Longtemps jugés ringards, les jeux de société séduisent à nouveau. À Montpellier, associations, boutiques et bars à jeux témoignent de cet engouement sans précédent.

L’Ouvre-Boîtes accueille désormais un public plus diversifié : familles, femmes seules, et jeunes joueurs.
L’Ouvre-Boîtes accueille désormais un public plus diversifié : familles, femmes seules, et jeunes joueurs. (©Métropolitain / LP)

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Léa Pippinato

Publié le

26 avr. 2025 à 14h14

En 2025, le Monopoly fête ses 90 ans. Si ce classique des jeux de plateau incarne une tradition vieille de presque un siècle, son anniversaire est loin d’être une simple anecdote et illustre un véritable phénomène : le retour en force des jeux de société partout en France. Les chiffres nationaux ne trompent pas. D’après le Groupement interprofessionnel du jeu de société (GIJS), plus de 30 millions de boîtes se sont écoulées en France en 2023, contre 21 millions en 2013, soit plus de 90 000 jeux par jour. Avec une croissance spectaculaire, l’Hexagone se hisse désormais au premier rang européen pour la vente de jeux et de cartes. Cette tendance se confirme aussi au sein des foyers. Selon une étude OpinionWay pour Philibert, en 2021, 52 % des Français déclaraient jouer à un jeu de société au moins une fois par mois, contre seulement 44 % en 2018.

À Montpellier, où se déroule samedi 26 et dimanche 27 avril le Festival du jeu au Corum, cette dynamique nationale trouve un écho particulièrement fort, portée par des acteurs historiques comme récents, qui témoignent tous du regain spectaculaire d’intérêt pour les jeux de société. Pour comprendre ce phénomène local, il suffit de pousser la porte de L’Ouvre-Boîtes à Saint-Jean-de-Védas. Fondée en 2011 suite à des conflits internes dans une autre association locale, cette ludothèque associative répond à un besoin fondamental : rompre l’isolement des joueurs. « Quand on aime les jeux de société mais qu’on n’a personne chez soi pour partager ce loisir, on se sent vite très seul », confie Xavier, président de l’association. À l’époque, la ludothèque ne disposait que d’une petite salle prêtée par la mairie, accessible uniquement le mercredi après-midi et le vendredi soir. Depuis, l’association a connu plusieurs déménagements avant de s’installer définitivement en 2019 dans des locaux plus spacieux et plus adaptés à ses nombreuses activités, place du Puits de Gaud.

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Aujourd’hui, elle affiche plus de 250 adhérents, contre la moitié avant le confinement. Un succès que Xavier attribue directement aux périodes de restrictions sanitaires : « Les gens ont redécouvert les jeux pendant le Covid. Beaucoup sont restés après. » La ludothèque possède désormais 1403 jeux exactement, allant des jeux de plateau classiques aux jeux de figurines, en passant par des casse-têtes destinés aux joueurs solitaires. « Les smart games sont parfaits pour jouer seul. Cela montre bien à quel point les jeux de société sont variés aujourd’hui », détaille Arthur, chargé de communication et joueur. Carine, bénévole très active, note quant à elle un changement important dans le profil des adhérents : « Au début, c’étaient surtout des hommes adultes, adeptes de jeux complexes. Aujourd’hui, on reçoit beaucoup plus de familles et même des femmes seules. » Un renouvellement qui traduit la démocratisation en profondeur de la pratique du jeu.

