CRITIQUE – Après La Nuit du 12, Dominique Moll met en scène Léa Drucker en enquêtrice de l’IGPN sur fond de manifestations en décembre 2018.

Dans La Nuit du 12, film aux six César, tout était plus simple. La police judiciaire de Grenoble enquêtait sur le meurtre de Clara, une jeune fille brûlée vive. En fait, rien n’était simple pour le chef de groupe Bastien Bouillon et ses hommes. Les suspects et témoins déversaient leur misogynie plus ou moins décomplexée, la vérité se dérobait, la nuit s’épaississait. Mais la masculinité toxique, criminelle en l’occurrence, était le coupable tout désigné dans cette affaire de féminicide. Dans Dossier 137, Stéphanie marche sur un fil dès le début de la procédure.

Elle est enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. En ce décembre 2018, les manifestations de « gilets jaunes » dégénèrent sur les Champs-Élysées. À la violence d’une partie de cette « France des ronds-points » répond celle de certaines forces de l’ordre. Stéphanie traite des bavures, comme ce tir de représailles d’un CRS, coupable d’avoir lancé un pavé sur la foule. Au substitut du procureur, elle évoque des circonstances atténuantes. Son commandant venait de se faire déchiqueter le visage par un pavé sous les applaudissements des manifestants.


Passer la publicité

Le dossier 137 va mettre à l’épreuve sa soif de justice et sa compétence de policière. Guillaume, apprenti électricien de Saint-Dizier monté à Paris avec sa famille non pour casser ni piller mais pour défendre les services publics et visiter au passage la capitale, a été grièvement blessé par un tir de LBD en marge d’une manifestation dans une rue du 8e arrondissement. Il est à l’hôpital, aphasique, en attendant de survivre avec des séquelles.

Oratorio judiciaire

Dominique Moll, toujours accompagné de son coscénariste Gilles Marchand, s’inspire de faits réels. Mais leur fiction documentée n’a rien d’un tract militant. Ils montrent le travail de flic avec minutie. Son exigence, son ingratitude, sa lourdeur bureaucratique et sa prosodie – le liminaire « Prions et au besoin requérons… » à chaque fois que Stéphanie et ses collègues demandent par courriel à entendre un témoin, issu de la hiérarchie policière ou de l’entourage de Guillaume.

Brisé par les « gilets jaunes », choisi par Jean-Jacques Goldman… Yvard, l’ancien gendarme devenu rocker

Le montage des auditions, déjà saisissant dans La Nuit du 12, provoque le vertige. Ce tissu de paroles, contradictoires, mensongères parfois, compose un oratorio judiciaire. À l’ambivalence des mots, Dossier 137 superpose celle des images. Les sources sont multiples : réseaux sociaux, reportage télé, caméra de vidéosurveillance. Ces images, comme autant de pièces d’un puzzle difficile à interpréter, montrent des policiers de la BAC qui ont dû s’équiper eux-mêmes de casques Decathlon. Comme pour ceux de la BRI, héros du Bataclan lors des attentats du 13 Novembre trois ans plus tôt, le maintien de l’ordre ne fait pas partie de leurs attributions. Un gouvernement paniqué face aux « gilets jaunes » leur a ordonné de « sauver la République ».

Dossier 137 rappelle cette improvisation. Mais Dominik Moll signe bien un film d’enquête, captivant, avec ses fausses pistes, ses rebondissements, et en son cœur une silhouette mystérieuse à la fenêtre d’un hôtel, susceptible d’être un témoin oculaire le soir du drame.

Léa Drucker est impressionnante en enquêtrice à fleur de peau, très professionnelle et pourtant capable d’empathie, ce mot qui semble désigner une maladie. Sa supérieure en fait le reproche à Stéphanie, originaire de Saint-Dizier comme la victime. Il y a un « biais ». « Je suis policière, comme ceux qui ont tiré sur Guillaume », répond Stéphanie. Un autre biais, qui rend le regard qu’elle porte sur une société française fracturée, à la fois douloureux et passionnant.