L’industrie de défense russe tient bon, mais l’équilibre est fragile. Confrontée à des difficultés économiques et à des capacités de production limitée, la Russie se tourne vers ses partenaires pour compenser – en partie – ses difficultés.
Elle chancelle, mais elle résiste. Confrontée à « des pertes colossales subies en Ukraine, une R&D sous-financée et une capacité industrielle détériorée », l’industrie russe de la défense fait front. Selon un récent rapport publié par l’Institut français des relations internationales (Ifri), qui passe en revue les rapports de force entre l’Europe et la Russie, la part du PIB consacrée aux dépenses militaires a quasiment doublé entre 2021 et 2025, passant de 3,5% à 6,6%, représentant plus d’un tiers du budget total de l’État. Si bien que « la machine militaire de la Russie reste puissante et compétente ».
Les mesures mises en place par la Russie dès le début de la guerre en Ukraine lui ont permis de soutenir son outil industriel.
« Avec un déficit budgétaire maîtrisé autour de 3% du PIB, la Russie reste capable de se financer avec ses ressources propres grâce à ses exportations d’hydrocarbures et ses recettes fiscales liées à l’inflation », expliquent les co-auteurs du chapitre sur la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Élie Tenenbaum et Dimitri Minic précisent que « Moscou a privilégié la quantité, la puissance et les coûts réduits » pour soutenir son effort militaire, soulignant que 80 à 90% des équipements des forces armées russes en Ukraine sont issus de « la remise en état et la modernisation de ses vastes stocks » datant pour certains de la Guerre froide, que ce soient des véhicules blindés, des chars ou des canons d’artillerie.
En revanche, le rapport met en avant les capacité de l’industrie russe en matière de production de munitions: elle a par exemple été multipliée par cinq en deux ans pour les obus de 152 mm (passant de 250.000 à 1,3 million) et quasiment par trois en un an pour les missiles balistiques Iskander (de 250 en 2023 à 700 en 2024).
Le revers de la médaille
Cependant, malgré les mesures mises en place par le gouvernement russe, les difficultés s’accroissent. Alors que l’économie du pays s’oriente vers une stagflation, la BITD va avoir du mal à poursuivre au rythme des trois dernières années.
Selon les auteurs, « une augmentation de la production russe d’armement nécessiterait une autre vague de conversion d’usines civiles, la création de nouvelles usines ou encore une augmentation des capacités des usines existantes, ce qui nuirait alors à la production actuelle et à la capacité de réparation, qui est essentielle pour supporter les taux d’attrition subis en Ukraine ».
Signe de ces difficultés, l’armée russe utilise moins de chars de combat et d’obus d’artillerie, pour préserver ses stocks et ne pas mettre en difficulté les capacités de production déjà existantes.
L’axe Moscou-Pékin-Téhéran-Pyongyang
La Russie, qui se présente « comme une forteresse assiégée par un Occident hostile », peut compter sur quelques pays alliés pour son approvisionnement en ressources et en équipements militaires et ainsi contourner en partie les sanctions occidentales imposées depuis le début de la guerre.
C’est le cas notamment de l’Iran, de la Corée du Nord et de la Chine, ainsi que du Bélarus, « des partenaires anti-occidentaux qui s’avèrent relativement stables et déterminés ».
Ces pays fournissent du matériel et des munitions à leur partenaire, comme des drones (les Shahed-136 iraniens que la Russie produit désormais sous licence), mais aussi des soldats (10.000 Nord-Coréens ont été déployés au combat). L’étude de l’Ifri liste également l’envoi « d’obus d’artillerie, de missiles balistiques et antichars, de chars de combat, de canons automoteurs, d’obusiers, de bombes aériennes, d’équipements individuels ».
Le cas de la Chine est un peu à part: Pékin « joue désormais un rôle central dans le développement de l’industrie de défense russe », notamment par le biais de la vente de biens à double usage (semi-conducteurs, machines-outils…). Ces exportations représentaient 300 millions de dollars mensuels en 2023, indique l’Ifri.
L’Europe « met du temps à sortir de sa léthargie »
Face à la Russie, l’industrie de défense européenne lutte pour passer à une économie de guerre, en dépit de la hausse des budgets consacrés aux dépenses de défense. L’effort consenti par les pays de l’Otan de passer les dépenses militaires à 5% du PIB (dont 1,5% de dépenses « annexes » type cyber ou infrastructures) peine encore à se concrétiser en contrats fermes, les industries n’étant pas encore complètement calibrées pour absorber la charge.
Le rapport note par ailleurs que la souveraineté européenne n’étant pas acquise en matière d’autonomie stratégique, en raison d’un certain nombre de dépendances aux technologies américaines (avion de combat F-35, défense antimissile Patriot), « l’Europe n’a donc d’autre choix que de maintenir le lien transatlantique aussi fort que possible », pour maintenir sa position face à la Russie.
Les récentes initiatives européennes, tel que le plan ReArm Europe lancé en mars 2025 ou les mesures de prêts pour des acquisitions communes, ne donneront pas de résultats immédiats, mais contribueront à consolider l’industrie européenne de défense à plus longue échéance.
Le monde qui bouge – L’Interview : Ukraine, la Russie peut-elle encore tenir ? – 12/11