Un homme qui fait beaucoup de crises de migraine sans savoir pourquoi.La migraine n’est pas qu’un simple mal de tête, symptôme auquel elle est trop souvent résumée. © Freepik

On connaît la migraine pour ce qu’elle est : un trouble neurologique complexe, touchant environ 15 % de la population, avec une nette prédominance féminine. Elle s’exprime par des crises parfois violentes, pulsatives, souvent unilatérales, accompagnées de nausées et d’une intolérance au bruit comme à la lumière. Rien de nouveau sous le soleil.

Mais depuis quelques années, un intriguant faisceau d’indices s’accumule dans la recherche internationale. Plusieurs équipes s’intéressent de près à un acteur anatomique voisin : l’articulation temporo-mandibulaire (ATM), cette charnière qui nous permet de parler, mâcher, déglutir, rire ou serrer les dents. Beaucoup. Parfois trop.

L’articulation temporo-mandibulaire (ATM) : de quoi parle-t-on exactement ? 

Placée juste devant les oreilles, l’articulation temporo-mandibulaire est sollicitée du matin au soir : parler, mâcher, bâiller, déglutir… rien ne se fait sans elle. Lorsqu’elle se dérègle, les spécialistes parlent alors de troubles temporo-mandibulaires (TMD), les manifestations peuvent aller d’une simple gêne à des douleurs musculaires ou articulaires, des craquements, des blocages, ou encore une sensation de fatigue de la mâchoire au réveil.

Selon une revue publiée en 2024 dans le British Dental Journal, les douleurs liées à l’ATM concernent 27 % des personnes souffrant de céphalées, contre 15 % chez celles qui n’en présentent pas. Un écart suffisamment marqué pour ne plus considérer cette articulation comme un détail anatomique anodin.

Migraine : un vrai lien avec la mâchoire ?

En 2019, une étude parue dans The Journal of Pain montrait que les personnes souffrant d’un TMD douloureux avaient un risque significativement plus élevé de migraine que de céphalées de tension. 

En 2020, une autre étude menée sur plus de 150 000 dossiers médicaux indiquait un risque accru de migraine chez les patients avec un TMD, avec un odds-ratio avoisinant 2,7. La revue du British Dental Journal de 2024 va plus loin et décrit une association bidirectionnelle. En clair :

  • un TMD peut favoriser une migraine,
  • mais une migraine répétée peut aussi contribuer à l’apparition ou à l’aggravation d’un TMD.

Un jeu d’influences réciproques, complexe, mais logique quand on regarde l’anatomie de plus près.

Pourquoi la mâchoire pourrait-elle déclencher une migraine ? Le nerf trijumeau, un carrefour stratégique

Tout commence par le nerf trijumeau, l’un des principaux acteurs impliqués dans les crises migraineuses. Et c’est précisément ce même nerf qui innerve la mâchoire, l’articulation temporo-mandibulaire et les muscles masticateurs.

Ainsi, lorsqu’une irritation (inflammation, tension, trouble fonctionnel) se produit dans cette zone, elle peut remonter le long de ce réseau nerveux particulièrement réactif et participer à l’installation d’une crise.

Des muscles masticateurs souvent sursollicités

En cas de bruxisme, ils travaillent en surcharge. Cette contraction excessive peut provoquer des douleurs qui irradient vers les tempes, la joue ou le front.

Pour le cerveau, ces signaux sont parfois difficiles à distinguer d’un début de migraine, et ils peuvent en amplifier l’intensité.

La posture, un facteur sous-estimé

La position de la mâchoire est intimement liée à celle du cou. Une tête qui s’incline vers l’avant, une nuque tendue, postures devenues courantes à l’ère du numérique, perturbent l’équilibre cervical.

Or, les connexions entre les nerfs cervicaux et le trijumeau constituent l’un des carrefours de la douleur migraineuse. Des tensions posturales récurrentes peuvent donc favoriser ou déclencher des céphalées.

Migraine : comment savoir si votre mâchoire entre en jeu ?

Toutes les migraines ne viennent pas de la mâchoire. Pas plus que toutes les douleurs de mâchoire ne créent une migraine. Mais l’association est aujourd’hui suffisamment solide pour justifier un intérêt clinique, surtout chez les patients échappant aux solutions habituelles.

Dans la pratique, cela peut signifier :

  • s’interroger sur ses habitudes nocturnes (grincement, serrement),
  • surveiller les tensions au réveil,
  • prêter attention aux craquements, aux sensations de blocage,
  • consulter un spécialiste de l’ATM si les symptômes sont regroupés.

Les traitements des TMD, lorsqu’ils sont indiqués, ne sont pas invasifs : éducation, physiothérapie ciblée, exercices, rééducation posturale, parfois une gouttière occlusale.

Pour les médecins : vers une approche plus transversale

Cette association entre migraine et TMD invite à un changement d’angle. Pour les neurologues comme pour les dentistes, il s’agit d’envisager le patient dans sa globalité. L’articulation temporo-mandibulaire reste très peu explorée dans les consultations migraineuses. Pourtant, une palpation musculaire simple ou quelques questions ciblées peuvent orienter vers un TMD méconnu.

Les professionnels insistent sur le besoin d’une prise en charge pluridisciplinaire : neurologue, dentiste, kinésithérapeute spécialisé, parfois ORL ou posturologue.

À SAVOIR

Le bruxisme concerne entre 8 % et 31 % des adultes Ce comportement, fréquemment lié au stress, est l’un des facteurs qui peuvent accentuer les tensions de la mâchoire… et potentiellement contribuer à l’apparition de céphalées chez certaines personnes.

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