Posted On 15 novembre 2025
Après la publication de notre entretien avec l’ex directeur du CNAC / Magasin, alors que l’emblématique lieu de culture qu’est La Bobine est occupé et que le projet de fermeture de nouvelles bibliothèques est à nouveau contesté, le tour d’horizon du bilan culturel des Verts/LFI est édifiant.
Depuis 2014, la politique culturelle menée par la municipalité Piolle est un cumul de décisions contestées, de fermetures d’équipements, de crises institutionnelles et de démissions en cascade. Le bilan documenté contraste singulièrement avec l’affichage progressiste de la mairie. Entre idéologie rigide et incompétence managériale, le monde culturel grenoblois a vécu douze années difficiles.
2014 : LES MUSICIENS DU LOUVRE ABANDONNÉS
Dès 2014, l’une des premières décisions du nouveau maire : supprimer 400 000 euros de subvention aux Musiciens du Louvre. Cet orchestre prestigieux dirigé par Marc Minkowski était établi à Grenoble depuis des années. Le coup symbolique est violent : la nouvelle municipalité écologiste annonce d’emblée qu’elle ne soutiendra pas l’excellence artistique si elle ne correspond pas à ses critères idéologiques.
Le message est clair : peu importe le rayonnement international d’une institution, peu importe sa qualité artistique reconnue. Seule compte la conformité aux priorités politiques de la majorité. Les Musiciens du Louvre quitteront progressivement Grenoble.
2016 : LES BIBLIOTHÈQUES FERMÉES DANS LES QUARTIERS
En juillet 2016, la municipalité ferme deux bibliothèques : Prémol et Hauquelin. La première se situe dans le quartier sensible du Village Olympique. Tout ça pour réaliser une économie prévue à 300 000 euros qui ne changera rien à la trajectoire financière de la ville. Pourtant, Piolle avait promis en campagne de « maintenir les 14 bibliothèques » (engagement n°110 de son programme).
Manifestation contre les suppressions de bibliothèques en 2016.
Cette décision lui « colle à la peau comme un label radioactif » selon France Culture. Elle symbolise l’abandon des quartiers au nom d’un plan de rigueur dont les habitants font les frais. Les bibliothèques, lieux de savoir et d’émancipation accessibles gratuitement, disparaissent là où elles seraient le plus nécessaires.
2016 : MUNICIPALISATION FORCÉE ET EXPULSIONS
En début de mandat, les Piollistes municipalisent le Théâtre 145 et le Théâtre de Poche. Le collectif Tricycle, qui gérait ces lieux depuis cinq ans, est expulsé. Les professionnels dénoncent le « manque de concertation, manque de discussion ». La méthode Piolle s’affirme : reprendre en main directement les équipements pour imposer la ligne politique.
Les chiffres de fréquentation du théâtre. Un crash complet.
Les chiffres du Théâtre Municipal illustrent l’échec de cette gestion municipale directe : de 54 000 spectateurs par saison en 2002, il est tombé à 5 000 en 2022. La municipalisation n’a pas amélioré l’offre culturelle, elle l’a étranglée.
LE CIEL LIQUIDÉ, LES FESTIVALS SUPPRIMÉS
En 2016, le CIEL (Centre d’Innovation et d’Échange Lyrique), établissement consacré aux musiques actuelles, est liquidé. Plusieurs festivals sont supprimés. Jérôme Safar, conseiller municipal PS, constate : « Ces économies n’ont pas été redistribuées sur d’autres secteurs ». L’argent économisé sur la culture n’a pas servi à financer d’autres projets culturels, il a simplement disparu du budget.
La liquidation du CIEL prive Grenoble de ce lieu dédié aux musiques actuelles, secteur pourtant dynamique et populaire. Mais là encore, ce ne sont pas les priorités idéologiques de la municipalité.
2017-2019 : LE BUDGET CULTUREL AMPUTÉ DE 4 MILLIONS
Entre 2017 et 2019, le budget culture passe de 30,5 millions à 26,6 millions d’euros, soit une baisse de 4 millions en trois ans. Le budget musique et spectacle vivant est divisé par deux : de 7,1 millions à 3,5 millions. Le budget personnel culturel recule de 1,07 million à 854 000 euros.
Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles, analyse : « la baisse est liée au choix de ne pas accorder de priorité à la culture ». Pendant que la communication municipale vante « l’écologie culturelle », les moyens fondent et les équipements ferment.
LE MAGASIN DEVENU UN « BATEAU IVRE »
Le Magasin, centre d’art contemporain national de Grenoble, devient également un « bateau ivre » selon Frédéric Martel de France Culture. Piolle a d’abord soutenu puis s’est « brutalement désolidarisé » de la direction. Les changements de cap brutaux empêchent toute sortie de crise alors que le fonctionnement d’un centre d’art contemporain exige stabilité et confiance entre élus et direction. À Grenoble, c’est le règne de l’arbitraire politique, des oukases et des coups de menton. L’institution culturelle subit les humeurs du maire et de sa majorité.
