La Norvège, ses fjords, ses élevages de saumons… et sa taxation des plus fortunés. Alors que la France débat de son prochain budget, le modèle fiscal du pays scandinave fait figure d’épouvantail dans les cercles économiques libéraux français, qui comparent cet impôt sur la fortune à la sauce norvégienne à la médiatisée taxe Zucman, rejetée le 31 octobre par les députés français.

En 2022, une hausse de cet impôt sur la fortune en Norvège aurait eu pour conséquence de faire fuir de riches contribuables, créant ainsi un manque à gagner pour les finances publiques.

L’argument est diffusé sur les réseaux sociaux sous la forme d’un graphique, traduit d’un article en anglais écrit par un site dont la spécialité est d’accompagner les personnes désireuses d’acquérir la nationalité d’un pays à la fiscalité douce. On peut ainsi lire que ces riches exilés cumuleraient un patrimoine de 46 milliards d’euros. Du fait de ces départs, 381 millions d’euros auraient manqué dans les caisses de l’Etat et des communes norvégiennes, à qui cet impôt sur la fortune est dû.

Ce graphique évoquant une "taxe Zucman norvégienne" est incomplet.Ce graphique évoquant une « taxe Zucman norvégienne » est incomplet. - Capture d’écran FacebookFAKE OFFPeut-on comparer cet impôt sur la fortune norvégien avec la taxe Zucman ?

Difficilement. Dans leur proposition de loi qui reprend la formulation imaginée par l’économiste français Gabriel Zucman, les députées Eva Sas (Les écologistes) et Clémentine Autain (La France insoumise) arguent que cette taxe touchera « 0,001 % » des contribuables français, soit ceux dont le patrimoine s’élève a minima à 100 millions d’euros. L’objectif est « de s’assurer que ceux-ci paient au moins 2 % de leur fortune en impôts ». Des dispositions sont prévues pour éviter le phénomène de double taxation.

L’impôt sur la fortune norvégien, le formueskatt, a une assiette plus vaste. Il est redevable dès lors que le contribuable possède un patrimoine s’élevant à 1.760.001 couronnes norvégiennes, soit 150.800 euros. Toutefois, des déductions existent pour le calcul du patrimoine, rendant ainsi cette taxe applicable à des patrimoines dont la valeur réelle est plus élevée.

Entre 150.800 et 177.388 euros de patrimoine, les contribuables doivent payer un taux de 1 %. Pour les patrimoines supérieurs, le taux de l’impôt grimpe à 1,1 %.

Du fait de cette assiette plus basse que la taxe Zucman, plus de contribuables norvégiens s’acquittent de cet impôt : en 2022, ils étaient 623.423, soit près de 11,23 % de l’ensemble des Norvégiens. En 2023, ce chiffre avait légèrement augmenté, avec 654.947 contribuables s’acquittant de cet impôt.

Que s’est-il passé en Norvège en 2022 ?

Cette année-là, un nouveau taux de l’impôt sur la fortune, qui existe depuis 1892, entre en vigueur. Le taux applicable passe à 1,1 % pour les contribuables les plus fortunés.

Dans les mois qui suivent, la presse locale se fait l’écho de départs de fortunés Norvégiens à l’étranger. La Suisse figure parmi les destinations privilégiées. D’après un rapport du bureau des statistiques du pays, repéré par les Surligneurs, 240 Norvégiens figurant parmi les 1 % des plus hauts revenus ont quitté le pays entre 2022 et 2024.

Il est toutefois hasardeux d’imputer ces départs à cette seule hausse de l’impôt sur la fortune. Un autre facteur a pu entrer en jeu : en 2022, une disposition permettait d’être exonéré d’impôts sur certains dividendes et plus-values après cinq ans passés à l’étranger, comme le note l’économiste Appelez Moene dans le journal Aftenposten. Cette disposition a été restreinte en 2024.

Ces départs ont-ils créé un manque à gagner ?

Le graphique diffusé sur les réseaux sociaux évoque une perte de 381 millions d’euros de recettes fiscales. Un calcul fait à partir de l’estimation du patrimoine des exilés, estimé à 46 milliards d’euros. Or, du fait notamment des diverses déductions, on ne peut pas calculer le montant de l’impôt à partir du patrimoine brut.

En décembre 2023, le ministre des Finances avait avancé que 82 ultra-riches Norvégiens avaient quitté le pays. Ces citoyens fortunés avaient un patrimoine cumulé de 45,7 milliards de couronnes norvégiennes l’année avant leur départ. Des chiffres que le ministre invite à interpréter « avec prudence ».

Avec un montant moyen par contribuable de 41.500 couronnes en 2022, le formueskatt a rapporté 27 milliards de couronnes, soit 2,3 milliards d’euros, aux communes et à l’Etat norvégiens, selon un calcul du ministère des Finances fourni à l’AFP. Ce montant a augmenté en 2023, avec un montant moyen de 44.000 couronnes et un total de 30 milliards de couronnes (2,5 milliards d’euros) pour les caisses publiques. Pour 2025, le ministère des Finances prévoit des rentrées de 34,8 milliards de couronnes, soit près de 3 milliards d’euros.