Par
Gabriel Kenedi
Publié le
13 nov. 2025 à 6h04
Quelles sont les pratiques de consommation de drogues à Toulouse ? Le dispositif Trend (Tendances récentes et nouvelles drogues), piloté par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), a publié en août dernier un nouveau rapport, basé sur l’année 2024. Ce rapport – reposant sur un travail d’enquête dans lequel ont été interrogés des usagers, des éducateurs, des médecins ou encore des acteurs de la prévention mais aussi des représentants des forces de l’ordre – permet de dresser un panorama précis sur les usages de drogues dans la Ville rose. Voici ce qu’il faut en retenir.
Toulouse, une plaque tournante du marché de la drogue
Dans son rapport (de 58 pages, consultable ici), l’OFDT rappelle en préambule que « l’Occitanie est un territoire de transit important pour le cannabis en provenance du Maroc. Depuis 2023, l’accroissement important des saisies de cocaïne en Espagne pointe un possible renforcement du vecteur espagnol, probablement en réponse à l’augmentation du nombre de contrôles réalisés sur les ports d’Europe du Nord ».
En tant que capitale de la région, et de par sa position géographique, Toulouse est donc bien entendu une plaque tournante du trafic.
Des saisies importantes dans la région
Le rapport de l’OFDT souligne que « les volumes saisis en 2024 par les services de l’application de la loi sont comparables à 2023. Ceux de cannabis tendent à baisser (13-14 tonnes en 2024, pour 15 à 18 tonnes entre 2020 et 2023) tandis que la quantité de cocaïne saisie est légèrement en hausse. »
« En 2023, cette dernière avait été presque multipliée par 20 comparée aux moyennes annuelles depuis 2020 (19 kg en 2022, 375 kg en 2023). Cette tendance est confirmée avec près d’une demi-tonne (495 kg) de cocaïne saisie en 2024″.
L’OFDT ajoute : « Les produits sont en grande majorité en transit en Occitanie, à destination de l’Italie puis des pays de l’est de l’Europe. Ces données de l’activité des forces de l’ordre ne renseignent donc pas sur la disponibilité des produits sur la région ».
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C’est quoi le dispositif Trend ?
Le dispositif TREND a pour objectif principal d’identifier et de décrire à travers des observations locales l’évolution des tendances et des phénomènes émergents liés aux produits psychotropes illicites ou détournés de leur usage.
Rappelons que la consommation de drogues est en expansion en France. Une étude récente de l’OFDT révèle que la demande de cocaïne n’a jamais été aussi forte : 1,1 million de personnes en ont consommé au moins une fois dans l’année 2023 en France ». Et que, toujours en 2023, la consommation de cannabis comptait environ 5 millions d’usagers.
En 2022, plus de 30 % des adolescents âgés de 17 ans en avaient déjà consommé. En France, 21 millions de personnes en ont consommé au moins une fois dans leur vie. La drogue s’invite aussi dans les cours d’école notamment sous la forme du protoxyde d’azote.
Des points de deal qui se sont adaptés
Les auteurs du rapport notent que les trafiquants de drogue ont depuis plusieurs années réorganisé l’approvisionnement de leurs point de deals, afin de limiter les risques judiciaires.
Cela passe par une gestion des stocks « plus prudente » mais également par une réorganisation des points de deal, totalement transformés depuis la digitalisation du trafic. Désormais, le gros du trafic s’établit via des plateformes (Télégram, Signal, Snapchat et autres…).
Or, l’année 2024 a été « marquée par l’arrestation du patron de Telegram qui a entraîné une restructuration des comptes de vente en ligne et des orientations vers d’autres applications et messageries. Une forte résilience et capacité d’adaptation des réseaux aux stratégies répressives sont relevées, ce qui complexifie le travail d’enquête policière ».
Des livreurs souvent « insérés »
Ces dernières années, le profil des livreurs recrutés pour alimenter directement les consommateurs est en train de changer.
« Selon les données recueillies, la personne recrutée via les comptes de vente sur les réseaux serait de moins en lien avec l’organisation générale du trafic mais embauchée à la tâche. Cela semble générer un sentiment de sécurité vis-à-vis des risques associés au trafic de stupéfiants. Les gestionnaires de canaux de vente s’attachent à proposer des offres professionnelles. Celles-ci s’adaptent aux envies, besoins et temporalité de chacun et s’adressent à toutes et tous, en adoptant une approche inclusive dans la rédaction des messages. Cette nouvelle stratégie a pour objectif de cibler des personnes insérées, notamment sur des postes de livraison, afin d’être moins repérées par les acteurs de l’application de la loi », précise le rapport.
À Toulouse, comme ailleurs, on remarque que les livreurs recrutés sont de plus en plus souvent des femmes, et des personnes « socialement insérées ». Mais aussi des chômeurs qui font cela « pour arrondir leur fin de mois ».
Sur les points de deal « des profils vulnérables »
A contrario, « différents profils apparaissent en première ligne sur les points de deal, pointe également l’OFDT dans son rapport. Les professionnels du secteur social décrivent des jeunes, souvent mineurs, aux parcours institutionnels complexes, reconnus parfois en situation de handicap par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Ils ne seraient pas nécessairement domiciliés dans le quartier où se trouve le point de vente, mais logés et nourris par le réseau qui les recruterait via les réseaux sociaux ».
