Kalvin Gourgues, 20 ans, raconte son parcours entre terrains boueux d’Occitanie, vidéos inlassables filmées par ses parents et grande première à Aimé-Giral. Enfant rageur devenu espoir du Stade toulousain, il dévoile ses rêves, ses doutes et l’émotion d’un rugby qui ne tient qu’à un fil. Un talent précoce qui se confie sans filtre.
Êtes-vous issu d’une famille rugby ?
Mon père Stéphane a joué jusqu’en Juniors à Mont-de-Marsan. Ma mère Marie, qui est wallisienne, a quant à elle un lointain lien de parenté avec Jocelino Suta (ancien deuxième ligne de l’équipe de France et de Toulon, N.D.L.R.). Elle ne s’est intéressée au rugby que très tardivement mais désormais, elle connaît bien les règles et reste, évidemment, ma plus grande fan. Je suis fier de pouvoir les rendre heureux, tous les deux.
Où avez-vous débuté le rugby ?
À Grenade, dans la banlieue de Toulouse. J’avais au départ un peu touché au foot mais les éducateurs et les entraînements étaient plutôt laborieux… Ce n’était pas fou, quoi… Au bout de trois semaines, j’ai donc changé pour le rugby et la « pépinière » jaune et noire. J’avais 5 ans et au début, c’était juste un autre moment de la journée où je pouvais voir des copains, guère plus.
Quel enfant étiez-vous ?
J’étais un gros rageux, comme on dit. Je déteste perdre. Je ne conçois même pas qu’on débute un jeu sans avoir la volonté de le gagner. Sur le terrain, au départ, je pouvais donc péter un câble, voire pleurer de rage. J’ai beaucoup bossé là-dessus, au fil des ans.
On nous a raconté qu’un jour, à l’occasion d’un tournoi de moins de 6 ans à Saint-Paul-Sur-Save (Haute-Garonne), vous aviez frappé un adversaire qui vous avait poussé en touche. Est-ce vrai ?
Ça ne m’a pas marqué, non. Mais c’est peut-être encore sur l’une des cassettes de mon père, si c’est le cas. Il a filmé tous mes matchs, depuis mes débuts. Mais est ce que je l’ai vraiment crêpé, cet adversaire ? Je ne peux pas vous le dire.
Les regardez-vous parfois, ces vidéos ?
Oui, bien sûr. Papa m’a récemment envoyé des images de mes premiers entraînements au Stade toulousain. Mais si je mets tout sur mon PC, il va exploser tellement il y en a… Mon père, il est super perfectionniste. Il diffusait même tous nos matchs sur You Tube et Dailymotion, quand j’étais enfant.
Il était équipé, ou ses images filaient la nausée ?
Il faisait ça avec un caméscope et ça ne tremblait pas, non. En revanche, le jour où ma mère a dû le suppléer, c’était n’importe quoi : au moment où je marque un essai, elle a dû sauter en l’air pour célébrer et évidemment, on n’a plus vu que le ciel…
Quels sont vos premiers souvenirs, à Grenade-sur-Garonne ?
Des terrains très boueux l’hiver, déjà. Il y en avait un, le terrain Cayenne, qui longeait un cours d’eau. Ça n’absorbait rien et là-bas, il fallait donc pour ne pas prendre froid mettre un Lycra, un deuxième, chaussettes et surchaussettes. Mais c’était le bonheur, Grenade. Au printemps, on organisait même un tournoi international avec des équipes venues d’Espagne, d’Italie, toutes hébergées dans des familles d’accueil issues du club… Je me souviens avoir reçu, une année, deux garçons à la maison. Ils étaient un peu plus âgés et moi qui suis fils unique, j’avais l’impression d’avoir deux grands frères à la maison. J’étais si fier !
Il n’y a pas de bagarre dans le rugby pro parce qu’il y a des caméras tout autour du terrain. En revanche, il arrive parfois qu’on s’accroche un peu, en équipe de jeunes. Cela vous est-il déjà arrivé, à Grenade, Toulouse ou ailleurs ?
Non. Le but, c’est qu’on s’amuse, non ? Mais je revois, en Crabos, Mathis Castro-Ferreira (numéro 8 du Stade toulousain, N.D.L.R.) prendre un carton rouge contre l’Usap, après une bagarre. Il avait dû le mériter, remarquez.
Vous n’êtes pas bagarreur, vous…
Non. Et puis, ça peut être tellement dangereux, notamment chez les amateurs où les gabarits sont très disparates. Quand ça va trop loin, ça gâche un peu l’image du rugby. En revanche, on peut chambrer, oui.
C’était quand, la dernière fois que vous avez chambré un adversaire ?
Déjà, je ne chambre que si je connais le mec en face. Lors de notre dernier déplacement à Pau (30-26), on avait imaginé un stratagème sur les renvois : ne jamais taper sur leur bloc fort, celui composé des deux piliers et Hugo Auradou. Lui excelle là-dessus. Alors, je me mettais face à lui, je changeais ensuite d’endroit au dernier moment et lui tirais la langue. C’était drôle.
