Matéo, 28 ans, a été diagnostiqué d’un cancer des testicules à l’âge de 25 ans : « Je ne sais pas trop par où commencer. C’est un peu un sujet que j’ai mis de côté depuis trois ans. J’avais 25 ans, je venais juste de signer un CDI, je sortais pas mal, j’étais à un moment où tout s’ouvrait devant moi. Et puis je sens une gêne, une douleur bizarre. Rien de très violent mais ça revient plusieurs fois. J’ai fini par aller consulter, pas trop inquiet. Le médecin n’a pas cherché à me rassurer, il m’a envoyé faire une écho. Et c’est allé vite ensuite. Diagnostic. Opération. Examens. Traitements. Et surtout, silence radio dans ma tête. J’étais dans une forme d’auto-pilote, comme si c’était quelqu’un d’autre qui vivait ça. »

« Les rares fois où je me suis rapproché d’une fille, j’ai reculé avant que ça devienne intime »

La maladie de Matéo influence ses relations aux autres : « J’en ai parlé à très peu de gens. Mes parents, deux potes proches. Pas plus. Je ne voulais pas que ça se sache, je ne voulais pas être « le mec malade ». C’est complètement con quand j’y repense. J’avais honte. Pas peur, pas triste, pas en colère. Juste honte. De ce que mon corps avait produit. Honte de devoir dire à quelqu’un que j’ai un testicule en moins. Honte de penser que je suis devenu un ‘mec pas entier’. Et ça, je ne l’ai jamais vraiment surmonté. Depuis, j’ai l’impression que ma vie personnelle s’est arrêtée. Je sors encore, je vois du monde. Mais je me tiens à distance. Les rares fois où je me suis rapproché d’une fille, j’ai reculé avant que ça devienne intime. Parce que je ne sais pas comment lui dire. Je ne sais pas comment elle va réagir. Et en fait, je ne veux même pas le savoir. J’ai peur d’être rejeté. J’ai peur qu’elle ne dise rien sur le moment mais qu’elle parte ensuite. Ou qu’elle dise un truc maladroit. Ou même qu’elle comprenne, mais que moi, je sois paralysé quand même. »

« J’ai vu une psy à un moment mais je n’ai pas accroché »

Le jeune homme a l’impression d’avoir été volé par la maladie : « Je sais qu’on dit que le cancer des testicules se soigne très bien, que c’est un ‘petit cancer’, que j’ai eu de la chance. Mais il n’y a rien de petit quand tu te sens brisé dans ta virilité. Même les blagues autour de ça me font mal. Il y a une espèce de légèreté dès qu’on parle de ce cancer-là, un truc de ‘allez hop, on t’en enlève un, et roule !’ Mais ce n’est pas comme ça qu’on le vit. Pas à 25 ans. Pas quand t’as pas encore construit ta vie, pas quand tu veux plaire, séduire, coucher, aimer. Je ne parle jamais de ce que j’ai traversé. Même à mes potes proches, c’est resté très factuel. Je pense que ça les met mal à l’aise aussi. C’est pas un sujet très viril. J’ai vu une psy à un moment mais je n’ai pas accroché. Je ne voulais pas creuser. Je voulais juste que ça parte. Mais ça ne part pas. Je suis là, à 28 ans, avec cette sensation que mon corps m’a lâché trop tôt. Que la maladie m’a volé quelque chose, pas juste physiquement. Une sorte d’élan. De légèreté. D’innocence dans la relation à l’autre. »

« Je pense qu’il y a un gros vide autour de ce type de cancer »

Matéo est encore honteux de sa maladie : « Je n’en veux à personne. Je n’en veux même pas aux médecins. Ils ont fait leur boulot. Mais je pense qu’il y a un gros vide autour de ce type de cancer. Pas médical, pas dans le suivi des examens. Mais humainement. Psychologiquement. On ne nous dit rien. On ne nous prépare à rien. Et surtout, on ne parle jamais de l’après. De l’image de soi. De la sexualité. Du regard des autres. Du silence. Du repli. On te soigne physiquement et ensuite, on te laisse te débrouiller. Je sais que je devrais passer à autre chose. Parfois, je me dis que je dois juste ‘oser’ en parler. Mais ce n’est pas si simple. Ce n’est pas un tatouage ou une cicatrice à raconter. C’est un truc intime. Un truc qui remet en question ton identité d’homme, ta confiance, ton désir, ton avenir. Et je n’ai pas encore trouvé comment l’apprivoiser. Pour l’instant, je fais avec. Mais je ne vis pas vraiment. J’attends. Je ne sais pas trop quoi, mais j’attends que ça redevienne léger un jour. »

Personne n’est à l’abri de developper une maladie grave, rare ou à vie. Certains et certaines passent presque du jour au lendemain de personne en bonne santé à personne malade. Ces personnes doivent apprendre à vivre avec la maladie mais aussi à s’accepter en tant que personne malade, un processus psychologique rendu parfois compliqué par l’errance médicale. La série « Malade dans la force de l’âge » revient sur ces histoires, des premiers symptômes à l’acceptation, en passant par le diagnostic.