Parcourez TikTok ou Instagram quelques minutes et vous tomberez inévitablement sur des vidéos de jeunes gens rampant, bondissant et sprintant à quatre pattes avec une agilité déconcertante. Cette pratique baptisée quadrobics cumule des millions de vues et divise autant qu’elle fascine. Ses promoteurs y voient une révolution fitness capable de reconnecter l’humain à ses instincts primitifs tout en sculptant le corps. Ses détracteurs parlent de simple phénomène viral sans fondement scientifique, voire d’une déviance comportementale inquiétante. Mais que dit réellement la science de cette tendance qui pousse des milliers de personnes à abandonner temporairement la posture que notre espèce a mis des millions d’années à perfectionner ?

Quand les records du monde légitiment une pratique marginale

Le quadrobics n’est pas sorti de nulle part. Son histoire moderne débute en 2008 lorsque le Japonais Kenichi Ito établit un record du monde Guinness en parcourant cent mètres à quatre pattes. Ce qui aurait pu rester une curiosité anecdotique a déclenché une véritable course aux records. En 2022, l’Américain Collin McClure abaisse la barre à 15,66 secondes. Puis cette année, Ryusei Yonee pulvérise toutes les attentes avec un chrono stupéfiant de 14,55 secondes.

Yonee n’a pas atteint ce niveau par hasard. Il raconte avoir étudié minutieusement les mouvements des chiens, des chats et des singes depuis son enfance, perfectionnant sa technique en observant la biomécanique animale avant de l’adapter à la morphologie humaine. Son approche méthodique confère une légitimité scientifique à une pratique qui pourrait autrement sembler fantaisiste.

Ces performances spectaculaires ont contribué à transformer le quadrobics d’une excentricité marginale en phénomène viral, particulièrement auprès des jeunes utilisateurs des réseaux sociaux.

Entre identité, communauté et mouvement physique

Le quadrobics se trouve à l’intersection complexe de plusieurs sous-cultures numériques. Une grande partie du contenu en ligne provient de la communauté thérienne, composée principalement de jeunes qui s’identifient spirituellement ou psychologiquement à des animaux non-humains. Pour ces pratiquants, se déplacer à quatre pattes représente bien plus qu’un exercice physique : c’est une expression incarnée de leur identité profonde.

Cette dimension identitaire explique pourquoi le quadrobics déclenche parfois des réactions épidermiques. En Russie et dans certains anciens États soviétiques, la vue de jeunes portant des masques et des queues d’animaux tout en rampant dans les espaces publics a provoqué une véritable panique morale. L’Ouzbékistan est allé jusqu’à menacer les parents de sanctions pour négligence parentale si leurs enfants participaient à ces activités. Un député russe, Viatcheslav Volodine, y a même vu un « projet de déshumanisation » orchestré par l’Occident.

Il convient toutefois de distinguer le quadrobics des communautés adjacentes comme les furries. Alors que les thérians s’identifient comme des animaux, les furries s’intéressent aux personnages anthropomorphes et créent des avatars personnalisés appelés « fursonas ». Le quadrobics en tant que pratique physique peut être totalement dissocié de ces dimensions identitaires et culturelles.

Ce que la science dit vraiment de marcher à quatre pattes

Au-delà des polémiques culturelles, le quadrobics s’inscrit dans une vague plus large de tendances wellness « ancestrales » qui promettent de reconnecter l’être humain à ses racines biologiques. Régimes paléo, bains de glace, jeûnes intermittents : toutes ces pratiques partagent l’idée que nos ancêtres détenaient des secrets de santé que la modernité aurait oubliés.

Certaines recherches suggèrent effectivement que les mouvements quadrupèdes peuvent améliorer l’équilibre, la flexibilité et la stabilité du tronc. Les exercices comme la marche de l’ours ou la marche du léopard sollicitent simultanément plusieurs groupes musculaires et obligent le corps à coordonner ses mouvements de manière inhabituelle. La dimension rythmique de ces déplacements peut également accélérer le rythme cardiaque, offrant potentiellement des bénéfices aérobiques modérés.

Des pratiquants rapportent des améliorations tangibles de leur condition physique et même des pertes de poids significatives. Ces témoignages anecdotiques méritent attention, même s’ils ne remplacent pas les études cliniques rigoureuses.

Les limites physiologiques et les risques réels

Malgré ces aspects positifs, le quadrobics présente des limitations structurelles importantes. Contrairement à la musculation traditionnelle où l’on peut progressivement augmenter les charges, le quadrobics repose uniquement sur le poids du corps. Cette contrainte plafonne rapidement les gains de force et limite considérablement son efficacité pour améliorer la densité osseuse, particulièrement crucial pour prévenir l’ostéoporose.

Sur le plan cardiovasculaire, le quadrobics ne rivalise pas avec la course à pied ou le cyclisme. Sa complexité technique rend difficile son maintien à haute intensité sur de longues durées, réduisant ses bénéfices pour l’endurance et la santé cardiaque.

Plus préoccupant encore : les risques de blessures, notamment aux articulations supérieures. Nos mains, poignets, coudes et épaules n’ont pas évolué pour supporter le poids du corps de manière répétée et prolongée. Les débutants doivent donc progresser avec une extrême prudence, en laissant à leurs articulations le temps de s’adapter à ces sollicitations inhabituelles.

Entre science et spectacle

La réalité est probablement plus nuancée que ne le laissent penser les vidéos virales. Le quadrobics peut constituer un complément intéressant à un programme d’entraînement classique, particulièrement pour travailler la mobilité et la coordination. Mais il ne remplacera jamais un entraînement complet et équilibré.

Son succès actuel doit autant à son potentiel de divertissement qu’à ses mérites physiologiques réels. Dans l’économie de l’attention des réseaux sociaux, une vidéo de quelqu’un sprintant à quatre pattes génère infiniment plus d’engagement qu’une démonstration de squats parfaitement exécutés. Le quadrobics est autant une performance visuelle qu’une pratique sportive, et c’est précisément ce qui explique sa viralité.