Cela fera bientôt un an que le feuilleton a débuté, avec son lot de rebondissements et d’incertitudes, un nouveau chapitre s’ouvrant désormais avec les conclusions, à charge, d’un photographe français, Tristan da Cunha, ayant à son tour joué les Rouletabille. Fin janvier 2025, le documentaire The Stringer, présenté dans le cadre du festival Sundance, secouait le monde de la photographie : Bao Nguyen s’y employait à démontrer que la légendaire photo prise le 8 juin 1972, d’une fillette courant nue sur une route, le visage déformé par la souffrance après le bombardement du village de Trang Bang, au Vietnam, n’avait pas été prise par son compatriote Nick Ut, mais par un photographe indépendant (et inconnu), Nguyen Thanh Nghe, employé en tant que chauffeur au moment des faits par une équipe de la chaîne américaine NBC. Acheté par Netflix, le docu (projeté mi-octobre au Prix Bayeux des correspondants de guerre) sera enfin visible en France à partir du 28 novembre. Mais depuis, la polémique n’a pas fléchi, au contraire.

Trois mois après la diffusion de The Stringer, l’agence Associated Press (AP) tranchait comme elle pouvait, en maintenant sa confiance à Nick Ut… au bénéfice du doute. Telle était la conclusion, dévoilée le 6 mai, à laquelle aboutissait une enquête fouillée, détaillée dans un rapport de 97 pages. «L’analyse approfondie des images, les entretiens avec les témoins et l’examen de toutes les photos prises le 8 juin 1972 suggèrent qu’Ut a probablement pris la photo. Il n’existe aucune preuve que quelqu’un d’autre l’ait prise», plaidait alors la porte-parole de l’agence américaine, Lauren Easton, dans un communiqué.

Un soutien équivoque (résumé dans le «probablement»), d’autant que l’agence se trouvait en l’occurrence juge et partie. Il est «probable» précisait ainsi l’enquête que la photo ait été prise avec un Pentax, alors que Nick Ut a souvent évoqué dans des entretiens avoir utilisé deux appareils Leica et deux Nikon. «L’histoire veut que Ut ait pris la photo avec un Leica. L’enquête a montré que c’était peu probable. Mais Ut avait aussi l’habitude d’utiliser d’autres appareils, notamment des Pentax hérités de son frère décédé», slalomait ledit rapport. Tandis que, après l’enquête d’AP, une autre, menée par la fondation, World Press Photo, estimait à son tour que le bénéfice du doute… ne profitait pas à l’accusé.

A ce stade de supputations, on a compris que le doute se focalisait donc sur l’appareil utilisé. Or, c’est précisément sur ce point que le photographe français indépendant, Tristan da Cunha, assure aujourd’hui porter l’estocade. Après plusieurs mois consacrés à l’examen pointilleux d’archives photos et vidéos, et des catalogues de l’époque, il est en effet formel : le cliché, devenu symbole planétaire des atrocités de la guerre dont sont en premier lieu victimes les civils (a fortiori lorsqu’il s’agit d’enfants, par définition innocents), a bien été pris par un Pentax. Mais si Nick Ut, ce jour-là du moins, a pu utiliser pas moins de quatre appareils, aucun n’était un Pentax. Car il s’agissait de deux Nikon et deux Leica distincts. «Nick Ut est un excellent photographe, il se donne du mal, ne perd pas de temps, a toujours une bonne raison quand il change d’objectif […] Transporter un Nikon F muni d’un objectif 200 mm, très lourd, toute une journée est déjà en soi une épreuve. Lui qui a déjà quatre appareils sur lui. Alors pourquoi aurait-il subitement sorti un appareil de nulle part, qui en plus est moins bon que celui qu’il avait déjà autour du cou ?» argumente Tristan da Cunha, sur le site de Télérama, qui révèle le potentiel rebondissement.

Autrement dit, la balle revient dans le camp de Nick Ut, photographe multiprimé (Word Press Photo en 1972, Pulitzer de la photographie d’actualité en 1973…) qui a logiquement toujours clamé son honnêteté et s’estimait peut-être déjà tiré d’affaire. Netflix, en outre, pourra apprécier le petit coup de pouce promotionnel…