À l’ombre des maisons à pans de bois les plus emblématiques de Rennes, les clients haussent la voix pour se faire entendre face au flux ininterrompu de voitures et des bus – 600 par jour – qui sillonnent cet axe majeur entre le nord et le sud de la ville. Malgré son intérêt patrimonial, la place n’est rien d’autre qu’un Frankenstein urbanistique entre parking, carrefour et arrêt de bus. Un avatar de l’urbanisme du siècle dernier construit autour de la voiture que Nathalie Appéré, lors de son deuxième mandat, a voulu gommer de son centre-ville.
Des places métamorphosées
« Nous rénoverons nos places », promettait la maire sortante… Cinq ans plus tard, le Champ-Jacquet -comme les places de la Parcheminerie et Saint-Germain- est métamorphosé. Les pavés ont été changés, des bancs ont été installés, les places de parking supprimées. « C’est le jour et la nuit. Ça change vraiment la vie. Depuis que c’est terminé on voit des gens, des familles avec des enfants venir ici en sécurité car il n’y a plus de passage de voitures », constate Guirec Foucault, président de l’association de riverains.
Promesse tenue serait-on tenté de dire. Enfin presque. La place est toujours aussi minérale, malgré les annonces de verdissement du centre-ville. Une dizaine d’arbres devraient toutefois être plantés d’ici la fin de l’année. Ils peineront à cacher les faibles transformations menées sur le centre durant ce mandat. Si les travaux de découverte de la Vilaine démarrent, le palais du Commerce, lui, reste notamment à quai.
La densification se poursuit
En revanche, dans les quartiers, la morphologie urbaine n’a cessé d’évoluer, conformément à l’adage municipal : « La ville se reconstruit sur elle-même. » La densification s’est poursuivie. Des maisons anciennes ont continué à être démolies pour y installer des immeubles d’habitat collectif. Particulièrement sur les « pénétrantes » comme la rue de Châteaugiron. Une évolution nécessaire, selon la Ville, pour préserver son modèle de cité « archipel » et sa ceinture verte.
Alors que la sécurité est aujourd’hui le caillou dans la chaussure de la majorité, la densification a été l’épouvantail du premier mandat d’Appéré. Il faut dire que certaines artères, comme la rue de l’Alma, ont été, selon les points de vue « défigurés » ou « reconfigurées » lors de la décennie 2010, provoquant la colère de certains riverains.
Aujourd’hui, sur cet axe, presque toutes les maisons anciennes ont été détruites au profit d’immeubles de quatre ou cinq étages « qui se ressemblent tous », ne cessent de déplorer Les Amis du patrimoine rennais. Aux quatre coins de la ville, des collectifs d’habitants -comme Nanssa opposé au siège de 17 étages du promoteur Aiguillon-, se sont créés pour protester contre la densification et les grandes hauteurs. Pour éviter d’aller au clash, la Ville a mis en place, en juin 2021, sa promesse de charte de « Construction et citoyenneté ». Celle-ci vise à améliorer la concertation avec les habitants, les promoteurs et la municipalité autour des projets urbains, notamment sur la grande hauteur. « Une vigilance particulière sera accordée aux projets d’immeubles de grande hauteur, pointait le programme commun de 2020. Des modifications du Plan local d’urbanisme (…) permettront de limiter les hauteurs maximales. »
Hauteur rabotée
Tout un symbole. Avec l’avènement des grands projets -ligne B du métro, LGV, centre des congrès…- la skyline à la rennaise était un marqueur de la métropolisation de Rennes dans les années 2010. Des « phares » censés la faire rayonner, à l’image du projet de tour Samsic, dans le quartier d’affaires Eurorennes. Au contraire de Lille et sa tour « Crédit Lyonnais », de Lyon et sa tour Part-Dieu ou encore de Nantes et sa tour Bretagne, Rennes manquait encore de gratte-ciels « signature ». La tour, initialement prévue pour flirter avec les 100 m, en fera finalement la moitié. Pas de quoi entrer dans le Guinness book.
Mais largement suffisant pour s’intégrer aux côtés des nouvelles tours rennaises, qui ont fleuri au cours du mandat écoulé. Chromosome (2021), Dremwell (2022), Akoya (2023), Trilogy (2023) ou encore Odacités (2024)… Tous ces bâtiments dépassent les cinquante mètres, seuil de la grande hauteur pour les immeubles d’habitation. La promesse d’Appéré et de ses alliés a-t-elle été balayée ? Pas vraiment. Pour toutes ces tours, le permis de construire a été déposé avant 2020.
Cela ne signifie pas que la maire a renoncé à toutes les opérations de grande hauteur. En 2022, la Ville a ainsi donné son feu vert au permis de construire du programme Ecotones, dans le quartier de Maurepas. La plus haute des deux tours -48 m- ne dépassera toutefois pas le seuil des 50 m.
L’arbre de la grande hauteur ne doit cependant pas cacher la forêt des 1 900 logements construits chaque année à Rennes. Pour ces derniers, la Ville se targue d’avoir raboté certains projets, les faisant passer de sept à cinq étages. Un compromis pour répondre à l’aspirateur démographique rennais sans renoncer à l’attractivité.