«Bonjour la France, Boualem revient. On va gagner!», a déclaré l’écrivain au lendemain de sa libération des geôles algériennes, lors d’un entretien avec Kamel Daoud pour Le Point.
Enfin libre. L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, libéré mercredi des geôles algériennes après un an de prison pour «atteinte à l’unité nationale», s’est confié pour la première fois depuis son arrivée à Berlin, où il a été pris en charge à l’hôpital. Ses paroles, rares, ont été retranscrites ce jeudi dans les colonnes du Point par l’écrivain Kamel Daoud, avec qui il s’est entretenu par téléphone.
Je vais «plutôt bien, je suis costaud. Je ne vais pas être détruit par une petite année de prison», s’est-il d’abord confié. L’auteur du Serment des barbares (Gallimard, 1999) et de 2084 : la fin du monde (Gallimard, 2015) devrait «être à Paris» vendredi ou samedi, selon lui.
Interrogé par Kamel Daoud sur ses conditions de détention, Boualem Sansal a indiqué n’avoir «pas» eu «de moyen de communication. Quand tu es là-bas (en Algérie), on te prend ta carte, tes papiers, ton téléphone». «Tu as eu l’occasion ou la liberté de lire ou pas?», lui demande Kamel Daoud. «Lire? C’est interdit. Des livres de religion ou en arabe. C’est ce qu’il y a (en prison). Mais il y a un trafic de livres en cachette, tu les paies avec des cigarettes ou avec des gâteaux. Avec ça tu peux en avoir».
«Bonjour la France, Boualem revient. On va gagner!»
Le Franco-Algérien, qui était à l’«isolement» et «coupé du monde, sauf (pour) les visites» de sa femme Naziha, a toutefois été mis en courant de «quelques vagues rumeurs», portant notamment sur la mobilisation en France de son comité de soutien. «J’ai quand même compris que ça bougeait partout. Je l’ai senti à un moment donné quand le régime carcéral a changé. J’étais dans un quartier de très haute sécurité. Je n’avais pas vraiment le droit de parler souvent aux autres prisonniers. Ou de les approcher. On va raconter tout ça plus tard.»
«De tout ce que tu m’as raconté, est-ce que tu veux que j’écrive une phrase précise?», questionne Kamel Daoud. «Tu dis: “Bonjour la France, Boualem revient. On va gagner!”», lui rétorque-t-il, avant d’évoquer les relations entre les pouvoirs français et algérien. «J’espère que les relations entre la France et l’Algérie vont évoluer grâce à l’Allemagne et à notre diplomatie», déclare-t-il dans un premier temps. Mercredi, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a «répondu favorablement» à une demande de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, «concernant l’octroi d’une grâce en faveur de Boualem Sansal», selon un communiqué des autorités algériennes, qui ont évoqué des «motifs humanitaires».
«On m’a raconté un peu les dessous des négociations», reprend Boualem Sansal. «Il y a une jonction astrale qui est bonne. On m’a déplacé d’une prison à une autre hier, puis l’hôpital. Quelqu’un est venu me voir. Il y avait quelque chose, une hésitation. On va le libérer, on ne va pas le libérer, c’était très mystérieux. J’étais ensuite à maison Carré (une prison à Alger, NDLR), une prison du Moyen Âge. Dans la même journée, on m’a déplacé à l’hôpital Mustapha (toujours à Alger, NDLR), je n’étais plus un prisonnier mais un malade gardé.»
«La France est l’amie de l’Algérie et c’est vous qui en avez fait un ennemi»
Il évoque enfin un «visiteur du soir». «“Vous êtes qui ?”, j’ai demandé. Sinon laissez-moi dormir, je suis fatigué”. Finalement, son message était : “Vous devez mettre de l’eau dans votre vin…” Enfin, des lignes rouges. J’ai répondu, “Vaut mieux me garder encore vingt ans dans ce cas. Si je n’ai pas le droit de parler alors qu’est-ce que je fais sur terre ? Je pourrais être d’accord avec vous si vous faites la paix, si les relations évoluent dans le bon sens parce que la France est l’amie de l’Algérie et c’est vous qui en avez fait un ennemi. L’Allemagne est aussi un ami de l’Algérie. Et si ça va dans ce sens-là, oui.»
Le 1er juillet dernier, la Cour d’appel d’Alger avait confirmé une peine de cinq ans de prison pour l’écrivain, prononcée en première instance le 27 mars. Boualem Sansal était accusé d’«atteinte à l’unité nationale» après des déclarations en octobre 2024 au média français Frontières, où il estimait que l’Algérie avait hérité sous la colonisation française de régions de l’ouest du pays comme Oran et Mascara, appartenant précédemment, selon lui, au Maroc.
Boualem Sansal avait renoncé à se pourvoir en cassation, ce qui le rendait éligible à une grâce du président algérien. Frank-Walter Steinmeier avait demandé lundi qu’il soit gracié et bénéficie de soins en Allemagne «compte tenu de son âge avancé et de son état de santé fragile». Sa famille a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude pour la santé du romancier et essayiste de 81 ans, traité pour un cancer de la prostate. Dans un entretien à l’AFP, l’une de ses filles, Sabeha Sansal, a fait part de son «immense soulagement» et de son «impatience» à l’idée de le retrouver.