On l’avait quitté heureux comme jamais, les clés d’un appartement solidement accrochées à sa main. Profitant d’un élan de solidarité, Eugène avait obtenu un logement loué par une association d’insertion qui s’était montrée sensible à son parcours chaotique. Pendant trois ans, celui qui a échappé au génocide du Rwanda il y a plusieurs décennies a dormi au chaud. Pendant trois ans, Eugène a tenté de retrouver une vie « normale » dans un petit studio situé à deux pas du centre-ville de Rennes. Pendant trois ans, il a ouvert et fermé les volets de ce qui était devenu son chez lui, avec une vue directe sur un parking utilisé par des commerçants du quartier. Mais ça, c’était avant.
Depuis près d’un mois, Eugène dort de nouveau dehors. Expulsé de son logement, il a trouvé refuge sous un appentis situé à quelques mètres seulement de son appartement. « Toutes mes affaires sont encore dedans. Je ne comprends pas, je ne comprends pas », ne cesse de répéter Eugène. Derrière lui, une vieille couette prend l’eau. Un caddie vide est posé dans un coin. Quelques légumes glanés dans le quartier sont posés sur un sac en plastique.
Depuis qu’Eugène a été expulsé, des voisins ont accepté de l’aider en lui fournissant quelques couvertures et un panier pour son chien King. Mais la situation du réfugié rwandais est très compliquée. « Ils ont barré la porte de chez moi avec du bois. Vous imaginez ? Mais dedans, tout est à moi », lance-t-il, désespéré, en pointant du doigt la fenêtre de ce qui était il y a peu sa salle de bains. Dans un récit un brin décousu, Eugène nous raconte qu’il a connu pas mal de galères depuis que nous l’avions rencontré en 2022. Il aurait eu un enfant avec une femme dont il n’a plus de nouvelles, puis passé plusieurs mois en fauteuil roulant après avoir été percuté par un homme en trottinette électrique. Il accuse la structure qui l’accueillait de lui avoir « tendu un piège » avec un bail glissant qu’il n’a jamais pu convertir à son nom. Il a fini par recevoir un courrier lui annonçant qu’il allait devoir partir.
Une décision de justice contre Eugène
Cette structure appelée Livah est en fait une société coopérative d’intérêt collectif qui intervient pour le compte de Rennes Métropole. Nous l’avons plusieurs fois sollicitée au sujet du cas d’Eugène mais nos demandes sont restées sans réponse. Contactée, la préfecture d’Ille-et-Vilaine a cependant pu nous confirmer que l’évacuation avait eu lieu « à la suite d’une décision de justice prononçant l’expulsion » d’Eugène. La police était d’ailleurs présente le 20 octobre.
Pourquoi avoir prononcé cette sentence quelques jours seulement avant le début de la trêve hivernale qui interdit les expulsions locatives ? « Cette décision a été prise après examen de la situation de l’intéressé, notamment au regard d’une dette de loyers et de plusieurs signalements faisant état de troubles graves de voisinage, qui rendaient son maintien dans le logement impossible », explique un porte-parole de la préfecture. Avant de préciser que logement était « en état d’incurie avancée ». Les quelques personnes habitant le secteur que nous avons interrogées n’ont pas été en mesure de le confirmer.
Pendant plus de trois ans, Eugène a habité dans un petit logement situé au rez-de-chaussée de ce petit immeuble à vocation sociale, à Rennes. - C. Allain/20 Minutes
Face à ces accusations, Eugène tente de se défendre, expliquant que son loyer était bien payé par prélèvement de ses aides personnelles au logement (APL). Lui a une autre version. « On m’a demandé de signer des trucs pour que je sois reconnu comme personne handicapée. Mais je ne suis pas handicapé moi. J’ai refusé et je suis sûr qu’on a voulu me le faire payer. » Impossible à vérifier.
Encore un mois pour récupérer ses affaires
Assis à côté de lui, son imposant chien King lui est resté fidèle. S’il avait été accepté par l’association gérant le logement, l’animal semble aussi être l’une des raisons qui ont poussé la structure à demander le départ d’Eugène. Le molosse et son aboiement puissant n’ont sans doute pas été du goût de tous les riverains. Lors de l’expulsion, il avait d’ailleurs été emmené en fourrière, avant d’être restitué à son propriétaire.
Alors que la pluie, le vent et bientôt le froid viennent mordre tous ceux qui dorment dehors, Eugène garde l’espoir de récupérer ses affaires. Mais pour les mettre où ? « Je ne sais pas. Je voudrais le faire avec quelqu’un de confiance, un témoin. Pour l’instant, je reste ici. Je sais qu’ils attendent que je parte pour mettre quelqu’un d’autre dedans. » D’après nos informations, Eugène a jusqu’au 20 décembre pour récupérer ses affaires.