Les crus effervescents gagnent du terrain. Entre pet’nats, crémants et blancs de noirs, la région bordelaise se réinvente. Décryptage de ce nouveau marché décomplexé avec Simon Blanchard, consultant-associé au cabinet de conseil Derenoncourt.

Un faiseur de bulles ? «Pas que», se défend Simon Blanchard. Mais il est exact qu’en tant qu’associé au sein du cabinet de conseil, Derenoncourt Vignerons Consultants, ce Ligérien d’origine et Bordelais d’adoption puisqu’il vit à Pomerol et exploite avec passion un microdomaine de 1,7 hectare à Montagne Saint-Émilion est considéré comme «le septentrional de l’équipe», concède-t-il car il intervient beaucoup dans la vallée de la Loire, en Bourgogne, dans le Beaujolais. De même en Belgique où les bulles commencent à se faire une jolie place. Féru de projets viticoles «atypiques», il plaide pour que le vin redevienne un «produit plaisir et convivial». Une orientation en phase avec une nouvelle génération de vignerons qui œuvrent pour faire pétiller Bordeaux.

LE FIGARO -. S’agissant de la production d’effervescents à Bordeaux, les volumes, certes en hausse sont encore limités : 130 000 hectolitres en 2024 (+ 5 % par rapport à 2023) soit 4 % de la production du vignoble bordelais. Peut-on vraiment parler d’un phénomène ?


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SIMON BLANCHARD -. Oui, clairement. La bulle marche très bien en ce moment. Et à Bordeaux, la tendance s’est accélérée ces trois dernières années. On part de loin, parce qu’historiquement la région en faisait assez peu. Mais la demande est là, et de nombreuses propriétés se lancent.

Quel est le profil de ces producteurs ?

Souvent des artisans, des primo-accédants, ou des jeunes qui reprennent la propriété familiale et veulent casser l’image trop traditionnelle. Ils gèrent leur distribution en direct, vendent aux cavistes, aux restaurants. On ne se rend pas toujours compte mais Bordeaux est en pleine mutation de ce point de vue là. Dans cette configuration, souvent l’acheteur leur demande : «Et, vous avez une bulle?» Parce que le marché est là, c’est clair.

Quelle est la force de la région bordelaise pour ce type de production ?

L’existence de prestataires. Contrairement à d’autres régions, peu de domaines sont équipés ici pour la mise en bouteille ou la filtration. C’est un atout en fin de compte car un vigneron peut décider de se lancer dans la bulle et faire appel à un prestataire, sans investir lourdement. Un atout énorme, surtout pour les petits crus.

Ce que le caviste ou le particulier achète, ce n’est pas un label, c’est l’histoire d’un domaine, d’une famille, d’un vin local.

Simon Blanchard


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Ces effervescents signent donc le retour du crémant de Bordeaux ?

Pas seulement. On trouve du crémant de Bordeaux mais aussi du mousseux de qualité. Beaucoup de petits producteurs se passent de l’appellation car leur clientèle n’en a pas besoin. Ce que le caviste ou le particulier achète, ce n’est pas un label, c’est l’histoire d’un domaine, d’une famille, d’un vin local.

Dans des styles différents ?

Effectivement. Ça va de la bulle très classique, très propre, très travaillée aux pet’nats légers, faciles à boire, sur deux bars de pression, des vins de copains à consommer rapidement. Ainsi, par exemple, au domaine de Gaychon, un pet’nat de cabernet sauvignon en agriculture Biologique (AB) par Sébastien Bataille ; au Château Mondésir-Gazin, un crémant de Bordeaux à base de 50 % de malbec et 50 % de sémillon, élevé sur lattes (AB) également. Encore un pet’nat au Domaine des 4 Vents, la cuvée Blizzard, à base de merlot (AB) par Antoine Debiastre et, au Château de Malleret à Ludon-Médoc, un pet’nat à base de merlot. Mais nous suivons aussi des projets plus ambitieux au sein des grands crus, en méthode traditionnelle, élevés plusieurs années sur lattes. Ces cuvées de garde ne sont pas encore sur le marché, mais elles vont arriver.

Pourquoi le vin pétillant pourrait sauver le vignoble bordelais du marasme

Ces nouvelles propositions effervescentes ont-elles néanmoins un point commun ?


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Quelles que soient leurs dénominations, pet’nat, mousseux ou crémants, ces projets n’ont pas pour ambition de concurrencer un champagne. Nous ne sommes pas sur ce marché-là. On se situe sur le vin plaisir. Cela nous tient à cœur de le préciser car, dans un contexte économique mondial compliqué, le vin doit être remis à sa juste place. Déguster un verre de vin, c’est un moment de partage, de convivialité. Si on a les moyens de le faire avec de grands champagnes, évidemment. Mais le vin, peut aussi se consommer sans de prise de tête.

Pourquoi dites-vous que ces bulles bordelaises ouvrent le champ des possibles ?

Car en plus des quatre cépages blancs autorisés pour le bordeaux blanc (sauvignon blanc ou gris, sémillon, muscadelle et parfois ugni blanc), on trouve sur la plupart des domaines du merlot, du cabernet franc, du cabernet sauvignon du malbec ou du petit verdot. Souvent aussi, les propriétés n’ont pas de blanc. Alors quand naît l’idée de faire une bulle, il s’agit de jongler avec tout cela. En particulier avec les blancs de noir. Cette diversité permet des assemblages et des vins ultrafun.

Sans compter la diversité de terroirs…

Absolument, Bordeaux a cette chance folle. De belles minéralités sur les beaux plateaux calcaires de l’Entre-deux-Mers et, ça tombe bien, il a été planté en blanc. Donc on peut aller chercher des bulles au profil étiré grâce à des méthodes traditionnelles. Alors que sur des terroirs très chauds et des plaines alluviales qui produisent des vins très fruités, les bulles sont plutôt rigolotes, des bulles d’apéro, des pet’nats. La ligne entre ces effervescents ? À la fois très fruités, mais surtout avec un bel équilibre acide. Ni trop sucrées, ni trop molles, les bulles de Bordeaux offrent une belle fraîcheur, de la tension et une acidité atlantique grâce à notre caractère océanique.

Cette tendance s’inscrit aussi dans un contexte plus large de changement à Bordeaux, notamment œnotouristique ?

Oui, Bordeaux est en mutation. Tout le monde s’est pris au jeu de faire des gîtes, de s’ouvrir au monde. On n’a jamais vu autant de vélos. Comme dans les autres régions, le touriste vient nous voir, veut participer à des dégustations, faire un tour dans les vignes. Mais, si jusqu’à récemment, nous étions capables d’organiser des parcours de biodiversité, d’expliquer pourquoi nous plantons des arbres, pourquoi l’agroécologie, etc. Finalement, à la fin de sa visite, quand le client arrivait dans la boutique de la propriété ou dans son gîte, il ne trouvait que du rouge. En plein été quand les températures grimpent jusqu’à 35 °C, notre touriste se dit : «Tiens, c’est bête, j’aurais bien ouvert une bouteille de rosé ou de blanc.» Désormais, dans son frigo, il peut trouver une petite bouteille de pet’nat ou de bulles locales. Et il est ravi d’acheter un carton de mousseux à 12 euros. Cette diversité nous manquait vraiment.