À Strasbourg, il n’est pas rare de croiser des ragondins. Installés en nombre sur les berges de l’Ill, ces gros rongeurs d’Amérique latine ont trouvé leur ville d’adoption dans la capitale alsacienne. Balade à la rencontre d’un nuisible devenu star des réseaux.

Et si le ragondin était la véritable mascotte de Strasbourg ? Ce gros rongeur est devenu en quelques années indissociable de la capitale européenne. Il faut dire que l’animal est présent en nombre sur les berges de nos cours d’eau et que les Strasbourgeois(es) le trouvent particulièrement mignon. Instagrammables, les ragondins sont plus faciles à photographier que les cigognes. Il n’en fallait donc pas moins pour faire de cet animal une véritable star du web.

Le compte Instagram parodique Schlagbourg en a même fait un personnage à part entière : Dilagne, un rongeur qui traine sa truffe dans tous les coins chauds de la jungle urbaine strasbourgeoise. Pour cet article, nous partons donc à la recherche des ragondins strasbourgeois. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Quels sont leurs réseaux ?

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La carte des spots à ragondins chauds près de chez toi (2019). © GEPMA – Ville de Strasbourg / Captures d’écran

Le suspect mesure entre 40 à 60 cm et peut faire jusqu’à un mètre si on compte la queue. Adulte, le ragondin a le gabarit d’un petit chien et pèse en moyenne entre 5 et 9 kg. Il vit au bord des cours d’eau où il creuse des galeries pouvant atteindre jusqu’à sept mètres de long. Pour trouver les ragondins strasbourgeois, nous nous sommes muni(e)s d’une carte éditée par la Ville de Strasbourg recensant les meilleurs spots.

Sans surprise, on le trouve là où il y a de l’eau, principalement au bord de l’Ill, à la Montagne Verte, le long des quais ainsi que sur les berges du Rhin tortu. Si dans les mois après la pandémie de Covid, il n’était pas rare de croiser des ragondins se dorant la pilule sur les quais autour de la Grande Île, ils se font plus discrets dans l’hypercentre ces derniers temps. Notre choix se porte donc sur Montagne Verte.

ragondin bruche dilagne nature en ville © Mathilde Cybulski / Pokaa

« Myocastor Coypus »

Le rendez-vous est pris au parc naturel urbain Ill-Bruche, un mardi ensoleillé d’automne. « Si on longe la rivière, on devrait en voir facilement », explique notre photographe Mathilde Cybulski. Dans le parc, on croise des écureuils, tout un tas de petits oiseaux et même un héron qui prend la pose au milieu des jeux pour enfants, mais pas la queue d’un ragondin.

Pourtant, sur la berge, des affiches de la Ville invitent les promeneurs/ses à ne pas nourrir les animaux sauvages, un rongeur stylisé occupant une belle place sur le carton. « Allons plutôt vers la Bruche, là-bas, c’est sûr qu’il y en a », poursuit notre photographe. On la croit, la légende raconte qu’elle aurait photographié le légendaire ragondin blanc, un animal mythique du pokédex strasbourgeois.

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La faune strasbourgeoise est de sortie, mais aucun ragondin pour le moment. © Mathilde Cybulski / Pokaa

Originaire d’Amérique latine, le Myocastor Coypus arrive en Europe à la fin du XIXᵉ siècle. Élevés pour leur fourrure toute douce, les ragondins font le bonheur des bourgeoises de la Belle Époque. Heureusement pour eux, ce commerce périclite dans les années 1930 et les élevages ferment. Un nombre important d’animaux se retrouvent dans la nature et, faute de prédateurs naturels sous nos latitudes, comme les crocodiles et les jaguars, ils s’y installent durablement.

Le ragondin se sent si bien en Alsace qu’il n’est même pas refroidi par nos hivers ou le gel des cours d’eau. Évidement, sa présence n’est pas sans conséquences sur l’environnement. Les terriers des ragondins fragilisent les berges des cours d’eau, il peut s’en prendre aux cultures et sa présence menace certaines espèces de plantes aquatiques.

ragondin bruche dilagne nature en ville Le légendaire ragondin blanc ou ragondin leucistique. © Mathilde Cybulski / Pokaa

Depuis 2012, il est classé parmi les espèces nuisibles, il peut donc être tué par tous moyens sauf le poison. À Haguenau, par exemple, la Ville a demandé à des chasseurs à l’arc de réduire la population de ragondins sur les rives de la Moder. Dans le Bas-Rhin, ce sont ainsi 1500 ragondins qui sont chassés tous les ans.

Si on les retrouve nombreux à Strasbourg, c’est aussi parce que la municipalité écologiste a fait le choix de ne pas les éliminer. La Ville compte plutôt sur la discipline des habitant(e)s à ne pas les nourrir pour éviter que la population n’augmente.

ragondin bruche dilagne nature en ville

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© Mathilde Cybulski / Pokaa

Les rongeurs du ghetto

« Là ! Sur la berge, il y en a un, non deux », s’exclame Mathilde alors que nous longeons la piste cyclable au bord de la Bruche. « Vas-y mon beau, va dans l’eau. Oui, c’est bien ! » Les deux rongeurs s’exécutent et commencent à remonter la rivière. Notre photographe vient de gagner le surnom de « Femme qui murmure à l’oreille des ragondins ».

Un peu plus loin, un jeune rongeur fouille la berge à la recherche de nourriture. « Il gratte quoi là ? Un sac-poubelle ? Whaaa, c’est ghetto. » Nous choisissons de remonter la rivière pour éviter de nous faire plus longtemps injurier par les cyclistes que notre équipée naturaliste dérange manifestement.

ragondin bruche dilagne nature en ville Un ragondin strasbourgeois en pleine jungle urbaine. © Mathilde Cybulski / Pokaa

Un peu plus tard, la ville s’estompe et après quelques minutes de marche, nous voilà presque à la campagne dans le secteur d’Eckbolsheim. La lumière est parfaite, la couleur orangée des arbres se reflète magnifiquement dans l’eau du canal. Tout est là pour une photo naturaliste magnifique, mais pas de ragondins. Au bout d’une demi-heure de recherche, nous rebroussons chemin vers la ville.

« En fait, ce sont des gros schlagoss ces ragondins, s’exclame notre photographe. Tu leur mets un décor champêtre parfait, sans un humain, et ils préfèrent la street avec des canettes écrasées et des poubelles qui trainent. »

ragondin bruche dilagne nature en ville

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© Mathilde Cybulski / Pokaa

Si les ragondins apprécient nos environnements urbains, c’est, entre autres choses, pour la profusion de déchets que nous laissons trainer. Problème : ces animaux sont herbivores et l’alimentation humaine, comme le pain, peut les tuer. Autre problème, si la nourriture est disponible sans efforts, ils deviennent faignants et perdent leurs instincts naturels. Pendant un temps, la Ville de Strasbourg avait envisagé de les rassembler tous dans un même endroit. Une politique peu compatible avec la nature territoriale de l’animal.

Les ragondins vivent en bandes et quand deux bandes rivales se battent pour un territoire, c’est un peu comme pour les humains, c’est violent. Les petits rongeurs mignons se transforment alors en machines à tuer, pas de quartier, le but du combat et de s’éventrer les uns les autres. Si les ragondins strasbourgeois sont des stars, ce sont des stars du ghetto. Schlagbourg avait vu juste.