Fin 2024, le personnel d’ATP13, l’association qui s’occupe de la tutelle de Jeannine, une retraitée d’alors 85 ans, domiciliée dans le 14e arrondissement de Marseille, remarque une bizarrerie. L’octogénaire vulnérable, désormais en maison de retraite, voit sa carte bancaire utilisée chaque mois pour des retraits suspects, tandis que des chèques sont émis et des créances réclamées. Elle reçoit aussi de fréquentes visites de son ancien voisin de palier.
Ce dernier est un aide soignant de 61 ans, un homme seul qui a apparemment sympathisé avec elle depuis 2023, et lui rend des services, pour faire des courses, l’accompagner à l’extérieur… Mais peu à peu, les services sont devenus payants et se sont multipliés. Jusqu’à ce que, en guise de compensation, l’homme s’installe carrément chez la vieille dame.
Quelques semaines seulement après ce singulier aménagement, l’octogénaire s’est cassé le col du fémur. Jeannine a été hospitalisée mais n’est plus jamais rentrée chez elle. Après sa guérison, elle a été admise en Ehpad.
Désormais seul chez sa voisine, l’aide-soignant a changé les serrures et même vendu son appartement, sur le même palier. L’homme est très prévoyant. Il a placé l’argent sur une assurance-vie, mais a fait aussi signer à la vieille dame une attestation d’hébergement qu’il avait lui-même rédigée. Et même deux, après avoir égaré la première…
Huissier, vidéos, assurance-vie… Un escroc très prévoyant
Pour se couvrir, l’homme enregistrait tout, et ce depuis longtemps. Avant même d’emménager chez Jeannine, le voisin précautionneux filmait chaque remise de chèque notamment, prenant soin de déclamer la date et l’heure. « Tu es d’accord hein, de me donner ce chèque de 5000€ », lançait-il à celle qui était en fait sa victime, et acquiesçait d’une voix chevrotante en finissant une compote pour bébé.
Au commissariat de la division Nord, où une enquête a été ouverte début 2025 à la suite du signalement de l’association, les policiers de la brigade financière ont saisi pas moins de 43 vidéos du même type, destinées à justifier des chèques ou les attestations d’hébergement, jusqu’à la maison de retraite. Deux ans plus tôt, le suspect avait même pris le soin de faire venir un huissier lors de la remise du premier chèque, pour faire constater l’accord de Jeannine. Cette dernière, pourtant, était déjà sous sauvegarde de justice.
Une deuxième victime et 60 000€ de préjudice
Mais en passant au crible les agissements du sexagénaire, les enquêteurs ont découvert qu’il y a une autre victime. Cette fois c’est dans le cadre de son activité d’aide-soignant que le sexagénaire a encaissé des chèques (son diplôme est d’ailleurs si ancien qu’il ne pourra être vérifié). Envoyé au domicile de Raymond, un homme très vulnérable et quasiment aveugle, l’aide à domicile a encaissé de l’argent depuis 2022 pour ses « services ».
Pas moins de 17 chèques pour plus de 2700€ la première année. Mais le coût des services a augmenté. 4200€ en 2023, et jusqu’à 7000€ en 2024. Au total, les policiers ont estimé que le préjudice pour les deux victimes atteignait 60 000€.
Après des mois d’enquête, le suspect, déjà entendu en audition libre et qui avait depuis pris le large du côté de Lyon, a été interpellé le 5 novembre et placé en garde à vue. Si l’homme, renvoyé en correctionnelle en janvier prochain, a finalement été laissé libre sous contrôle judiciaire, en dépit des réquisitions de placement en détention provisoire du parquet, pas moins de 51 000€ ont été saisis sur ses comptes bancaires et placés sous séquestre, dans l’attente du jugement.