Quelle est la chose la plus drôle que vous ayez entendue en tribunes ou sur un terrain de rugby ?
J’ai connu mes premières feuilles de matchs, en Top 14, à l’âge de 18 ans. Un jour, on était en pleine période de doublons et je débutais à l’arrière, à Aimé-Giral. Pendant quatre-vingts minutes, un mec m’a lancé depuis les tribunes : « Retourne en Crabos, toi ! » […] On s’est fait allumer tout le match. À Perpignan, faudrait mettre des bouchons dans les oreilles. Ils essaient de te déstabiliser, les Catalans. Mais c’est le jeu : ils jouent à seize et c’est sympa.
Aviez-vous une idole, plus jeune ?
J’ai toujours adoré Wesley Fofana. J’avais un poster de lui, dans ma chambre. La photo de l’essai où il marque un essai de folie contre l’Angleterre : il met un raffut (à Ben Youngs, le demi de mêlée) puis dépose Chris Ashton (l’ailier) en faisant un pas de l’oie. La photo montre le moment où Ashton tente d’ailleurs de faire la cuillère. J’ai grandi avec ça devant les yeux.
L’avez-vous toujours, ce poster ?
Non. Le jour où mes parents ont refait les peintures, j’ai dû tout enlever.
Vous avez, la saison dernière, connu une longue blessure. Qu’avez-vous fait, alors ?
J’ai passé un BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport) de rugby à 15. C’est le premier palier pour devenir coach. Pour l’instant, je peux entraîner jusqu’aux catégories U14. Est-ce que je ferai plus tard ? Je ne sais pas. Mais je me suis servi de ce temps-là pour accomplir cette formation. C’est un truc supplémentaire, dans la caisse à outils.
De quoi rêviez-vous, enfant ?
Le métier de kiné me tentait à une époque parce que les rares fois où j’ai massé ma mère, elle m’a dit que je le faisais très bien. Au fur et à mesure, le rugby est pourtant entré dans l’équation. J’ai alors pensé à faire de ce sport un métier. Mais je n’ai pas de plan défini dans ma tête. J’espère juste que ma carrière sera la plus longue possible.
Quel est le plus beau témoignage de supporter que vous avez reçu, depuis le début de votre carrière ?
Cette saison, j’ai pu enchaîner avec Toulouse et j’ai reçu pas mal d’éloges. C’est très gentil, ce que les gens disent. Ça donne de la force mais j’essaie de ne pas y prêter attention. Quand on me dit que je suis le futur de l’équipe de France, ça me gêne un peu. Parce que c’est encore loin d’être le cas.
Est-ce votre récente blessure qui vous a fait prendre conscience que tout est fragile ?
Oui. Après avoir vécu ça, on se dit que tout ne tient qu’à un fil. J’ai conscience d’être passé entre les mailles du filet. Je reçois les compliments, j’en suis très touché mais le plus important, c’est de m’occuper de mon corps : notre machine pour performer.
Quel est le geste technique vous ayant demandé le plus d’efforts, avant de le maîtriser totalement ?
Je dois encore progresser sur les rucks. Des rucks, il y en a 150 par match et ça demande une énergie folle. Si on n’y va pas assez vite, on perd le ballon. Si on plonge, on est pénalisé. Il faut donc à la fois de la maîtrise et de l’engagement. Ce n’est pas facile parce que derrière, on a beau faire de la muscu, on ne sera jamais aussi épais que les gros tontons qu’on affronte le week-end. Quand un de ces types veut contre-rucker ou mettre les mains, on serre les dents parce qu’on peut vite se faire remballer. Le ruck est la tâche qui demande le plus de jugeote et de réactivité, en somme.
Quelle est la combinaison la plus dingue que vous ayez faite, sur un terrain de rugby ?
Un jour, avec le Stade, nous avions remarqué que notre adversaire du week-end se serrait beaucoup en défense, quand il était pénalisé près des lignes. L’idée, c’était donc que Peato (Mauvaka) fasse mine de jouer rapidement à la main avant de taper une longue transversale vers notre ailier.
Vous pensez vraiment que Mauvaka aurait pu réussir ce geste-là ?
À l’entraînement, il l’avait réussie deux fois très facilement. Peato, il pourrait jouer derrière sans aucun problème.
Quel est le match vous ayant arraché le plus de larmes ?
En tant que spectateur, j’ai trouvé la finale entre Toulouse et La Rochelle (printemps 2024, 29-26) vraiment sublime. Moi, ce soir-là, j’étais en tribunes avec les Espoirs du club. C’était la 77e minute, le match était serré, nous pas très sereins et finalement, Romain (Ntamack) a frappé pour marquer cet essai de soixante mètres. L’ascenseur émotionnel était dingue.