Par
Manon Haddouche
Publié le
14 nov. 2025 à 15h03
Une jeune fille de 17 ans, un été en Normandie, une première histoire d’amour qui tourne au traumatisme… Avec Mémoire de fille, Veronika Bachfischer, Sarah Kohm et Elisa Leroy plongent le spectateur dans l’intimité d’Annie Ernaux jeune fille, incarnée par Suzanne de Baecque, explorant la mémoire, le consentement et la naissance du désir à travers le prisme d’une expérience fondatrice. Issu d’une résidence au Théâtre Jean-Claude Carrière, ce spectacle est une production de la Cité européenne du théâtre, Domaine d’O, où il est créé du 14 au 19 novembre. La tournée débutera à partir du 26 novembre, au Théâtre des Abbesses. Dans un monologue intense mis en scène par Sarah Kohm, la pièce revisite le roman d’Annie Ernaux en suivant la quête d’une femme qui, des décennies plus tard, tente de comprendre la jeune fille qu’elle fut à l’été 1958. Entre introspection, mémoire et reconstruction, Mémoire de fille interroge le regard porté sur le corps féminin, la confusion entre désir et violence, et la manière dont une blessure intime peut traverser toute une vie.
Revisiter l’été 1958
À 17 ans, Annie Duchesne passe l’été de 1958 comme monitrice dans une colonie de vacances pour enfants dans l’Orne. Libérée du regard de ses parents, elle rêve d’une première histoire d’amour. La rencontre avec H, le moniteur en chef de cinq ans son aîné, la marque d’une violence inattendue. Pourtant, Annie s’efforce de la transformer en histoire d’amour passionnée, multipliant les rencontres pour satisfaire son désir. Les moqueries et humiliations s’ensuivent, mais ne la détournent pas de son objectif.
Ce n’est que des années plus tard, en écrivant Mémoire de fille, qu’Annie Ernaux reconnaît ces expériences comme des violences sexuelles et verbales. Le texte explore alors le lien entre désir féminin et subordination patriarcale, et la mémoire des traumatismes enfouis.
Une adaptation qui questionne le spectateur
« Est-ce qu’elle est moi, cette fille ? Suis-je elle ? » : telle est la question qui guide l’adaptation, selon Elisa Leroy. Sur scène, une comédienne seule, Suzanne de Baecque donc, incarne Annie et invite le public à interroger sa propre mémoire. L’adaptation pousse à réfléchir sur des questions centrales toujours actuelles : qu’est-ce qu’un abus de pouvoir, un abus sexuel ? Où commence la violence ? Comment exprimer un désir féminin au-delà du regard masculin ?
Le spectacle transforme l’expérience intime d’Annie en une expérience collective. La jeune fille de 1958 devient miroir : ce que le public voit dans l’actrice le renvoie à ses propres souvenirs, à la difficulté de déceler l’ambiguïté entre désir et violence, et à la manière dont la société patriarcale structure les relations amoureuses.
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Entre mémoire et écriture
Le processus d’écriture d’Annie Ernaux, fait de souvenirs dispersés reliés par une analyse rétrospective, est ici traduit en jeu scénique. La comédienne s’approprie le rôle et le vécu d’Annie Duchesne, révélant combien son histoire personnelle résonne avec la nôtre. Le monologue invite à scruter nos biographies pour identifier l’ambivalence de nos expériences, les violences subies, souvent imperceptibles, et l’influence persistante des normes de domination.
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Imaginer un autre langage amoureux
Mémoire de fille ne se limite pas à raconter un traumatisme. Il tente aussi d’ouvrir un espace de liberté pour le désir : « Comment imaginer un désir libre, pour tout le monde, si nous restons figés dans un imaginaire qui place la violence, la prise de possession, au cœur du désir de part et d’autre ? », souligne Elisa Leroy. L’adaptation propose ainsi de repenser le langage amoureux, d’explorer un désir féminin autonome, et d’offrir au public une réflexion sur la continuité des expériences de genre à travers les générations.
Avec Mémoire de fille, le spectateur est invité à regarder, à écouter et à se souvenir – non seulement de l’histoire d’Annie, mais aussi de la manière dont nos sociétés façonnent le désir et la mémoire, et de la nécessité d’inventer un récit libéré des codes de domination.
> Pratique : Mémoire de fille, à découvrir au Domaine d’O les vendredi 14 au dimanche 16 novembre, puis les mardi et mercredi 18 et 19 novembre. Pour en savoir plus ou pour prendre son billet, c’est par ici.
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