Le commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius, a rappelé la célèbre maxime du général américain John Pershing : « L’infanterie remporte des batailles, mais c’est la logistique qui gagne les guerres. » Force est de constater que l’Europe échoue sur ce point crucial.
Des tanks coincés à la frontière
La situation actuelle relève de l’absurde militaire. Chaque convoi de blindés doit obtenir des autorisations pays par pays avant de traverser l’Union européenne. Une fois ces précieux sésames en poche, les véhicules se retrouvent contraints d’emprunter des itinéraires détournés pour éviter les routes et ponts inadaptés à leur tonnage.
Le comble a été atteint lorsque des chars se sont vu refuser l’accès à certains États membres simplement parce que leur poids dépassait les limites du code de la route local. Un constat accablant révélé par la Cour des comptes européenne dans un rapport sans concession sur la mobilité militaire.
Cinq cents points de blocage identifiés
Les experts ont recensé environ 500 « hotspots » – des points de passage stratégiques – le long des corridors susceptibles d’être empruntés par les armées européennes en cas de conflit. Ces goulets d’étranglement devront être impérativement modernisés pour garantir la fluidité des déplacements militaires, redevenus prioritaires depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
L’addition s’annonce salée : 100 milliards d’euros selon Apostolos Tzitzikostas, commissaire européen aux Transports.
Un permis unique pour accélérer les convois
Pour débloquer cette situation kafkaïenne, Bruxelles propose d’instaurer un « permis unique » valable dans toute l’UE. Fini le parcours du combattant administratif avec des demandes d’autorisation à déposer 45 jours à l’avance dans chaque pays traversé.
Cette simplification drastique devrait réduire à « trois jours » le délai de transport des troupes et du matériel en cas d’urgence, promet Henna Virkkunen, vice-présidente de la Commission européenne. Des autorisations prioritaires seraient également créées pour les situations de crise.
Une réserve commune de matériel
L’Union européenne entend également mettre en place un « mécanisme de solidarité » mutualisant des équipements à double usage, civil et militaire, comme des camions. Chaque État membre pourrait y puiser librement en cas de besoin.
Pour vérifier l’efficacité du dispositif, Bruxelles prévoit d’organiser régulièrement des « stress tests » afin de tester la praticabilité réelle des infrastructures identifiées.
Un bond de géant dans les investissements
La Commission propose d’allouer au moins 17 milliards d’euros à la mobilité militaire entre 2028 et 2034. Un montant dix fois supérieur à l’enveloppe de la période 2021-2027, signe d’un changement radical de priorités.
Cette prise de conscience tardive fait suite à deux précédents plans d’action qui n’ont produit que des résultats « variables », selon les termes diplomatiques de la Cour des comptes. Le dernier, présenté en novembre 2022, avait d’ailleurs essuyé de vives critiques pour son manque d’efficacité.
L’intelligence artificielle au service de la défense
Parallèlement, la Commission dévoile ce mercredi un plan pour rapprocher l’industrie de défense européenne des technologies de pointe : intelligence artificielle, quantique et spatial. Si les industriels de l’armement utilisent déjà largement ces innovations, Bruxelles souhaite encourager les projets communs.
Les 19 « usines d’intelligence artificielle » existantes dans l’UE – des plateformes de test de solutions IA – seront désormais ouvertes aux acteurs de la défense. De nouvelles structures, dont des « giga-usines » aux capacités décuplées, sont également prévues.
L’Europe tente ainsi de rattraper son retard stratégique, consciente que la prochaine guerre se jouera autant sur les autoroutes que sur les champs de bataille.
Avec AFP