Le Conseil d’État a considéré ce vendredi 25 avril que « les mesures prises pour respecter les seuils de pollution ont porté leurs fruits » et a annoncé que l’État français avait « exécuté sa décision de justice de 2017 dans sa totalité ». « Plus aucune zone ne dépasse les seuils de pollution aux particules fines (PM10) et le seuil de pollution au dioxyde d’azote (NO2) est quasiment respecté à Lyon et proche de l’être à Paris », a indiqué le Conseil d’État, suivant l’avis de la rapporteure. Un point contesté par l’association les Amis de la Terre, à l’origine du recours qui avait fait condamner l’État à une astreinte, qui pointait le contexte météorologique de 2024 à Lyon et une situation encore au-dessus des seuils en Île-de-France.
Depuis 20 ans, la qualité de l’air progresse… trop lentement !
Chaque année, la pollution de l’air cause 7 900 morts prématurées en Île-de-France, soit 11 % des décès, selon Airparif, l’association qui mesure les polluants et informe en temps réel les Franciliens. Pour autant, la qualité de l’air s’est globalement améliorée. « Les concentrations des polluants les plus nocifs pour la santé ont baissé en moyenne de 55 % sur l’ensemble de l’Île-de-France depuis une vingtaine d’années », indique Antoine Trouche, ingénieur à Airparif. Les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) – un gaz polluant qui aggrave notamment le risque de mortalité lié au diabète et aux AVC – ont baissé en moyenne de 45 % entre 2014 et 2024. Les concentrations de particules fines (PM2.5), dont l’inhalation augmente le risque de maladies cardiovasculaires et respiratoires et impacte la santé périnatale, ont baissé en moyenne de 35 % entre 2014 et 2024. Un effet des normes européennes sur les émissions et les filtres des voitures et de la baisse des véhicules diesel et de la diminution du nombre de kilomètres parcourus en voiture, particulièrement à Paris avec une baisse de 25 % en 20 ans et « hors périphérique, de 50 % », précise Antoine Trouche. Côté habitations, les évolutions et améliorations des modes de chauffage et la rénovation thermique ont eu un impact favorable. Une exception notable : l’ozone de basse altitude, lié aux conditions météo. Or, « qui dit réchauffement climatique, dit plus de périodes de forte chaleur, donc de périodes favorables à la production d’ozone », précise l’ingénieur. Sur des durées plus longues, poursuit Antoine Trouche, la « désindustrialisation » de la région est à prendre en compte, tout comme la « taxation des émissions de polluants industriels. »
Au cœur de la station d’Airparif
Mais comment les mesures sont-elles effectuées ? Les promeneurs attentifs auront peut-être remarqué, dans une allée du jardin des Halles à Paris, un enclos duquel dépassent de curieuses petites cheminées. Placés à hauteur de respiration, ces capteurs servent à mesurer la pollution de l’air. Juste à côté, un escalier dissimulé par des barrières plonge dans « la station de référence pour comprendre ce qu’on respire quand on n’est pas à côté immédiat d’un axe de circulation à Paris », révèle Antoine Trouche.
Plus discrets, des kiosques à journaux jamais ouverts ou bungalows fermés situés le long des axes de circulation comptent en réalité parmi la cinquantaine des stations de mesures permanentes d’Airparif, l’association francilienne agréée de surveillance de la qualité de l’air (AASQA). Chaque région en compte une, la réglementation de l’Union européenne obligeant les États à mesurer la qualité de l’air sur l’ensemble du territoire depuis les années quatre-vingt-dix. Dans la station des Halles, tout est automatisé. Les données transmises toutes les quinze minutes à un laboratoire, non loin de la place de la Bastille, où sont basés les 75 salariés de l’association.
Ces mesures complètent un « inventaire », alimenté par les boucles de comptage des véhicules le long des axes de circulation ou les enquêtes sur le chauffage des Franciliens : « On quantifie, activité par activité, commune par commune et heure par heure, les polluants émis sur l’ensemble de l’Île-de-France. » Ainsi dans la région parisienne, expose Antoine Trouche, « le chauffage au bois est la principale source d’émissions directes de particules, à hauteur de deux tiers, alors qu’il ne représente qu’une part très faible du chauffage. » Juste derrière, le trafic routier compte pour 15 % des émissions directes de particules, et la moitié des émissions de dioxyde d’azote.
