour l’AFP était devenu trop dangereux. »
Najiba Noori, en exil depuis le retour des talibans en 2021, parle à sa mère en vidéo. Ce moment est capté par son frère Rasul, lui aussi journaliste, alors encore sur place. TAG Film
Pas question cependant d’interrompre le tournage de son film. Najiba Noori confie alors sa caméra à son frère photographe, Rasul. Dans la dernière partie de son long métrage, filmée après 2021, la répression croissante des Afghanes par les talibans est palpable : persécutées, interdites d’accéder aux universités, de circuler librement… « Je suis journaliste, je sais à quel point les médias peuvent délaisser un terrain de conflit pour un autre, déplore Najiba Noori. Or nous devons continuer de montrer ce qu’il se passe à Kaboul. Un groupe terroriste tente de faire disparaître les femmes. Nous avons passé beaucoup de temps au téléphone avec mon frère, afin de savoir comment procéder. Réaliser ce film était un moyen de soutenir les Afghanes, malgré mon exil. »
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Réfugiée à Paris depuis quatre ans, la réalisatrice se consacre désormais uniquement au documentaire, prépare un film sur une compatriote elle aussi exilée, et un autre, en animation, sur sa propre histoire. « Ces récits, c’est ma façon de résister », souligne-t-elle. Lorsque nous la rencontrons cet après-midi venteux d’octobre, elle arrive tout juste du Japon… et se prépare à repartir quelques jours plus tard pour un festival en Allemagne. « Je suis fatiguée, souffle-t-elle dans un sourire. Mais pour moi, c’est très important d’accompagner mon film, d’en parler avec le public. Nous ne devons pas oublier les femmes afghanes. »
La Vie de Hawa, documentaire de Najiba Noori. Diffusé sur Arte, mercredi 12 novembre à 23h40. Et disponible sur Arte.tv.