Depuis quelques mois, tous les acteurs du monde de la recherche ont les yeux tournés vers les États-Unis et observent, abasourdis, le nouveau président Donald Trump et son équipe s’attaquer aux fleurons de la recherche scientifique américaine. Les actions intempestives de l’administration Trump contre les grandes universités et des organismes aussi importants que la Fondation nationale pour la science (NSF) et les Instituts nationaux de la santé (NIH) sont nombreuses, mais j’en retiens une qui rend visible un aspect peu connu de la recherche – même parmi les chercheurs –, à savoir ses « frais indirects », ces dépenses institutionnelles engendrées par toute activité de recherche. Calculés sur les montants des subventions attribuées aux divers projets de recherche, ces fonds servent à payer les frais généraux des institutions, car sans laboratoires, électricité et administration, ces projets, rendus possibles grâce aux « frais directs » que le chercheur gère (salaire des assistants, instruments, déplacements…), ne pourraient se réaliser.
Cette notion a pris forme dans l’immédiat après-guerre lorsque l’intensité des recherches universitaires subventionnées par le gouvernement s’est accrue fortement et a fait prendre conscience aux dirigeants qu’elles entraînent pour l’université des coûts administratifs importants que les chercheurs ont tendance à considérer comme acquis, y voyant souvent une ponction injustifiée qui devrait plutôt servir directement à la recherche.
La décision de l’administration Trump signifie la disparition de quatre milliards de dollars
En annonçant début février 2025 qu’elle fixait dorénavant ces frais indirects à un taux unique de 15 % du montant total des octrois, la direction des NIH a envoyé une onde de choc dans l’ensemble des universités américaines. Tant aux NIH qu’à la NSF, les taux de frais indirects étaient jusque-là variables, négociés par chaque université et souvent bien supérieurs.
A lire aussi :
Attaques de Trump contre la science : la recherche « mettra des dizaines d’années pour se relever »
La décision de l’administration Trump – jugée illégale et aussitôt contestée en cour – signifie la disparition immédiate de quatre milliards de dollars et, très probablement, un alignement prochain de la NSF et des autres institutions nationales. Les petites universités dont la recherche est concentrée dans les sciences sociales et humaines sont bien sûr moins frappées par cette décision que les grandes, car les frais indirects d’un projet en sociologie ou en histoire sont bien moindres que ceux engendrés par un projet en physique expérimentale ou en génétique. De façon générale, environ un tiers des budgets en recherche biomédicale aux États-Unis est dédié aux frais indirects. À l’université Columbia, les pertes atteignent plus de 100 millions de dollars ! On comprend que cela n’est pas tenable et ne peut que mener à la fermeture de laboratoires et au licenciement d’employés divers qui gravitent autour des chercheurs.
Il ne faut cependant pas croire que cette décision radicale sort du seul cerveau erratique du président Trump (qui d’ailleurs avait déjà tenté une opération similaire lors de son premier mandat). En fait, la question des frais indirects est débattue aux États-Unis depuis le début des années 1980. Auparavant purement technique, elle est devenue politique sous l’administration du président Reagan : dans un contexte similaire de déficit budgétaire fédéral, celle-ci avait aussi tenté d’imposer un taux fixe en invoquant les excès bureaucratiques des universités et en faisant croire aux chercheurs que l’argent ainsi épargné serait utilisé pour les frais directs – argument que même l’administration démocrate de Bill Clinton a repris une décennie plus tard. Or le but visé était bien de couper les dépenses et non de les redistribuer.
Aujourd’hui, l’administration Trump utilise le même argument, avec le risque probable que les dépenses totales pour la recherche baissent à nouveau. Seule lueur dans ce sombre tableau, cette soudaine mise en lumière des coûts indirects devrait rassembler les chercheurs et leurs administrations dans un même combat : la défense de la recherche, tous frais compris.