Une concentration des polluants très dépendante de la météo
Plusieurs millions de données sont produites tous les jours. Ce ne sont pourtant pas les seuls éléments à prendre en compte, explique Antoine Trouche : « Une fois la pollution émise, il peut lui arriver plein de choses. En fonction de la météo, elle va être plus ou moins dispersée » selon la présence de vent, ou de pluie qui « rabat les particules au sol, et absorbe les gaz polluants », par exemple. Des informations essentielles, car les polluants émis peuvent se combiner pour en former d’autres sous certaines conditions météorologiques. C’est le cas de l’ozone, très nocif et dont la durée de vie dans l’atmosphère est élevée.
Airparif travaille donc avec Météo France, et avec le programme européen Copernicus pour ses données satellitaires, afin de comprendre les flux d’une région à l’autre : « On utilise des outils de modélisation informatique qui décrivent comment ces différents phénomènes vont influer sur la dispersion ou la concentration des polluants. » Les cartes qui en sont issues sont comparées avec les mesures effectives des stations, et corrigées si besoin.
Outre la composition chimique des particules, leur taille est également à prendre en compte : « Le premier facteur d’impact sur la santé vient de leur taille. » Ce qui n’est pas sans difficultés pour les étudier. « Là, c’est un peu notre bijou », plaisante Antoine Trouche en désignant une machine dans un recoin de la station. Deux blocs reliés par le dessus, d’où émergent des tuyaux : le « bijou » – un SMPS de son vrai nom – permet de rendre visible les particules pour les comptabiliser. Un atout, notamment pour recenser les particules ultrafines, de moins de 0,1 micromètre de diamètre. « Plus elles sont petites, plus elles vont loin dans le corps. Quand elles rentrent dans les alvéoles pulmonaires, elles peuvent passer la barrière des poumons et entrer dans le sang. Elles ont un impact sur l’ensemble des organes, notamment l’appareil cardiovasculaire, et peuvent remonter, pour une part, jusqu’au cerveau. » Une information peu rassurante, d’autant que ces polluants ne sont pas réglementés. « On est sûr qu’ils sont nocifs pour la santé, mais on ne sait pas dans quelle proportion ni à partir de quel seuil », déplore l’ingénieur.
Airparif fournit également des données destinées à la recherche : « On espère qu’à terme, cela pourra alimenter la réglementation pour mettre en place des seuils. » Si les AASQA ne font « pas de plaidoyer », insiste Antoine Trouche, une de leurs missions est d’évaluer l’efficacité des politiques publiques en matière de qualité de l’air. Leur conseil d’administration est d’ailleurs composé à parts égales de représentants de l’État, des collectivités, des entreprises implantées sur le territoire, et des ONG et chercheurs. Les trois premiers contribuent à son financement, pour un budget annuel de 70 millions d’euros en 2023 dans le cas d’Airparif.
Les Franciliens, malades de l’air qu’ils respirent ?
Car les impacts de la pollution de l’air sur la santé ne sont pas négligeables. En Île-de-France, elle fait reculer l’espérance de vie de 10 mois, 12 pour la capitale. Une étude récente d’Airparif montre qu’environ 15 à 20 % des nouveaux cas d’asthme, de cancer du poumon, de bronchopneumopathie chronique obstructive qui surviennent chaque année dans la région sont dus à l’exposition à la pollution de l’air.
« Les politiques mises en place à l’échelle européenne, nationale et locale ont eu un impact positif sur la qualité de l’air », résume l’ingénieur. Pour autant, dans l’Union européenne, les valeurs limites réglementaires fixent « des seuils à ne pas dépasser en tout point d’un territoire. On les dépasse toujours ponctuellement en Île-de-France, alors que ces normes sont en place depuis 2008. » En 2024, plus de 2,6 millions de Franciliens respiraient un air dont les concentrations de polluants étaient supérieures aux seuils de la nouvelle directive européenne, à respecter en 2030.
L’OMS émet également des recommandations de seuils à ne pas dépasser, rappelle Antoine Trouche, « à partir desquels il y a un consensus scientifique pour dire qu’au-delà, la pollution de l’air est nocive pour la santé. Ils sont à l’heure actuelle dépassés sur toute l’Île-de-France. » Si la qualité de l’air s’est améliorée, il y a encore du chemin à parcourir.