NOUS Y ÉTIONS – Concert mené tambour battant, silhouette et voix impeccable… La reine des yéyés et du disco a offert une performance de 2 h 30, digne de Las Vegas.

Le Dôme de Paris est plein à craquer. D’habitude, Sheila remplit des salles de 2 500 places, mais ce mardi soir, c’est 5 000. Dans la foule, on dénombre une majorité de gays sexagénaires, venus en bande, qui cohabitent avec quelques couples aux tempes bien blanches. « Ne vous cassez pas la hanche », glisse un taquin à ses amis dans les escaliers. Un autre porte un tee-shirt sur lequel est écrit : « j’ai peut-être l’air de t’écouter mais dans ma tête, j’écoute Sylvie Vartan  ». Au bout de soixante ans de chamailleries, le calumet de la paix entre les groupies de Sylvie et ceux de Sheila n’est toujours pas fumé. Invitée sur France Inter, à C à vous d’Anne-Élisabeth Lemoine ou Quotidien de Yann Barthès, Sheila a réussi à renouveler une partie de son public. Au Dôme, des trentenaires se sont glissés parmi l’assistance. « La sociologie du public est plus modeste que celle du public de Sylvie Vartan », glisse Dominique Besnehard tout en saluant Michel Drucker. « J’ai rencontré Sheila pour la première fois en 1964, vous n’étiez pas née », taquine Drucker ravi d’être assailli par des septuagénaires. Sous les regards inquiets, un grand monsieur enjambe le rang et la vedette de la télé. C’est le réalisateur Arnauld Mercadier venu avec son amie Julie Depardieu. « Cela ne se fait pas », sourit notre voisin. « Il fallait bien que cela m’arrive un jour », plaisante Drucker.

À 20 h 42, le noir se fait. Le son rock éclate, les faisceaux balayent la scène. Sheila fait son entrée avec un immense sourire. La salle qui l’aime profondément se lève d’un bond, première de six standing ovations pour la soirée. Avec sa natte qui descend jusqu’aux fesses, ses plumes de Sioux, ses attrapes-rêves qui sautent sur ses cuisses et son manteau décoré de perles et de broderies indiennes, Sheila a osé un look Pocahontas sur une combinaison noire décolletée. Les wokistes crieraient à l’appropriation culturelle. Une petite Sheila avec couettes, rubans rouges, chemisier blanc et fine jupe écossaise, celle de l’École est finie, déboule sur scène. Sheila l’embrasse. Une façon joyeuse et sans aucune nostalgie de célébrer ses 60 ans de carrière. « Merci de m’avoir donné une vie si magnifique. Entre cette petite à aujourd’hui, il y a eu du boulot, confie Sheila. Dans la vie, il faut faire des choix. Soit on se dit que c’est foutu soit on se dit qu’il faut profiter de l’instant. »


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« Respect total »

C’est parti pour une soirée non-stop de deux heures et trente. Avec ses neuf musiciens et ses trois danseurs, Sheila se révèle être une show girl digne de Las Vegas. Sa silhouette est impeccable, sa voix aussi. Sans entracte, sans prompteur, sans playback, sans vidéos, elle se lâche. Toujours en mouvement, elle se déhanche aussi bien sur un mambo que sur un rock. Elle lance sa jambe bien droite jusqu’au ciel. Avec humilité, elle glisse parfois qu’elle « doit reprendre son souffle ». Si Dieu le veut, elle vise 70 ans de carrière.

« Quelle performance ! » La salle est baba. « Respect total, commente Valérie Chevalier directrice de l’opéra de Montpellier. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Ce n’est pas du tout vintage. Quelle bête de scène ! Elle me fait penser à Annie Cordy. » On maudit le producteur Claude Carrère qui a interdit pendant des décennies à Sheila de faire de la scène car sa vedette lui rapportait plus d’argent à la télévision et en studio.

Pour cette tournée 8.0, le concert est scindé en deux. La première partie est osée. Les nouvelles chansons occupent une heure. C’est un peu long car ses deux derniers albums ne sont pas sans défauts. Pour autant, le public est réceptif. « Il a envie d’aller où elle va », estime le producteur Olivier Gluzman. Le racisme, l’antisémitisme, la libération des femmes… « Je veux défendre des thèmes qui me sont chers », explique Sheila en lançant Racée, extrait du livre de Rachel Kahn sur le radicalisme identitaire des « minorités visibles ». « À mon âge avancé, j’aimerais que les Femen et les étudiants des universités se rappellent des combats de Simone Veil. » Les camps de concentration, le droit à l’avortement, sa chanson Simone n’occulte rien. La salle applaudit à tout rompre.

« Dommage que Sylvie Vartan ne soit pas là »

À 21 h 41, l’ambiance bascule quand arrive un premier medley 1970. Tu es le soleil, Un prince en exil, Adam et Eve… Le Dôme de Paris se transforme en karaoké géant. « C’est dommage que Sylvie Vartan ne soit pas venue chanter avec elle, regrette Dominique Besnehard. Deux carrières si gigantesques, deux artistes dans le cœur des gens, cela aurait été génial. » Le public se précipite vers la scène. « Gardez vos forces, ce n’est que le début », s’amuse Sheila. Elle enchaîne avec une version rock de Bang Bang. Son directeur musical n’a rien inventé : Cher a fait de même il y a trente ans déjà. À l’exception de Pop art qu’elle chante avec gants rouges et chapeau melon, le tour de chant ne comprend cependant aucune chanson d’Yves Martin, son compagnon et producteur des années 1980-2000. Les connaisseurs en ont le souffle coupé.

« Attention, ça démarre ! », prévient-elle à 22 h 22. Les premières notes de Mélancolie résonnent. Tout le Dôme entonne « Oh que je t’aime, tu me fais mal quand tu n’es pas là ». Les danseurs bondissent en tenue argentée. C’est l’heure de Spacer. « Le bâton, le bâton », crie un plaisantin. La chorégraphe Armelle Ferron a imaginé un tableau en slow motion. C’est bien vu. Les trois danseurs Antoine Nya, Cedric Pemongo et Fred Jean-Baptiste sont de haut vol. Après Les Rois Mages, Gloria Gloria , notre show girl termine sur ses tubes disco Love me Baby, Singing in the rain, You Light My Fire… La petite Sheila de Vous les Copains revient sur scène. Les bouquets de roses déferlent. Les « bravos » fusent. Sheila salue, le poing levé. « Magnifique », lance Michel Drucker. « Elle a plié le match. 1,2,3 et 0 à la fin. Un knock-out », assène Didier Varrod, directeur musique de Radio France. Pour Alex Beaupain, elle n’est pas loin de Mylène Farmer. « Entre les deux, il n’y a personne », acquiesce l’une de ses amies. Avec ce show, Sheila va partir au moins un an sur les routes. Elle reviendra sans doute à Paris. À ne pas manquer.