À celui qui l’accuserait d’emblée d’alarmisme, il répond : « lis ce que j’ai lu, c’est-à-dire plusieurs milliers d’articles scientifiques ». Aucun scénario du pire n’est mobilisé ici dans cette trajectoire de réchauffement sur laquelle se trouve 2049. Il s’agit du scénario moyen (le plus probable), à + 2°C en 2050 et + 3,5°C par rapport aux températures préindustrielles en 2100 (chiffres septembre 2025). »
« L’Europe de 2049 sera marquée par le surgissement de la pénurie »Socle fragile
Docteur en géosciences et environnement, en éducation et en sciences politiques et « pas collapsologue », il travaille à partir de données bio-géophysiques. « Je regarde comment ces données impactent nos sociétés et si le socle qui permet nos sociétés est fragile ou résilient. Et il est extrêmement fragile ! Les temporalités sont en outre extrêmement rapides, perceptibles à l’échelle de nos existences et des décennies qu’on est en train d’engager. Donc oui, la situation est absolument dramatique. »
Déjà, avec le réchauffement actuel d’environ 1,4 °C, les scientifiques affirment qu’il n’y a pratiquement aucune chance que les récifs coralliens survivent, sans espoir de retour. Et d’autres « points de basculement » importants approchent à grands pas. La forêt amazonienne pourrait déjà mourir avec un réchauffement de 1,5 °C. « Ce risque de savanisation de l’Amazonie a des effets régionaux mais aussi jusqu’en Europe, via ce qu’on appelle les connexions climatiques et les effets sur le système Terre. Par exemple à travers l’influence de l’évapotranspiration des arbres de l’Amazonie sur le cycle de l’eau mondial, en contribuant aux nuages et aux précipitations. »
La perte de l’Amoc
Parmi les tipping points les plus préoccupants de façon immédiate, le scientifique cite aussi la perte de glace de mer en été, considérée comme déjà probable. La glace recouvrant la mer dans l’hémisphère nord, qui se réduit à certaines périodes de l’année, tend désormais carrément à disparaître. « Cela modifie la température et la salinité de l’océan, ce qui influe à son tour de grands courants océanique et atmosphériques, et donc le climat tempéré de l’Europe qui est responsable de son abondance, en particulier agricole. S’il n’y a plus de précipitations, l’Europe devient un territoire de mort. Or on observe des signes de fragilisation de ce courant Amoc. »
Un des risques extrêmement importants des transformations climatiques décrites dans 2049 est en effet de fragiliser en même temps à différents endroits des productions agricoles qui permettent des réserves, sous l’effet de sécheresses éclair ou d’autres phénomènes météorologiques influencés par le climat. « Or, l’Europe est l’un de ces greniers qui nous permettent à un moment donné de faire front », signale Nathanaël Wallenhorst.
Nathanaël Wallenhorst, chercheur en sciences de l’environnement. ©DR
En outre, selon les projections climatiques, dès 2050, avec la hausse des températures, un été comme celui de 2003, rarissime (70 000 décès en Europe), arrivera tous les trois ans sur notre continent, décrit-il. En sachant que la moyenne des températures de surface n’est pas liée au stress thermique de façon linéaire. Pour l’heure, 80 à 90 % des victimes de vagues de chaleur ont plus de 65 ans « mais 2049 va voir cette limite d’âge baisser, particulièrement pour les vagues de chaleur humides. »
Pénurie d’eau
Un autre élément marquant : le manque. « L’Europe occidentale est un monde plutôt marqué par l’abondance même si elle connaît des inégalités et des injustices. Mais 2049 est un monde marqué par le surgissement de la pénurie. Et le premier élément où l’on risque de ressentir cette pénurie est l’eau. »
Pour l’instant, si l’eau potable est accessible à peu près partout, elle ferait alors défaut, pour boire, irriguer nos cultures, mais aussi alimenter la croissance économique. « Car le moteur de la croissance, outre les énergies fossiles, est l’eau. Un hamburger représente 2400 litres d’eau, un jean, 10 000 litres… S’il n’y a pas d’eau, c’est la pénurie. Or, si les sécheresses européennes actuelles transforment d’ores et déjà des paysages entiers, 2049 donnera à voir des sécheresses sur le sol européen autrement plus catastrophiques ».
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Leur durée serait de six mois en 2050 en Europe du Sud, quatre mois en Europe de l’Est et deux mois en Europe de l’Ouest – tandis que l’Europe du Nord sera épargnée.
Une caractéristique marquante de 2049 sera enfin bien sûr l’imprévisible, que l’on ressent déjà pour l’instant à une échelle réduite. Des événements climatiques extrêmes surgiront : méga inondations, grands feux, glissements de terrain… « En outre, l’imprévisible ne dure pas qu’un temps, il structure ensuite tout un territoire. Par exemple, les vagues caniculaires qui sont en train d’advenir courent le risque de désertifier des coins entiers du territoire européen. Cela s’observe déjà en Espagne. »
Zones de mort et paradis
Dans un tel contexte, « il est évident que les humains vont se déplacer, essayer d’aller ailleurs. Et que se passera-t-il ? On empêchera alors les passages de frontières : on enfermera des populations dans des zones de mort en essayant de préserver des paradis à l’abri de la pluralité. Les tensions géopolitiques monteront. Cette exclusion est d’ailleurs déjà alimentée actuellement de façon manifeste et décomplexée, par des milliardaires pour qui le dernier rempart à faire tomber pour leur propre limitation sont les démocraties. In fine, c’est un monde sans démocratie que celui qu’on est en train de dessiner sous l’effet des transformations climatiques. Cela, il faut le comprendre pour tout faire afin de l’éviter. »
Si nous voulons préserver le fait que les sociétés soient possibles, il faut se réorienter, maintenant et de façon radicale, continue le chercheur. « Pour interrompre le forçage des activités humaines sur les tipping points, il ne faut pas traîner, alors qu’on traîne depuis des décennies. Il faut déjà que les uns et les autres, quels que soient nos bords politiques, on arrive à débattre, à parler de vision du monde à partir d’une analyse du réel. Et non pas en fantasmant un réel qui n’existe pas, ce qui est pour l’instant le drame des débats politiques sur le climat ! Le constat du livre est dur et implacable, mais pour moi l’objectif est de tout faire pour contenir l’emballement du système Terre et enrayer 2049. Cette date est proche, on l’éprouve à l’échelle d’une vie. Mais ce n’est pas demain : cela laisse aux sociétés une marge de ressaisissement, de réorientation, de diffusion, de rupture. Chaque dixième de degré compte. Chaque dixième de degré, c’est du désastre sociétal en moins. »