Pour vendre leurs drogues, les trafiquants utilisent les applications type Télégram, Signal, Potato ou encore Sky. « Quand ils s’aperçoivent qu’il y en a une (application, ndlr) qui est grillée, ils passent à une autre. C’est sans fin !« , réagit un représentant des forces de l’ordre dans le rapport. Au-delà de la livraison, les vendeurs « couvrent des territoires de plus en plus vastes, parfois recouvrant plusieurs villes ».
Des « meet-up » (points de rencontres discrets et mouvants établis par le vendeur) se développent dans des villes parfois éloignées les unes des autres.
Des « pénuries partielles de cocaïne » à Toulouse
Si la cocaïne est en plein essor, notamment à Toulouse mais également en zones rurales. En revanche, en 2024, le marché de la cocaïne a été confronté à des phénomènes (très ponctuels) de pénurie, notamment à la suite de très grosses saisies, ce qui a entraîné une augmentation des prix et une diminution de la qualité de la drogue, plus coupée que d’ordinaire.
« Durant plusieurs mois, notamment en mai et juin en Haute-Garonne et dans les départements limitrophes, le marché de la cocaïne a été perturbé par des pénuries partielles. Ceci a donné lieu à une limitation des quantités vendues (…). Une augmentation du prix de 10 à 20 euros le gramme a été également constatée. Différentes explications ont été avancées par les usagers et les vendeurs. Certains pointent la multiplication des saisies par les forces de l’ordre qui auraient impacté l’arrivée du produit sur le territoire toulousain. D’autres indiquent une déstabilisation de l’organisation de l’offre sur le territoire liée à des arrestations et des tentatives de reprises par d’autres groupes criminels de certaines zones toulousaines », souligne le rapport.
Kétamine, cannabis, Lyrica… : les prix de la drogue
Le cannabis reste évidemment une des premières sources de revenus pour les trafiquants, qui proposent de « nombreuses variétés » d’herbe mais aussi « des produits au THC qui ne se fument pas mais qui se vapotent ou se mangent », ce qui « indique une volonté d’ouvrir le marché à des personnes non fumeuses« , souligne l’OFDT.
On trouve également sur le marché illicite toulousain de la kétamine (de plus en plus accessible), des cathinones (une drogue de synthès dérivée du Khat), du Lyrica, (un médicament à base de prégabaline utilisé dans le cadre de l’épilepsie de plus en plus répandu à Toulouse), ou d’opioïdes de synthèse.
L’OFDT dresse un tableau des prix moyens constatés à Toulouse et en Occitanie. Et ils sont stables par rapport aux années précédentes, à l’exception du prix de la kétamine, qui est en forte baisse. :
- Cannabis : 8€ le gramme
- Cocaïne : 50-70€ le gramme (70-80€ au plus haut)
- MDMA, ecstasy : 10€ l’unité, 30€ en cristaux
- Amphétamine/speed : 20€
- Kétamine : 20-30€ le gramme
- LSD : 10€/ buvard ou goutte
- Prégabaline : 2-3€ par comprimé
- Méthadone : 2-4€ par comprimé
- Subutex : 3-5€ par comprimé
- Skénan : 3-5€ par comprimé
La « k », prisée des très jeunes en milieu festif
Le rapport se concentre également sur l’usage de ces produits illicites dans un contexte festif (concerts, soirées, free-parties, warehouse…). Pour les adeptes concerts et soirées club (légales ou non), on note notamment une consommation « très présente en espace festif » de kétamine, chez les jeunes de 15 à 25 ans.
« Elle est en grande majorité sniffée, malgré quelques usages rapportés en injection par voie intramusculaire. Les consommations festives peuvent, pour une partie des personnes, dévier sur un usage intensif, du fait de la forte accoutumance du produit, mais aussi des vulnérabilités potentielles de ces jeunes. Elles peuvent ainsi participer à l’isolement social, notamment pour les personnes en situation de décrochage scolaire », notent les auteurs du rapport.
La MDMA est aussi toujours aussi présente : « Elle est largement consommée en clubs du fait de la discrétion de la prise et de l’accessibilité financière du produit ».
Chemsex : de plus en plus de pratiques à risque
Le rapport s’attarde également sur la pratique du chemsex [que l’on peut définir comme l’usage de substances psychoactives illicites lors de rapports sexuels. Le chemsex est principalement pratiqué par les hommes ayant des relations avec les hommes mais aussi dans certains milieux libertins hétérosexuels. Les substances utilisées sont le plus souvent des cathinones de synthèse (4‑MEC, 3MMC…), la cocaïne et la méthamphétamine (Crystal), parfois l’ecstasy/MDMA, la kétamine ou encore le GHB), ndlr].
Pour les auteurs du rapport, la consommation de drogues « en contexte sexuel dans la communauté gay » est de plus en plus pregnante, « complexifiant la recherche de partenaires. Les demandes des clients des travailleurs du sexe intervenant dans cette
communauté sont désormais très fréquemment conditionnées à la consommation de produit », notent les autrices du rapport.
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