Les tensions entre automobilistes et
cyclistes s’intensifient alors que la question de l’obligation
d’utiliser les pistes cyclables divise. Pourquoi ce sujet
cristallise-t-il autant les esprits ?

Scène vue mille fois en ville : une piste cyclable à droite, un
vélo reste sur la chaussée, derrière ça freine, ça s’agace, et la
tension grimpe d’un cran. Beaucoup d’automobilistes le disent cash
: ils n’ont pas envie de risquer un face‑à‑face parce que
“le
cycliste
n’emprunte pas la piste”
. Et là, la grogne
contre les deux‑roues explose, au feu suivant ou sur les réseaux,
tant le sujet cristallise les nerfs comme en témoigne les échanges
sur ce fil reddit.

Le contexte n’aide pas. Le vélo a pris de la place, très vite. À
Paris, il pèse désormais 11,2 % des déplacements
quotidiens,
contre 4,3 % pour la voiture
individuelle
, quand en 2010 seuls 3 % des trajets
se faisaient à vélo
. Et quand la pratique bondit, les
frictions suivent. Où s’arrête le bon sens, où commence
l’obligation d’emprunter la piste ? Et surtout, pourquoi le
climat se durcit autant…

Obligation piste cyclable : ce que les usagers reprochent (et
ce qu’on oublie)

Sur la route, chacun voit midi à sa porte. Des conducteurs
dénoncent des vélos jugés imprévisibles, des feux
grillés
, des écarts soudains. Des cyclistes répondent
qu’ils évitent parfois une piste encombrée,
discontinues ou mal protégée, ou qu’ils craignent
l’ouverture d’une portière, le
stationnement en double file
, l’angle mort d’un
utilitaire
. Et puis, la voie séparée n’existe pas partout.
Aucune précision n’est donnée ici sur les cas d’obligation ou
d’exception liés à la signalisation.

Le ressenti pèse lourd. En 2025 selon le baromètre sur le partage de la route
publié par Allianz
, seuls 38 % des
Français
disent avoir une bonne opinion du partage de la
route. Les automobilistes citent les engins de déplacement
personnel motorisés
comme première source de stress, les
cyclistes restent dans le viseur pour des comportements jugés
irréguliers. Signe d’un climat électrique : 23 % des
Français
déclarent avoir été marqués par un accident,
plus d’un sur deux par un accident impliquant un
cycliste. De quoi alimenter la défiance, même
quand chacun pense “faire au mieux” dans le trafic.

Violences motorisées, accidents, affaire Paul Varry : les
chiffres qui attisent la grogne

Un an après la mort de Paul Varry,
volontairement percuté à Paris, la Fédération des usagers de la
bicyclette publie un chiffre qui glace : 77 % des
cyclistes
interrogés disent avoir déjà subi une forme de
violence motorisée lors de leurs trajets, sur
334 301 réponses au baromètre vélo 2025. Dans ses
mots, « Le souvenir de ce drame est intact et la vague
d’émotions déclenchée il y a un an a mis en lumière un phénomène
généralisé de violences motorisées », écrit la FUB, citée par
Vert.

Le détail parle de lui‑même. « Il peut s’agir d’insultes,
d’intimidations, de violences physiques, des coups, de refus de
priorité ou, plus simplement, de voitures qui roulent trop près,
créant une situation de danger », détaille Jean‑Baptiste
Gernet, responsable du pôle expertise de la FUB. Et l’actualité
s’en mêle : à Toulouse, un cycliste de 16 ans a
été très grièvement blessé, « pronostic vital réservé ». À Meaux, une
cycliste de 54 ans s’est retrouvée coincée sous un
utilitaire, grièvement touchée aux jambes. À Bédoin, une jeune
cycliste de 16 ans a été héliportée après une collision avec une
camionnette. Les circonstances exactes de ces accidents ne sont pas
connues, et l’émotion, elle, continue de
grandir.

Rapport Barbe, loi en vue : ce qui pourrait apaiser la
route

Face à ce climat, la FUB pousse des leviers très concrets « pour
mieux sanctionner les auteurs de violences motorisées » : « La
suspension du permis de conduire, l’immobilisation et la mise en
fourrière des véhicules », ainsi que « la confiscation des
véhicules au moment du prononcé d’une condamnation ». « On
sait que les administrations travaillent à traduire plusieurs de
ces mesures en actions concrètes mais, pour l’instant, nous sommes
toujours dans l’attente », regrette Jean‑Baptiste Gernet.

L’État a mandaté Emmanuel Barbe pour proposer
une feuille de route afin d’apaiser la voie publique. Son constat
est limpide : « il est temps d’identifier le partage de la route et
sa pacification comme un sujet en tant que tel faisant l’objet de
mesures, voire d’une politique spécifique ». Et il rappelle un
repère simple : « 100 % de la population est à un moment
piéton »
, ce qui rend leur sécurité « prioritaire ».
Dans l’hémicycle, deux députés socialistes, Florence Hérouin
Léautey et Thierry Sother, avancent une proposition de loi ciblant
la formation au permis, l’augmentation de la part
des amendes dédiée à la sécurisation, la sanctuarisation
des trottoirs
, et une TVA abaissée à 5,5
%
sur les accessoires de protection pour les cyclistes.
« Alors que l’essor des mobilités douces a été fulgurant ces
dernières années, ni les comportements ni les aménagements n’ont
évolué assez vite pour garantir la sécurité des usagers et lutter
contre les violences motorisées », concluent les deux
proposants.

Ce que les usagers demandent le plus souvent : des aménagements
lisibles et continus, la séparation physique quand c’est possible,
le contrôle des stationnements illicites sur les aménagements, et
une verbalisation équitable des comportements dangereux, qu’ils
viennent d’un volant, d’un guidon ou d’un trottoir.

D’un autre côté, les chiffres de la mortalité rappellent la dure
réalité : en 2024, 222 cyclistes ont perdu la vie sur les routes
françaises, une hausse de 51 % par rapport à 15 ans plus tôt.
L’essor du vélo en ville, spectaculaire à Paris comme ailleurs, a
changé la donne, mais il n’a pas éteint la colère. À Paris, une
piste cyclable au nom de Paul Varry vient d’être
inaugurée. Un symbole, et un rappel. Car au fond, la route ne
s’apaise jamais toute seule, même quand la piste est tracée à
côté.