Le témoignage de Yves Aupetitallot, l’ex directeur du CNAC/Le Magasin de 1996 à 2015, sur la « volonté de mettre la culture au pas » est à retrouver ici
UNE ADJOINTE À LA CULTURE INCOMPÉTENTE
Corinne Bernard, cheffe de gare à Clelles, est bombardée adjointe à la culture en 2014 « faute de candidat » sur la liste Piolle. Des professionnels témoignent qu’elle téléphonait constamment : « Aidez-moi, expliquez-moi la culture ». Après six ans, elle est destituée, « dépitée par un monde culturel qui a demandé son scalp ». Elle sera remplacée lors du second mandat par Lucille Lheureux, qui n’est pas plus compétente en matière de culture et avait jusque-là brillé comme … adjointe à la propreté (on a vu le résultat).
La nomination d’une personne sans compétence dans le domaine illustre le mépris de la municipalité pour le secteur culturel. L’expertise professionnelle compte moins que l’appartenance politique. Les conséquences de cette incompétence se mesurent dans les crises successives.
CLIMAT DE PEUR ET DÉMISSIONS EN CASCADE
Frédéric Martel décrit dans son enquête très fouillée pour France Culture : « méfiance, peur et violence politique ont atteint les hommes et femmes d’art ». Les directeurs culturels parlent « à voix basse » du « khmer vert ». « Plusieurs directeurs ont claqué la porte avec fracas ». « Au moins 5 autres en burn-out ». Le centre chorégraphique a été « décapité » après le départ du duo directorial.
Ce climat délétère n’est pas le fruit du hasard. Il résulte d’une gestion politique brutale, d’un manque de confiance, d’une suspicion permanente envers les professionnels de la culture. La municipalité impose ses vues idéologiques sans concertation et marginalise ceux qui résistent.
PIOLLE DEVENU UN REPOUSSOIR POUR LES VILLES ÉCOLOS
À Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Tours, Besançon, Annecy, Poitiers : « aucun maire n’a l’intention de suivre l’exemple grenoblois » selon l’enquête de France Culture. Les élus écologistes ailleurs jugent la politique grenobloise « trop brutale », « trop désordonnée », « trop anti-culturelle », « trop hostile aux établissements ».
À EELV Paris, « la politique culturelle grenobloise n’est plus vraiment considérée comme un exemple ». Le modèle Piolle effraie jusqu’à ses propres alliés politiques. Grenoble est devenue le contre-exemple à ne pas suivre.
CHARTES IDÉOLOGIQUES ET CONTRÔLE POLITIQUE
Piolle dans Libération le 18 octobre 2022 : « Nous attendons de tout acteur soutenu qu’il progresse sur son empreinte écologique, sa mixité, son ouverture vers tous les publics ». La formulation est euphémisée mais le message est clair et sera confirmé dans la charte imposée par Lucille Lheureux aux acteurs culturels : seuls les projets conformes aux critères politiques de la municipalité recevront des subventions.
La charte culturelle qu’impose la municipalité aux artistes et créateurs qui souhaitent une subvention de la ville.
Claire Moulène dans Libération fustige « la municipalisation forcée, la suppression de têtes d’affiches, la gestion catastrophique du Centre d’art Contemporain ». La ville détermine ses soutiens sur « ses critères politiques » et bride la création artistique. L’écologie politique devient une machine à normaliser et contrôler la production culturelle.
VERS DE NOUVELLES FERMETURES DE BIBLIOTHÈQUES
Pendant ce mandat, la municipalité a également sorti un nouveau projet de suppression de deux bibliothèques (Centre-ville et Jardin de ville) et d’amputation du fond d’une troisième (Kateb Yacine, à Grand Place). Pour tenter de faire avaler la pilule, elle vend une extension de la bibliothèque centrale à Chavant, mais cette centralisation du réseau ne trompe pas et les habitants se mobilisent contre le projet des Verts/LFI.
Inauguration de la bibliothèque aux Eaux Claires / Mistral en décembre (3 mois avant qu’elle ne soit incendiée) : manifestation des bibliothécaires de la ville pour dénoncer la centralisation excessive », « les échanges compliqués », « le manque d’anticipation ».
Ce serait un nouveau recul considérable du réseau de lecture publique grenoblois, déjà amputé en 2016, alors qu’entre 2017 et 2021 on constatait -50% de fréquentation dans les bibliothèques.
LA CULTURE FRAGMENTÉE ET REPLIÉE
Deux logiques se dégage de ces douze années avec les Verts/LFI aux manettes. Une purement comptable à la petite semaine, en réduisant les équipements culturels de proximité. Et une idéologique, qui consiste à mettre la bride sur tous les acteurs culturels pour contrôler leur production. Les chiffres de fréquentation du théâtre, des bibliothèques, attestent du non-sens de cette politique qui se poursuivrait avec Laurence Ruffin (Verts) si l’héritière de Piolle était élue.
Cette politique culturelle, à force de vouloir soutenir LES cultureS au pluriel selon une grille idéologique rigide, ne soutient finalement plus LA culture du tout. Le résultat est une politique culturelle fragmentée, affaiblie, soumise aux diktats politiques, et incapable d’assurer sa mission première : offrir à tous les habitants un accès égal aux œuvres, aux savoirs et à la création artistique.
