Il fut un temps où il était partout en Méditerranée et en Atlantique Nord. Il a même donné son nom à la « baie des anges », entre Nice et Antibes. Avec ses allures de raie et ses ailerons de requin, l’« ange de mer commun », ou requin-ange, a disparu de 90% de son aire de répartition historique en un siècle. Il ne subsiste que dans de rares endroits aux îles Canaries, en Croatie, en Grèce et en Libye, par exemple. Et en Corse : « Nous savions que cette population corse existait car les pêcheurs en remontent dans leurs filets, mais nous n’en savions pas plus, résume Nadia Faure, doctorante au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier qui publie une étude dans Ecology & Evolution sur cette population située entre Bastia et Solenzara. Il fallait mieux connaître cette espèce qui semble encore vivre en Corse pour aider à la préserver, car elle joue un rôle important dans l’écosystème marin ».

Totalement inoffensif pour l’humain, le requin-ange se nourrit de petits poissons. Il vit au fond de l’eau, tapi sous le sol sableux et surgit au passage d’une proie. Et il est très discret : « Il est très difficile à observer, même en plongée », indique Nadia Faure. Hormis aux îles Canaries, où il est encore présent en assez grand nombre. Mais en Corse, personne ne sait combien ils sont. « Cela le rend mystérieux », glisse-t-elle.

Consanguinité

Avec l’aide de pêcheurs volontaires, elle et ses collègues ont collecté des échantillons de peau d’une centaine d’individus remontés dans les filets avant d’être relâchés. « L’analyse génomique indique qu’il s’agit d’une population peu nombreuse et très consanguine, probablement peu viable sur le long terme », résume Nadia Faure. Il s’agit en effet d’une même population génétique sur toute la côte Est de l’île. « C’est-à-dire qu’ils sont très proches génétiquement », précise la chercheuse. Et probablement plus proches qu’ils ne le seraient d’autres populations méditerranéennes avec qui il n’y a pas d’échange de gènes. « Car ils se déplacent peu, restent près des côtes et ne s’aventurent pas là où il y a du fond », ajoute-t-elle. De plus, sur la centaine de requins-anges séquencés, 35 paires d’individus présentaient un lien de parenté.

Enfin, l’analyse génomique et des calculs théoriques ont permis d’estimer la « population effective », c’est-à-dire le nombre d’individus participant à la reproduction : ils seraient entre 209 et 453. « C’est très peu », commente Nadia Faure. Même au regard des individus que remontent les pêcheurs : certains parlent de centaines de requins-anges parfois pris dans les filets. « C’est difficile d’avoir un comptage exhaustif », ajoute la chercheuse. Peut-être sont-ils beaucoup plus. « Mais cette estimation basse d’individus reproducteurs témoigne d’une population mal en point », regrette-t-elle. D’où l’urgence d’imaginer des mesures pour en prendre soin.