• Un vaste scandale de corruption fait vaciller le pouvoir en Ukraine.
  • Certains en profitent pour décrédibiliser le président ukrainien.
  • Ils accusent Volodymyr Zelensky d’avoir emprisonné son principal opposant politique.

Suivez la couverture complète

L’info passée au crible des Vérificateurs

C’est un scandale de corruption en plein cœur du pouvoir ukrainien (nouvelle fenêtre). Le Bureau anticorruption ukrainien (NABU) a annoncé en début de semaine dernière avoir mis au jour un système à l’origine du détournement de près de 100 millions de dollars au sein des entreprises publiques de l’énergie. Une nouvelle qui fait vaciller Volodymyr Zelensky. Et qui sert d’aubaine pour ses fervents opposants, qui n’hésitent pas à recycler de vieilles informations.

D’après un compte X, qui relaie régulièrement de fausses informations sur la France ou l’Ukraine, le principal opposant du président serait « actuellement en prison ». Depuis sa geôle, un certain Oleksandr Doubinsky aurait déclaré qu’il est « temps de demander la destitution de Zelensky pour pillage des caisses de l’État pendant la guerre », écrit cet internaute (nouvelle fenêtre) ce dimanche 16 novembre. Alors qui est cet « opposant » ? D’où viennent ces critiques ? Nous avons vérifié.

Un ancien allié de Zelensky, pas un opposant

Élu à la Rada, le Parlement ukrainien, Oleksandr Doubinsky a longtemps été un proche de celui qu’il critique aujourd’hui. C’est en effet sous les couleurs de Serviteur du peuple, le parti de l’actuel président ukrainien, qu’il fait son entrée en politique en août 2019. Mais rapidement, celui qui est alors à la commission des finances (nouvelle fenêtre) et des taxes douanières de la Rada intéresse les enquêteurs. Car c’est un proche collaborateur de l’oligarque ukrainien Igor Kolomoïsky. Homme à la réputation sulfureuse, ce dernier est visé par une enquête du NABU en Ukraine et du FBI aux États-Unis, soupçonné d’avoir détourné des sommes astronomiques de Privatbank. C’est lui qui, en juillet dernier, a été reconnu coupable (nouvelle fenêtre) par la justice britannique d’avoir détourné environ 1,9 milliard de livres de cette banque ukrainienne.

Or, d’après plusieurs enquêtes d’ONG et de médias, alors que son ami est dans la tourmente, Oleksandr Doubinsky utilise toute son influence de député pour protéger les intérêts de l’oligarque. Dès novembre 2019, le député cherche par exemple à révoquer le Bureau anticorruption ukrainien, entre autres dispositions législatives visant à protéger Igor Kolomoïsky, comme le souligne une enquête (nouvelle fenêtre) du centre anti-corruption ukrainien en août 2020. À l’époque, il est décrit comme le « diffuseur d’une propagande anti-occidentale en Ukraine ». « Il s’en prend fréquemment aux institutions indépendantes, piliers de la coopération entre l’Ukraine et l’Union européenne », révèle l’ONG.

Lire aussi

« Opération Midas » : que sait-on du vaste scandale de corruption qui secoue l’Ukraine ?

Autant d’éléments qui poussent plusieurs agences à ouvrir des enquêtes… Et ce bien avant le début de la guerre en Ukraine. Le 11 janvier 2021, l’Office de contrôle (nouvelle fenêtre) des avoirs étrangers du département du Trésor américain inscrit Oleksandr Doubinsky sur la liste de sanctions pour appartenance à un « réseau d’influence étrangère » lié à la Russie. Mais aussi pour « ingérence » dans l’élection présidentielle américaine de 2020. Quelques jours plus tard, le 19 janvier, c’est au tour du procureur général d’Ukraine d’ouvrir une enquête pénale contre le député pour « blanchiment d’argent » et « non-paiement d’impôts », selon une déclaration (nouvelle fenêtre) du Centre d’action anticorruption ukrainien. Le 1ᵉʳ février 2021, Doubinsky est définitivement exclu (nouvelle fenêtre) du groupe parlementaire de Volodymyr Zelensky. Soit, un an avant que les chars russes fassent leur entrée en Ukraine.

C’est finalement le 14 novembre 2023 (nouvelle fenêtre) que l’homme est arrêté et incarcéré. Là encore, aucun lien avec le conflit qui oppose l’Ukraine à son voisin. Aux côtés de l’ancien procureur général adjoint ukrainien, Oleksandr Doubinsky est accusé d’avoir « agi sur ordre des services de renseignement russes » et d’avoir participé à diffuser la fausse information selon laquelle c’était l’Ukraine, et non la Russie, qui s’était ingérée dans l’élection présidentielle américaine de 2016.

Un entretien accordé à un canal pro-russe

Les motifs qui ont mené cet ancien proche de Volodymyr Zelensky en prison sont donc antérieurs à l’invasion actuelle de la Russie, et dépassent largement la seule politique du gouvernement ukrainien. Et qu’en est-il de ses positions en tant que prétendu « opposant » ? Si ses critiques virulentes ressurgissent aujourd’hui, celles-ci remontent en réalité à mars dernier. Dans un entretien publié sur YouTube (nouvelle fenêtre), l’ancien député multiplie les attaques contre le chef de guerre et… se présente à l’élection présidentielle. Une interview qui n’a rien d’anodin, puisque celle-ci était menée par Glenn Diesen. Ancien moscovite, il est désormais l’un des principaux relais de la propagande russe en Norvège (nouvelle fenêtre)et intervient régulièrement sur RT (ex-Russia Today), la chaîne d’information contrôlée par le Kremlin. 

Lire aussi

VIDÉO – Propagande russe : qui sont ces « journalistes occidentaux », relais privilégiés du Kremlin ?

En résumé, il est faux de faire d’Oleksandr Doubinsky une figure muselée de l’opposition en Ukraine. La publication ne vise qu’à recycler de manière opportuniste des propos tenus au micro d’un relais du narratif russe afin de remettre en cause la légitimité de l’actuel chef de l’État.  

L’an dernier déjà (nouvelle fenêtre), cette rumeur avait surgi chez les relais de la propagande russe. En s’appuyant sur une proche de Donald Trump, plusieurs figures de la désinformation en France, dont François Asselineau, accusaient le président ukrainien d’avoir « emprisonné ses opposants » et « interdit les partis ». Des arguments trompeurs, puisque que l’opposition ukrainienne est bien existante, comme nous vous l’expliquions dans cet article (nouvelle fenêtre). Si les trois partis de l’opposition qui bénéficient d’un soutien non négligeable de la population – ils ont obtenu 18% des voix aux dernières élections législatives du pays – alimentent les débats au sein de la Rada, ces derniers manquent toutefois de visibilité sur la scène internationale.

Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N’hésitez pas à nous écrire à l’adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur X : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.

Felicia SIDERIS