Ils rêvaient d’une société sans roi ni maître, fondée sur l’égalité, la liberté et le partage des richesses. Selon la légende, Libertalia était une république utopique créée au XVIIIe siècle par des pirates sur la côte nord de Madagascar. Cette expérience libertaire, en avance sur son temps, a finalement disparu. C’est aussi le titre du dernier long-métrage de la réalisatrice douarneniste Safia Benhaïm, dont le travail explore des zones troubles aux frontières du réel. Le film sera présenté dans le cadre du Mois du doc, coordonné par Daoulagad Breizh, mercredi 19 novembre au cinéma Le Club.

« Je vis à Douarnenez et, quelques mois après mon installation, j’ai découvert les Gras. Quand j’y ai participé pour la première fois, j’ai été complètement subjuguée. Cet événement m’a convaincue de rester vivre ici », confie la cinéaste. Une véritable révélation : « J’ai eu l’impression de découvrir l’âme de la ville, d’entrevoir quelque chose que je n’avais pas vu avant. J’ai été fascinée par la façon dont les Douarnenistes se métamorphosent et incarnent un personnage de manière absolue. La métamorphose est un sujet qui traverse tous mes films. On peut dire que c’est une obsession ».

Une enfant pirate et une femme en quête de métamorphose

Le long-métrage met en images une enfant pirate, incarnée par Lunja, la fille de la réalisatrice, et une femme en quête de métamorphose. « Au départ, il n’y avait pas forcément de lien entre elles, car c’était un film pensé comme choral. Il y avait deux autres personnages, mais ils ont disparu au montage, perdus pendant la nuit des Gras. Au final, mon film raconte l’histoire de deux solitudes dont l’imagination déborde : l’une liée à l’enfance, un moment où l’on peut se laisser envahir par les histoires qu’on se raconte ; l’autre à la folie », explique Safia Benhaïm.

Dans tous mes films, il y a une dimension visuellement fantomatique

Conçu en deux temps (la préparation puis la nuit des Gras), le film glisse peu à peu du réel vers l’onirique. À contre-pied du cinéma du réel, « Libertalia » pourrait être qualifié de documentaire fantastique. « Je voulais quelque chose de documentaire dans la première partie et de plus fantastique dans la seconde, pour montrer comment la métamorphose s’opère. Mais le film est déjà un peu trouble dès le départ », analyse la réalisatrice. Progressivement, la caméra capte la fièvre et l’étrangeté de la nuit carnavalesque, véritable personnage à part entière. « Dans tous mes films, il y a une dimension visuellement fantomatique », précise-t-elle. Le son occupe également une place essentielle : « Il est central, comme dans toute la tradition du cinéma de l’étrangeté dont je me sens proche tel celui de Lynch, Carpenter ou encore Gus Van Sant ».

Avec Libertalia, Safia Benhaïm signe un film habité où le réel bascule dans la rêverie, et où les Gras deviennent le théâtre d’une transformation à la fois intime et collective. Une expérience sensorielle et hypnotique à vivre absolument en salle obscure.

Pratique

« Libertalia » au cinéma Le Club mercredi 19 novembre à 20 h 30. Projection en présence de la réalisatrice.