À première vue, la scène affichée à la une de Die Tageszeitung pourrait sembler banale. Un homme fait tranquillement le ménage dans son appartement. Mais des voix artificielles troublent cette scène du quotidien. “Il passe l’aspirateur pendant vingt minutes”, s’exclame une enceinte connectée. “Hé, ce sont mes données”, s’insurge un aspirateur sans fil. “Non, les miennes”, rétorque la télévision. “Non, les miennes.” “OK, partageons-les”, tranche l’ordinateur portable posé sur le bureau.

D’après le journal de gauche berlinois, ce dialogue fictif entre objets connectés a des chances de devenir réalité si les “nouvelles directives de protection, pardon, d’aspiration des données européennes” prennent forme dans le cadre du Digital Omnibus, un paquet législatif censé amender la réglementation européenne actuelle.

“L’UE souhaite aménager sa législation sur Internet et reporter certaines innovations importantes, comme l’AI Act sur l’intelligence artificielle”, censée entrer en vigueur en juin 2026, explique la Tageszeitung dans un article de décryptage. L’objectif : simplifier les réglementations européennes et alléger l’appareil bureaucratique. Mais ce texte pourrait par la même occasion restreindre des protections déjà en vigueur dans l’Union européenne, comme le règlement général sur la protection des données (RGPD), ou encore le Digital Service Act (DSA).

Contrer l’“effet Bruxelles”

Le système européen est la cible depuis des mois du président américain, Donald Trump, et de grands patrons de la tech comme Elon Musk. “Ils se heurtent à l’‘effet Bruxelles’, c’est-à-dire le fait que les lois européennes en matière de numérique ont une incidence à l’échelle mondiale et limitent l’exploitation commerciale des données en provenance d’Europe.”

Et les partisans de la protection des données en Europe craignent que l’UE ne finisse par céder à leurs pressions. Dans une lettre ouverte, signée notamment par European Digital Rights et Amnesty International, ils estiment que les “aménagements présentés comme une ‘rationalisation technique’ [dans le cadre du Digital Omnibus] constituent ‘en réalité une tentative de discrètement saper les plus solides défenses européennes contre les menaces numériques’”.

Concrètement, le RGPD et certaines règles de cybersécurité pourraient se retrouver assouplies, la frontière entre données privées et données à usage commercial “pourrait devenir floue” et la mise en œuvre de l’AI Act a des chances d’être suspendue.

Un tel projet irait dans le sens d’entreprises de la tech européennes, comme ASML, SAP ou Mistral, qui ont demandé publiquement l’été dernier un assouplissement des règles relatives à l’intelligence artificielle. Mais il satisferait aussi des personnalités politiques comme Emmanuel Macron ou le chancelier allemand Friedrich Merz. “À leurs yeux, la souveraineté numérique [de l’Europe] passe aussi par la dérégulation.” La Tageszeitung, elle, ne semble pas de cet avis.