Parmi les 1403 jeux proposés à la ludothèque associative de Saint-Jean-de-Védas, certains sont issus directement d’auteurs et éditeurs montpelliérains.
Parmi les 1403 jeux proposés à la ludothèque associative de Saint-Jean-de-Védas, certains sont issus directement d’auteurs et éditeurs montpelliérains. (©Métropolitain / LP)Toutes les générations jouent le jeu

À Montpellier même, impossible d’évoquer les jeux de société sans mentionner Excalibur. Cette boutique emblématique, située dans le cœur historique de la ville, célèbre ses 35 ans d’existence en octobre prochain. Michèle, co-gérante, a observé toutes les évolutions du secteur : « À nos débuts, les jeux venaient surtout d’Allemagne. Aujourd’hui, on assiste à une vraie explosion d’éditeurs français et locaux. » La boutique a aussi adapté son modèle pendant la pandémie en proposant des livraisons à domicile : « Le confinement nous a permis d’attirer un public nouveau qui est resté fidèle. » Aujourd’hui, Excalibur accueille aussi bien des joueurs novices attirés par des jeux d’ambiance accessibles, que des joueurs confirmés adeptes de jeux experts comme Terraforming Mars ou Ark Nova. Michèle insiste sur l’importance de guider les nouveaux joueurs progressivement vers des jeux plus complexes : « On commence par des jeux simples, puis petit à petit, on les amène vers des expériences plus riches. »

À quelques kilomètres, l’éditeur montpelliérain Bioviva incarne lui aussi la diversité du secteur. Depuis 1995, l’entreprise défend une approche ludique mais surtout pédagogique et éco-responsable du jeu. Frédéric Cérène, directeur de la communication, explique : « Aujourd’hui, notre discours autour de l’écologie est très actuel, mais quand nous avons commencé il y a 30 ans, ce n’était pas évident. » Bioviva s’est illustrée notamment avec sa nouvelle collection Défis Nature Protect, des jeux de cartes à collectionner qui financent directement des actions de sauvegarde d’espèces animales menacées. « On voit bien qu’aujourd’hui, le public veut jouer utile et responsable. » Preuve que le jeu de société n’est plus seulement un divertissement, mais aussi un vecteur de valeurs fortes.

« Aujourd’hui, notre discours autour de l’écologie est très actuel, mais quand nous avons commencé il y a 30 ans, ce n’était pas évident »

Frédéric Cérène
Directeur de la communication chez Bioviva

La convivialité plus forte que les écrans

La Baraka Jeux, installée à Odysseum depuis 15 ans mais pionnier en France depuis 32 ans, confirme cet engouement général. « Le confinement a été un véritable déclic pour beaucoup de monde », raconte Jérémie Lerognon, gérant du bar à jeux de société. « Depuis, nous accueillons toutes les générations. Le jour, les familles viennent avec les enfants ; le soir, ce sont plutôt les étudiants ou les groupes d’amis. » Le lieu propose près de 6000 jeux, dont les incontournables Dixit, Blanc-Manger-Coco ou encore Codenames.

À la Baraka Jeux, près de 6000 jeux sont à disposition pour toutes les générations.
À la Baraka Jeux, près de 6000 jeux sont à disposition pour toutes les générations. (©Métropolitain / LP)

Pour fidéliser son public grandissant, le bar propose même un abonnement annuel permettant un accès illimité aux jeux. Le succès croissant des jeux de société à Montpellier comme ailleurs s’explique par plusieurs facteurs. Son fondateur évoque le confinement, mais pas uniquement : « Aujourd’hui, on ressent un vrai besoin de convivialité. Jouer permet de partager un moment privilégié sans écran, et de se reconnecter à l’essentiel ».

« Le confinement a été un véritable déclic pour beaucoup de monde. Depuis, nous accueillons toutes les générations. Le jour, les familles viennent avec les enfants ; le soir, ce sont plutôt les étudiants ou les groupes d’amis. »

Jérémie Lerognon
Gérant de la Baraka Jeux

Ce regain d’intérêt n’est pas qu’une mode éphémère. Les acteurs locaux préparent déjà l’avenir. À l’Ouvre-Boîtes, une nouvelle section dédiée aux jeux de rôle rencontre un succès croissant. Excalibur continue de son côté à organiser régulièrement des soirées jeux pour fédérer et agrandir la communauté montpelliéraine de joueurs. Bioviva, enfin, prépare pour septembre prochain une réédition spéciale pour les 30 ans de son célèbre jeu éponyme. La partie est loin d’être terminée !

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